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Vie de La Brochure
15 novembre 2020

Les croix dans les écoles italiennes

La question des croix dans chaque classe d'école italienne avait d'abord été posée par des musulmans qui ont préféré faire profil bas pour ne pas heurter la tradition italienne. Avez-vous lu quelque part que le gouvernement italien était islamophobe en maintenant les croix dans les écoles, les tribunaux, les salles d'hôpital etc. ?  J'avais perdu le fil de cette histoire croisée voici des années mais avec cet article passionnant voilà que je peux faire le point et débuter une nouvelle catégorie de ce blog. J-P Damaggio  

 

Libération 1er avril 2011

Italie: la croix s’accroche à l’école

Par Eric Jozsef, Envoyé spécial à Abano Terme — 1 avril 2011 à 00:00

Dans une salle de classe romaine. REUTERS

Des parents d’élèves ont bataillé dix ans pour faire retirer les crucifix des salles de classe du pays. Le 19 mars, la Cour européenne des droits de l’homme leur a donné tort.

  Italie: la croix s’accroche à l’école

Massimo Albertin s’attendait, confiant, à un verdict positif pour la fin de l’année 2010. Il parlait même, avec un brin d’ironie, du «cadeau de Noël» qu’allait lui faire, à coup sûr, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), sise à Strasbourg. En novembre 2009, elle avait sommé l’Italie de remiser les crucifix des écoles transalpines, comme il le réclamait. Au nom de l’article 9 de la convention des droits de l’homme, la Cour avait jugé la présence dans les classes de la croix chrétienne «contraire au droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions» et «au droit des enfants à la liberté de religion». Il était clair que sa Grande Chambre, saisie en appel par le gouvernement italien, allait confirmer le jugement adopté un an plus tôt à l’unanimité.

 

«C’est une énorme déception, dit aujourd’hui Massimo Albertin, sous le choc. Nous savions que nous devions faire face à un adversaire extrêmement puissant mais le retournement du verdict est tellement spectaculaire !» Dans son arrêt définitif rendu le 19 mars, la Cour européenne a jugé «qu’en décidant de maintenir les crucifix dans les salles de classes de l’école publique, les autorités ont agi dans les limites de la latitude dont dispose l’Italie dans le cadre de son obligation de respecter le droit des parents d’assurer cette instruction conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques». En clair, les milliers de croix qui ornent les écoles publiques italiennes ne sont pas illégales. «L’Europe se rachète et nous laisse le crucifix», proclamait dès le lendemain le journal populaire de droite Libero.«Oui au crucifix, l’Europe retrouve ses racines chrétiennes», lui faisait écho, triomphant, Il Giornale, le quotidien de la famille Berlusconi. Pour Massimo et sa femme, voilà dix ans de combat pour la laïcité, mené pratiquement en solitaire dans une Italie très majoritairement hostile, qui s’achèvent dans l’amertume et le désarroi.

 

«Depuis la décision de la CEDH, presque personne ne s’est manifesté pour nous soutenir, lâche Massimo Albertin, désabusé. Ma femme, elle, est un peu déprimée.» Soile Lautsi préfère d’ailleurs ne pas apparaître publiquement même si c’est en son nom que la plainte a été déposée auprès de la Cour européenne. D’origine finlandaise, fille de socialiste et luthérienne débaptisée, elle laisse à son mari, hématologue, le soin d’expliquer à quelques rares curieux l’enchaînement presque fortuit qui a conduit cette paisible famille d’Abano Terme, près de Padoue, à se retrouver au cœur du débat sacrilège, à deux doigts du soupçon de profanation, contre l’accrochage des crucifix dans les établissements scolaires publics. Pourtant, Massimo Albertin, qui reçoit en chemise à manches courtes et jean, n’a pas l’allure inquiétante d’un Savonarole, la verve d’un Voltaire ou le physique d’un bouffeur de curés. «Je viens d’une famille catholique, j’ai fait ma communion, fêté Pâques et les Rameaux. A l’adolescence, je dévorais les livres scientifiques, en particulier le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod. C’est alors que j’ai cessé de croire. Mais je ne suis jamais devenu un activiste de l’athéisme. A la différence de ma femme, j’entre souvent dans des églises», glisse-t-il, dans un rare sourire.

 

A 20 ans, en 1975, Massimo Albertin se mobilise pour le référendum populaire autorisant le divorce. Quatre ans plus tard, il est aux côtés des radicaux de Marco Pannella, militant en faveur d’une consultation citoyenne sur la légalisation de l’avortement. Pour le reste, la politique lui importe peu : «Ce qui m’intéresse, ce sont les droits civiques.» Proche de la petite Union des athées et agnostiques rationalistes à laquelle il n’adhère qu’en 1997, il n’est pas à proprement parler un militant. «Je ne suis pas un croisé de la laïcité», répète-t-il. Il proteste un peu contre les horaires du catéchisme lorsque ses enfants, nés en 1988 et 1990, entrent à l’école. Dispensés des cours d’éducation religieuse, ils doivent tout de même passer chaque semaine deux heures dans une salle à part. «Mais ce n’était pas un problème, admet-il. Les trois quarts des enfants de l’école n’allaient pas au catéchisme.»

 

«Massimo Albertin était un parent d’élèves très présent, se souvient l’ancien directeur de l’école d’Abano Terme, Saverio Cardin. Il était très sérieux et respecté. Il invitait tous les enfants qui venaient à vélo à mettre un casque. Puis un jour, en 2000, lors d’une réunion de l’école, à l’improviste, sans avertir personne, il a demandé que l’on retire les crucifix des classes. Il a sans doute forcé les choses sans prendre en compte la réalité de la société qui l’entoure. Mais il n’a jamais fait de prosélytisme, il est resté toujours très courtois et ouvert.»

 

Une sorte de petite sorcière à la Michelet

C’est que, en cette même année, la famille Albertin a cru entrevoir une brèche dans le système. Un arrêt de la Cour de cassation vient de donner raison à Marcello Montagnana, un professeur juif de Turin qui avait refusé d’exercer ses fonctions de scrutateur dans un bureau de vote orné d’un crucifix. Pour expliquer son jugement, la Cour souligne alors qu’en Italie, «le catholicisme n’est plus religion d’Etat» depuis la révision en 1984 du Concordat signé en 1929 par le pape Pie XI et Benito Mussolini. C’est d’ailleurs le Duce qui avait décrété dans les années 20, par une série de circulaires, que les lieux publics (tribunaux, écoles, commissariats, hôpitaux) devaient être dotés de crucifix.

 

Massimo Albertin tente donc de faire valoir que la présence de la croix constitue un traitement discriminatoire pour ses fils par rapport aux élèves catholiques : «Il s’agit d’appliquer les mêmes règles et les mêmes principes pour tout le monde.» En 2002, le conseil d’administration de l’école met au vote sa proposition de retirer la croix. «Résultat : 15 contre, 3 pour, 2 abstentions», se souvient l’hématologue. Dès lors, le couple s’engage dans un engrenage de procédures. Recours au tribunal administratif, puis au Conseil constitutionnel italien («qui s’en lave les mains, car aucune loi n’est enfreinte en la matière»), retour au tribunal administratif et enfin devant le conseil d’Etat qui, en 2006, rejette la plainte. «On nous expliquait en substance que la croix était un symbole de la laïcité de l’Etat ! s’indigne encore Massimo Albertin. Nous étions tellement estomaqués que nous avons pensé que le seul rempart, c’était l’Europe.»

 

Le dossier arrive alors donc à Strasbourg sur le bureau de la CEDH, déposé par Soile Lautsi. Dans la petite ville thermale, la mystérieuse Finlandaise qui se montre peu et socialise encore moins devient vite l’étrangère qui a mis de drôles d’idées dans la tête d’un gars du pays, rencontré en 1986 à Helsinki. Une intruse qui, médit-on, aurait isolé Massimo Albertin de sa famille issue de la bonne bourgeoisie d’Abano Terme et de son père, conseiller municipal démocrate-chrétien. Une sorte de petite sorcière à la Michelet, une intruse.

 

On ne dresse, bien sûr, pas de bûcher. Mais quand, en novembre 2009, la CEDH donne raison au couple contestataire, les murs de la maison familiale sont tagués de grosses croix noires. Un jour, des mottes de terre sont balancées. Un autre, ce sont des menaces téléphoniques, des lettres anonymes. Un parti de centre droit distribue des crucifix. Les maires des communes voisines utilisent les panneaux lumineux de leurs municipalités pour dénoncer la décision de la Cour européenne. «L’Italie est un pays catholique. Pourquoi se mettent-ils toute la nation à dos ? C’est pour se faire de la publicité», assurent les militants de la Ligue du Nord. A Cittadella, ville de 20 000 habitants toute proche, le maire Massimo Bitonci, député de ce parti d’extrême droite, imprime des tracts contre la famille Massimo Albertin avec l’inscription «Wanted». «Après le premier verdict de la CEDH, le responsable du laboratoire d’analyses où je travaille m’a convoqué pour me faire part de sa contrariété et me dire qu’il avait appelé l’évêque pour faire bénir mon service, se souvient le médecin qui précise toutefois, qu’au niveau local, certaines réactions, très minoritaires, peuvent encore être compréhensibles mais l’attitude des autorités a été effrayante.»

 

Dans une émission de la RAI, le ministre de la Défense, Ignazio La Russa, est allé jusqu’à hurler : «Ils peuvent mourir, eux et leur pseudo-organisme international ! Nous ne retirerons pas les crucifix !»«Sentence aberrante qu’il faut repousser avec fermeté», avait insisté l’ex-ministre ultra-catholique, Rocco Buttiglione. Quant à la gauche, elle ne bronche guère. Soit par conviction catholique, soit par crainte d’un combat impopulaire : les sondages montrent qu’une très large majorité des Italiens est hostile au décrochage des crucifix, considérant l’objet comme un symbole culturel plutôt que religieux. «Une vieille tradition ne peut offenser personne», avait insisté le secrétaire du Parti démocrate, Pierluigi Bersani.

 

La guerre des croix n’aura pas lieu

Depuis le verdict rendu en appel par la Grande Chambre de la CEDH, les uns plastronnent autour du Vatican. D’autres sont soulagés : une nouvelle guerre des croix n’aura pas lieu. Pour justifier sa décision, la CEDH a argué que le crucifix n’avait pas d’influence spécifique sur les enfants et qu’il ne représentait pas «un endoctrinement de la part de l’Etat». Paradoxalement, ce sont des religieux - des protestants et des juifs - qui ont le plus bruyamment fait part de leur indignation. «Prétendre comme l’a fait l’Italie que le crucifix n’est qu’un symbole culturel, c’est lui manquer de respect», a commenté le grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni.

«Si, comme on nous l’explique, le crucifix n’a plus de dimension ni d’influence religieuse, alors, pourquoi le laisser en place ? s’étonne encore Massimo Albertin. Ils ont trouvé des escamotages juridiques pour déroger à la charte européenne des droits de l’homme, conclut-il. Et il n’y a plus de recours contre cette dernière décision.» Pas plus pour son couple que pour le juge Luigi Tosti, destitué en 2009 par le Conseil supérieur de la magistrature parce qu’il refusait de siéger dans une salle d’audience ornée du crucifix. «Je comprends Adel Smith, le musulman qui avait jeté la croix de la fenêtre d’un hôpital, il y a huit ans, même si personnellement, je n’utiliserai jamais de telles méthodes, ajoute Massimo Albertin. Après tant d’années, ma femme et moi, nous arrêtons le combat, en espérant que quelqu’un prendra la relève. Au moins, nous ne recevrons plus ni menaces, ni lettres anonymes.»

Eric Jozsef Envoyé spécial à Abano Terme

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