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Vie de La Brochure
30 octobre 2020

Aragon, Apollinaire, Tzara

mort d'Apollinaire

Au début de L’œuvre poétique complète, Aragon met en situation littéraire ses propres écrits. Par les notes, on peut voir qu’au départ une revue joue un rôle important : SIC qui est né en janvier 1916, portée à bout de bras par Pierre Albert-Birot. Guillaume Apollinaire va y jouer un grand rôle et il appelle Aragon à y écrire. SIC est portée par une vision mystique aussi Marcel Lenoir y est présent qui a aussi permis à Zadkine de s’y exprimer. On fait plus facilement l’histoire des écrivains que celle des revues sauf que sans les revues par d’écrivains. Après la mort d’Apollinaire en novembre 1918 le numéro de SIC de janvier 1919 lui rend hommage et je reprends ici le texte d’Aragon et celui de Tzara. J-P Damaggio

 Oraison funèbre par Aragon

Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire…

 Pour avoir dérobé le feu du ciel, l'arc-en-ciel, l'Hérésiarque vient de mourir, frappé par la grande peste européenne. Juste châtiment d'une vie qui se maintint toujours dans les royaumes défendus de la magie.

 Qui de nous eût assuré que le Musicien de Saint-Merry n'était pas le fils d'un cardinal romain ? La légende se créait autour de lui, nimbe doré qu'on voit aux Césars de Byzance. D'elle seule je me souviendrai, soucieux biographe de l'unique beauté qu'il semait sur ses pas, pour que périsse à tout jamais ce cadavre d'homme privé, et que subsiste au creux du chêne l'enchanteur Apollinaire dont la voix sans bouche exaltera les adolescents des générations futures à la quête ardente et passionnée des essences inconnues qui mieux que les alcools du passé enivreront demain. Qui pourra dire au cours de quel voyage et dans quel orient il devint sorcier et prophète ? Des signes annonçaient les événements de sa vie; un peintre en mille neuf cent treize apercevait sur son crâne la cicatrice d'une blessure encore à naître. Lié par un pacte à tous les animaux sacrés, il connaissait tous les dieux et fabriquait tous les philtres. Il avait parcouru l'Allemagne et sans doute l'Égypte. D'un pays très lointain, il avait amené vivant un oiseau bleu qui ne chanta plus en exil. Enfin, charmeur de fusées, il attirait à lui les feux d'artifice comme des oiseaux de paradis. La science qu'il possédait de tout ce qu'ignorait autrui le faisait prendre pour un humaniste du seizième. J'ai l'esprit goethien, disait-il. Gardons encore de lui cette image d'Épinal, le poète équestre et couleur de la guerre. Je le reconnais ainsi : il fut ce condottiere de Ferrare ou de Ravenne qui périt droit sur son cheval.

 Mais de l'ami mort en Novembre, je ne reverrai que le regard. Tout à l'heure, en longeant le Rhin, j'ai cru le rencontrer à nouveau. Déjà s'était enfuie en criant l'oie sauvage, déjà des lacis d'herbe sur le fleuve avaient figuré les cheveux de Lanthelme ou d'Ophélie, quand des yeux m'ont fixé qui s'ouvraient dans l'eau verte. Mais peut-être le bruit des trains allemands sur la rive ennemie m'hallucina quand j'entendis Guillaume Apollinaire dire comme jadis avec assurance : « J'ai l'esprit goethien ».

 Et maintenant ne vous inclinez pas pour baiser le sol, et n'attendez pas de moi des prières, ni la constatation de notre humilité. Rien n'est plus gai que les blancs tombeaux au soleil sous leurs jolis fardeaux de perles. D'autres pleureront, moi je ne sais que rire et du feu poète je ne conserverai que la flamme, joie dansante. Femmes, ne vous lamentez pas mais secouez vos cheveux et dites la chanson de Tristouse Ballerinette.

Tzara

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