1871 : Les trois filles Marx à Luchon

Information à demi surprenante : les filles Marx aimaient tellement la France que toutes se seraient mariées avec un Français mais le vieux Karl y mit une limite pour la troisième qui n'a pas pu se marier avec Lissagaray. On les découvre là à Luchon par ce document surprenant qui n'est pas signé mais est sans nul doute authentique. J-P Damaggio

-sur la photo, Marx et Jenny-

Petite Presse 15 août 1871

LA FAMILLE DU CHEF DE L'INTERNATIONALE

 La France reçoit de Luchon la lettre suivante :

Luchon, 8 août 1871. Mon cher rédacteur,

L'arrivée à Luchon de M. le préfet de Kératry (1) et de M. Le procureur général Delpech, a donné lieu à une foule de suppositions qui sont toutes plus ou moins loin de la vérité. Je puis la rétablir par des renseignements puisés aux meilleures sources.

Depuis le mois de mai (2), on remarquait, dans cette oasis des Pyrénées, trois jeunes et riches Anglaises et le mari de l'une d'elles, M. Lafargue. Ce sont les filles de Paul Marx, qui entretenaient avec leur mère une active correspondance. Cette station thermale est presque aux portes d'une grande ville, de Toulouse, où la Commune de Paris, autre fille du trop célèbre Allemand, a trouvé, mais rien qu'un jour, une sœur. Cela seul commandait une prudente surveillance.

Il n'y a aucune charge contre M. Lafargue, qui est depuis quelques jours à Bossoz, et qui pourra rentrer chez lui quand il le voudra. Il n'y en a pas non plus qui puissent amener des poursuites contre les trois sœurs. Interrogées par le procureur général près la cour d'appel de Toulouse et le préfet de la Haute-Garonne, plutôt que de mentir, elles ont gardé un silence absolu sur beaucoup de points.

Mais on est parvenu à lire quelques lettres de Mme Marx, déchirées par une de ses filles, et dont on s'est hâté de réunir les fragments. Dans toute cette correspondance, il n'est question que des espérances de l'Internationale. Elle a fait connaître les noms de certains membres de la Commune de Paris qu'on croyait fusillés et qui, à cette heure, sont réfugiés à Londres. On y a trouvé les comptes rendus fort curieux de séances secrètes du grand conseil de l'Internationale qui se tiennent dans la capitale de l'Angleterre.

 Je viens de voir près de l'avenue de la Vigne le chalet qu'habitent encore les trois sœurs. Deux gendarmes se promènent dans le jardin ; mais aucune atteinte n'a été portée à leur liberté. Elles comprennent qu'elles doivent quitter la France et retourner auprès de leur père. Leur départ est très prochain, elles en ont donné leur parole d'honneur. Mlle Jenny Marx, la plus belle, reconnaît qu'on les a traitées avec beaucoup de courtoisie. C'est à moi-même qu'elle le disait il y a un moment. Elle m'a reçu, accompagnée de sa sœur plus jeune et non mariée.

Il faudrait votre plume, mon cher rédacteur, pour faire le portrait de ces filles de Karl Marx. Elles ont la hauteur de la nation où elles sont nées, et qui les couvre de sa protection. Sur le large front et dans les grands yeux de Jenny Marx, on lit ses pensées. En parlant des forces de l'Internationale, elle souriait du plus beau sourire et me disait : — Il y a là des millions de bras. — Et vos espérances? — Bien grandes, m'a-t-elle répondu. Et son visage rayonnait d'un si vif éclat que l'admiration d'une telle beauté a fait place en moi à un effroi que vous partagerez peut-être.

Tous les gouvernements doivent s'unir contre l'immense péril qui menace les vieilles sociétés si fières de leurs progrès et de leurs richesses sur les voies de la Civilisation.

Notes 1 - Kératry est le préfet qui arrêta La Commune de Toulouse. Il est devenu ensuite écrivain. 

2 On remarque que les filles sont là au moment de La Commune de Paris.