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Vie de La Brochure
2 novembre 2020

Vazquez Montalban et George Orwell

Orwell Montalban

Dans le livre sur La Pasionaria MVM reprend une analyse de Teresa Pamies sur le romantisme militant où apparaît Orwell :

«Teresa Pamies, l'une des exégètes communistes les plus justes à l'égard de Dolores Ibàrruri, se livre dans Romanticismo militante (Romantisme militant) à une très utile recension des caractères humains susceptibles de devenir des mythes du communisme international, depuis la fin de la Première Guerre mondiale jusqu'aux turbulents événements de «Mai 68». L'écrivaine catalane choisit Julius Fucik, le journaliste tchèque exécuté par les nazis en 1943 ; Bachir Hadj Ali, le combattant anticolonialiste algérien qui, après avoir lutté contre l'occupation française, s'éleva contre la corruption du nouveau pouvoir et dut subir la torture, la prison et l'isolement ; Nazim Hikmet, le poète communiste turc, hétérodoxe, persécuté, condamné à la pendaison à laquelle il échappa, sauvant par la même occasion sa poésie ; George Orwell, l'écrivain anglais partisan d'un anarcho-communisme très personnel et presque intransmissible ; Hô Chi Minh le dirigeant de la longue révolution vietnamienne qui, selon Pamies, sut concilier pouvoir et romantisme ; George Jaçkson, le rêveur d'une «guérilla noire communiste», le plus charismatique des «frères de Soledad», ces représentants de la révolte nord-américaine, multiforme, infiniment complexe, des années 60, réprimée selon les méthodes d'une démocratie musclée puisque Jackson fut criblé de balles ; Pablo Neruda, le romantisme du verbe qui va de pair avec le romantisme idéologique, qu'il soit communiste ou bolivarien ; Ernesto Che Guevara, qui, dans son testament moral à ses enfants et à l'univers, donne raison à Teresa Pamies : «Laissez-moi vous dire, au risque de paraître ridicule, que le vrai révolutionnaire est guidé par de forts sentiments d'amour» ; Jules Vallès, l'insurgé par antonomase, le communard qui ne peut échapper à un destin implacable : «Tout a déjà été pensé : je suis du côté de ceux qui fusillent et seront fusillés» ; Rosa Luxemburg, sur laquelle je désire m'attarder car elle est à la fois l'opposée et le complémentaire d'Ibàrruri.»

Il terminera le chapitre en précisant qu’il aurait d’abord cité Gramsci.

Il présente ensuite Orwell : « Un écrivain qui touche particulièrement les Espagnols avec son ouvrage Hommage à la Catalogne, les communistes en particulier avec La Ferme des animaux, et les hommes en général ave 1984, dont les prophéties demeurent en suspens, dans cet univers de contre-vérités diffusés par les énormes moyens de communication capitalistes universels.»

MVM n’est pas un romantique : il vit au présent sans rêve futuriste aussi il aime La Ferme des animaux d’Orwell qui raconte par animaux interposés le passé des révolutions et non pas les prophéties de 1984. Je viens de relire ce petit livre qui en effet mérite l’attention des révolutionnaires mais ici je m’attarde sur 1984 et la présentation que MVM en fait le 1er janvier 1985 dans sa chronique d’El Pais :

«George Orwell aimait le Londres antérieur aux bombardements de la Seconde guerre mondiale, le socialisme rêvé avant les révélations sur le stalinisme, la chicorée en guise de café d'avant le marché noir et le rationnement de l'après-guerre. De ces trois sujets de mauvaise humeur est née dans l'œuvre d'Orwell, le roman 1984 et une certaine sensation d'inconfort prérévolutionnaire, dans un monde de survivants dans lequel les politiques travaillistes lui semblaient se dégonfler, en passant à un nouveau langage pour ne pas dire ce qu'ils auraient sans aucun doute dû dire. Le Polonais, naturalisé britannique, Isaac Deutscher a su comprendre ce Orwell intemporel qui a écrit à ses contemporains une réprimande, déguisée en prophétie et en utopie des plus grands maux.

En tant que roman, 1984 est un exemple de la façon dont la littérature idéologisée ne devrait pas être écrite et, en tant que prophétie, c'est une hyperbole qui exagère ce qui ne s'est pas produit et ne prévoit pas ce qui se passerait réellement. En 1984, le contrôle de la conscience est pratiqué soit à partir de la sophistication démocratique la plus stricte, soit à partir de la répression la plus brutale à la manière asiatique du grand Tamerlan. Les bourreaux vous écorchent ou vous vendent la nécessité dont vous avez besoin, déguisés en missile ou en hamburger, en réserve spirituelle de l'Occident ou en réserve non moins spirituelle de l'Orient. Mais il n'y a pas de personnage civilisé du nom d'O'Brien, un travesti du pouvoir et de l'opposition, qui vous torture parce qu'il vous aime tellement.

La géopolitique de 1985 ne reproduit pas non plus la prophétie d'Orwell, bien que certaines approches déjà prévisibles depuis l'époque de Yalta et de Potsdam ne manquent pas. Si nous arrivons à le voir, en 1985 le monde se retrouvera politiquement presque comme il y a 40 ans, et ce fut une mauvaise affaire si nous avons passé toute l'année 1984 à rechercher les mensonges et les vérités qu'Orwell a laissés derrière lui, sur les traces du quotidien. Finalement il y a des raisons de présumer qu'en 1985 le cynisme du pouvoir continuera à se fonder sur la suspicion que le pouvoir ignore son propre cynisme. Quelque chose comme le crime parfait. Sans oublier que, en plus, dans ce crime, apparemment, les cadavres n'apparaissent même pas, et quand il y en a, soit ils n'appartiennent pas à notre communauté autonome soit leurs visages ne nous disent rien.»

Ce texte est chargé en références qui peuvent se compléter avec les 10 pages écrites sur la question, publiées dans El escriba sentado, sans savoir si c’est la préface que MVM écrivit pour… 1984 ! Sur internet on trouve 45 préfaces de lui (certaines à ses livres publiés avec ses pseudos !) mais pas celle à 1984 (je conseille celle à Camillieri de 1999).

Dans ce long texte, il rappelle par exemple que la lecture d’Isaac Deutscher est la plus intelligente de toutes. Depuis, beaucoup continuent d’avoir peur que la prophétie 1984 se réalise, afin d’éviter une analyse réelle du présent. Cette lecture de Montalban permet de mieux lire (ou de lire autrement) le roman de Boualem Sansal, 2084. J-P Damaggio

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