Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
19 décembre 2020

Razoua à Toulouse en 1871

Un article de l'ancien blog du 4 juin 2011

 Des personnes plus savantes que moi pourraient m’indiquer une publication sur la Commune de Toulouse (18 à 25 mars 1871). Pour le moment, je ne connais que le livre d’Armand Duportal diffusé en 1871 quand il est emprisonné suite à la dite Commune, et qu’il écrivit pour assurer ainsi sa défense. Il évoque une coïncidence qui nous renvoie vers Eugène Razoua qui de Bordeaux passe à Toulouse voir sa mère (sans doute pour la dernière fois), avant de revenir à Paris où il participer à La Commune. Duportal veut démontrer qu’il n’a pas suscité La Commune de Toulouse. JPD

 L’épisode Razoua

 Pendant que tout ceci se passait à Toulouse, quelques jours avant peut-être (je n'ai aucun repère pour fixer ma mémoire à ce sujet), Razoua vint à Toulouse, Razoua du Réveil, Razoua le député de Paris., Razoua de la Commune, Razoua des conseils de guerre, Razoua le commandant de l'Ecole militaire, Razoua le contumace mystérieux de la justice expéditive des généraux de l'Empire devenus les instruments de l'esprit de conciliation et de tolérance de M. Thiers. On comprend quelle aubaine c'était pour tout Ponson du Terrail du réquisitoire, et quel parti on en pouvait tirer avec un peu de bonne volonté, de l'imagination, quelques rapports de police ou la déposition d'un imbécile[i].

 D'autant mieux que Razoua avait assisté à une réunion politique, que je l'y avais accompagné, après avoir dîné avec lui, non pas à la préfecture, comme cela fut arrivé sans le deuil paternel dans lequel j'étais plongé mais chez un ami commun, et que nous avions l'un et l'autre prononcé quelques paroles dans cette réunion. Voilà le fait dans toute sa simplicité[ii]. J'ignore les déductions criminelles que l'instruction en aura tirées. Voici sa raison d'être et les explications auxquelles il me faut descendre pour dissiper les ingénieux et faciles ombrages de la Justice.

 Razoua est né à Beaumont-de-Lomagne — un sol volcanique qui produit des journalistes, des ferblantiers, des astronomes et des chiffonniers. — Sa famille habite cette petite ville. Etant venu à Bordeaux pour contribuer comme député de Paris aux succès oratoires de M. Depeyre et au pacte d'où est sortie là République provisoire et expérimentale de M. Thiers, Razoua, en ennemi de la famille, vint voir sa mère, et, par un caprice d'itinéraire, ou une combinaison infernale de Karl Marx, poussa jusqu'à Toulouse son criminel pèlerinage. Le Réveil et l'Emancipation[iii] ayant toujours vécu en bonne intelligence, il lui sembla que l'on ne devait pas se bouder et se tourner le dos parce que la Révolution du 4 septembre était allée chercher dans le premier de ces journaux trois députés de Paris, et avait fait du rédacteur du second un préfet. Il vint me rendre à la préfecture la visite que je lui avais faite quelques jours auparavant au Café de Bordeaux.

 Razoua fut moins cérémonieux vis-à-vis de la Société l'Alliance républicaine, dont il est un des membres-fondateurs et qui a des adhérents nombreux à Toulouse. Une réunion eut lieu à son intention, et Razoua, qui tient mieux la plume et l'épée que le crachoir, ne s'y rendit pas, tant étaient machiavéliques les instructions que ce conspirateur émérite avait reçues de la Sainte-Wehme du communalisme parisien. On avait pourtant mal pris la chose parmi les frères et amis. Le clubiste toulousain n'aime pas qu'on fasse fi des cérémonies de son culte démocratique. J'en parlai à Razoua ; et, comme j'aime mes amis, comme je ne pouvais pas oublier que, pendant le siège de Paris, il avait vertement tancé et contraint à se taire un certain Rebut de la Drôlerie qui m'insultait dans le Figaro, je lui offris de l'accompagner à la réunion du lendemain et de l'aider ainsi à rentrer en grâce auprès de nos amis mécontents de l'Alliance républicaine.

 Ma proposition ayant été acceptée, nous nous rendîmes à la réunion, où Razoua parla de l'organisation de l'Alliance, puis, en chroniqueur militaire, raconta les principaux épisodes de la défense de Paris par l'héroïque garde nationale dont il avait été l'un des commandants. Est-ce assez criminel ! assez communaliste ! assez organisateur de guerre civile !

 Il est vrai qu'interpellé, à mon tour, par quelques citoyens non compris dans la garde nationale et dont l'idée fixe, bien naturelle d'ailleurs, était d'avoir un fusil et des cartouches au besoin, je répondis que cela regardait la Mairie, et que, d'après mon entente avec le maire de Toulouse, tout citoyen dont le capitaine du quartier certifierait la moralité et le civisme devait être immatriculé sur les contrôles et armé.

Et, comme on insistait pour la distribution des cartouches, je répondis que fusils et cartouches ne manquaient pas, qu'il y en avait au Capitole et à la préfecture, et que la distribution ne pouvait en être faite qu'en présence d'une urgente et inévitable nécessité.

 Razoua partit le lendemain pour Versailles, ignorant les événements qui l'obligeraient à se prévaloir de son titre de député pour y arriver, et ne soupçonnant certainement pas que, peu de jours après, les sentiments d'intime solidarité qui l'unissaient à Courbet et à Delescluze l'amèneraient à échanger ce mandat contre celui de la Commune. Mais n'est-ce pas bien naïf d'essayer de faire accroire tant d'imprévoyance, de désintéressement et d'innocent fatalisme à des gens qui passent leur vie à requérir, instruire, juger et prononcer des condamnations contre leurs semblables !...  Armand Duportal



[i] On comprend que le passage de Razoua le révolutionnaire est utilisé contre Duportal pour le faire passer pour plus rouge qu’il n’est. Duportal est alors emprisonné en tant que préfet ayant porté atteinte à l’ordre public. Cet ancien proscrit, comme le député du Tarn et Garonne Pierre Flamens, semble destiné à souffrir des révolutions.

[ii] Il ne donne pas la teneur des propos prononcés.

[iii] Le Réveil est le journal de Delescluze où travaille Razoua et l’Emancipation est le journal toulousain de Duportal qu’il avait déjà créé sous la seconde République et qu’il a relancé en 1870.

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 503
Publicité