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Vie de La Brochure
5 octobre 2020

Florence, Galilée, Geymonat

Galilée

Par un bel hasard de la vie, à la rentrée 1978, je suis devenu le collègue d'André Caylus. Ils avaient appelé leur fille Forence en l'honneur de la ville de Florence d'où l'été suivant notre passage par cette ville totalement magnifique. Galilée est né à Pise mais sous influence directe de Florence, comme pour Léonardo né à VInci. J'étais déjà un admirateur de Galilée en ne connaissant cependant que la fin malheureuse de sa vie. Et sa vie mérite le détour. Pour ce faire je n'ai jamais cessé de lire ce livre de 1957 traduit une première fois en 1968. Il m'est arrivé alors de lire un entretien avec le dit Geymonat que je reprends ci-dssous. J-P Damaggio

L’HUMANITE JEUDI 22 NOVEMBRE 1990

Il y a une différence profonde entre l'absolu et l'objectivité

TRAJECTOIRE intellectuelle rare. La recherche persévérante d'un rationalisme moderne a poussé Ludovico Geymonat à intégrer les acquis de la logique de la connaissance scientifique des faits, du « positivisme logique », dans une perspective matérialiste et dialectique. Bref, à quatre-vingt-deux ans, l'un des premiers représentants italiens du Cercle de Vienne — grand critique de son interprétation vraie d'un monde éternitaire — oppose au conformisme antimarxiste dominant de notre époque sa propre version, vivante et sans complexes, de l'apport décisif de Marx, Engels et Lénine aux conceptions scientifiques du monde présentes et à venir.

Quatre fois vingt printemps. Le vieil homme a la démarche hésitante. Toutefois, les ans ont épargné la verdeur de l'esprit. Le penseur sait ce qu'il veut, dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit. Malice et fulgurance, comme seuls « les grands hommes » restés jeunes savent en avoir :

« Il y a un demi-siècle, le néo-positivisme du Cercle de Vienne m'avait tout simplement impressionné. Il est impossible, selon moi, d'être moderne si l'on ne prend pas en considération la science, ses raisons profondes qui sont très différentes de celles de la science du siècle passé. Mon maitre Schlick, qui a longtemps été un physicien d'avant-garde, me disait toujours : il y a une réalité de la physique. Au fur et à mesure qu'on la comprend. Il faut distinguer entre la connaissance absolue et la connaissance objective. Tout est là. Aujourd'hui encore, il y a une différence profonde entre l'objectivité et l'absolu. Les connaissances scientifiques se transforment d'un siècle à l'autre, d'année en année. Il faut tenir compte de cette transformation pour penser l'objectivité des théories. Les théories sont transformables parce qu'elles sont liées aux conceptions de l'époque. »

Ludovic Geymonat a ainsi pris à contre-courant la pensée dominante dans l'Italie des années trente, par laquelle B. Croce et G. Gentile niaient l'un et l'autre tout rapport significatif entre science et philosophie. En même temps, commencent les années sombres où l'universitaire est contraint d'abandonner son poste d'assistant à la faculté des sciences de l'université de Turin — sa ville natale. Il est sanctionné pour avoir refusé de s'inscrire au parti mussolinien comme l'exigeait la loi de cette époque. Chassé progressivement des lycées d'Etat, puis de l'enseignement privé, il se retire à Barge dans la province de Cuneo dont sa famille maternelle est originaire. Mariant ses recherches philosophiques avec ses activités politiques clandestines, il organise des groupes de résistants. Arrêté puis détenu trois mois dans les prisons fascistes, il devient à sa sortie «commissaire politique» de la cinquième brigade Garibaldi «Carlo Pisacane» dans le Piémont. Après l'insurrection nationale, il publie ses «Etudes pour un nouveau rationalisme » et assume la charge de directeur de l'édition piémontaise de « l'Unita ».

 Notre vie intellectuelle a été colonisée par la culture américaine

THÉORICIEN et homme .d'action, commence alors pour lui une longue bataille politique et culturelle pour rénover en profondeur la culture italienne :

«Après la victoire, a-t-il déclaré lors de la rencontre de Villejuif, la domination de, la pensée de Croce sur la vie intellectuelle en Italie a continué comme avant. L'opinion de gauche n'a pas compris l'importance de la pensée scientifique. Nous avons laissé la porte ouverte à l'influente philosophie américaine. Ceux qui voulaient se tenir au courant des fondements des mathématiques, de la physique ou de la biologie s'en allaient aux Etats-Unis et revenaient, colonisés par la culture américaine... Aujourd'hui, nous en sommes-arrivés au point que si l'on brigue une chaire de sciences ou de philosophie en Italie, avoir étudié deux à trois ans en Amérique est une référence décisive. Notre culture depuis la Seconde Guerre mondiale, n'a pas réussi à faire un pas vers la culture moderne dont la péninsule a besoin. Non, elle a glissé vers la culture d'outre-Atlantique. »

En 1948, il se présente au premier concours de recrutement universitaire d'enseignant en philosophie depuis la fin de la guerre. Il est nommé à la faculté de Cagliari en 1949. Suit une chaire d'histoire de la philosophie, à Pavie, en 1952. Il obtient enfin en 1956 le premier poste italien de philosophe et d'historien des sciences à l'université de Milan. Dès lors, parrain d'une génération de chercheurs en épistémologie, il entreprend de se battre pour introduire cette discipline dans toutes les grandes universités de son pays. A l'époque où l'Occident domestique la leçon de rigueur du néopositivisme, Geymonat, lui, propose de marier la vérité scientifique à l'Histoire. Sa monumentale «Histoire de la pensée philosophique et scientifique » en sept volumes (1970-1976) —brisant avec la croyance passive en un modèle de science parfait — prend appui sur la conception marxiste de la connaissance scientifique. Son objectif est d'émanciper la recherche de la vérité, de la vieille illusion d'exactitude...

« J'ai particulièrement étudié Engels. Et j'ai découvert qu'il avait saisi en profondeur que les sciences devaient se penser dans l'Histoire. Je suis le premier dans mon pays à l'avoir défendu, à avoir reconnu la portée et la valeur de sa philosophie. Mieux que tous ses contemporains, le compagnon de Marx a compris que la pensée humaine dépendait de la science et de l'action qu'elle permet, c'est-à-dire du savoir qui permet de prévoir et donc de transformer la réalité. Je crois également avoir été le premier à évaluer la pensée philosophique de Lénine. Certes, il ne connaissait pas les théories de l'atome d'aujourd'hui. Mais il est le, premier à avoir assumé l'historicité de ses propres connaissances. Quand ii s'est avéré que l’élève éminent de l'Ecole de Vienne que j'étais défendait Lénine, cela a fait scandale en Italie. Je me suis battu et j'ai remporté quelque succès. L'histoire des sciences met en lumière l'existence de vérités relatives. Nous sommes ici très loin des thèses de Karl Popper sur la falsification et la rectification. En vérité, il y a dans toute théorie des points rectifiables. Dans le marxisme, le concept de classe, de lutte de classes, n'est pas l'Evangile. Mais comment comprendre les phénomènes sociaux de notre époque si on perd de vue que la lutte de classe d'aujourd'hui prolonge celle d'hier... »

 Le langage est un outil avant d'être un obstacle

SOUCIEUX de mettre en lumière le rôle du langage dans la démonstration scientifique, Ludovico Geymonat a aussi fait découvrir à ses compatriotes la pensée du philosophe français Gaston Bachelard. Ce dernier fait de l'expression commune, des rêves, de la poésie, de véritables obstacles à la constitution de théories scientifiques. C'est ainsi que dans « Psychanalyse du feu », ce penseur montre comment la poétique de la flamme qui lèche, qui enlace, qui dévore, empêche de comprendre le phénomène de la combustion qui n'a scientifiquement besoin d'aucune métaphore sensuelle ou tout simplement commune, pour exister. Il s'agit en fait d'un phénomène d'oxydation qui peut se produire discrètement, sans aucune flamme. Comme c'est le cas par exemple de la respiration. Le philosophe italien est plus dialectique :

« Le langage est premièrement un outil pour la science, avant que d'être un obstacle.»

Le rationalisme de Geymonat a joué en Italie un rôle actif pour que le déclin des absolus — aussi bien dans la science que dans la philosophie — ne favorise pas la renaissance d'un scepticisme destructeur. L'idéologie du doute et le cynisme qui est son fils naturel ne sont sans doute pas étrangers à l'ostracisme qu'a rencontré l’œuvre du maitre en France.

Dans son « Galilée » paru en français aux éditions Complexe en 1983, Ludovico Geymonat rappelle le verdict que le Saint-Office prononça contre Galilée en 1663: « Dire que le Soleil se trouve au centre du monde et qu'il tourne sur lui-même, sans se déplacer, et que la Terre tourne autour du Soleil, risque non seulement d'irriter tous les philosophes et les théologiens, mais aussi de nuire à notre foi en faisant suspecter d'erreur l'Écriture sainte. » Le philosophe italien qualifie de «tradition populaire très significative, mais qu'aucun document ne confirme», l'anecdote selon laquelle Galilée, après avoir abjuré, se serait relevé de l’agenouillement dans lequel il s'était tenu et aurait frappé du pied la terre en s'écriant : « Et pourtant elle tourne » : Eppur si muove ! mérite d'être méditée, et l'appel d'être entendu.

Entretien réalisé par Arnaud Spire

Geymonat

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