Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
8 mars 2021

Périco Légasse Lorca, Machado, Aragon

perico Légasse Machado

J'aime bien Périco Légasse grand promoteur de la bonne chère aussi je me fais un plaisir de relayer cet article ancien qui nous ramène à ses chères Espagfnes. JPD

15 au 21 juillet 2016 / Marianne /

Il y a quatre-vingts ans, en juillet 1936, la guerre d'Espagne commençait par la sédition du général Franco contre le gouvernement légal de la République. Cette guerre devint immédiatement une guerre d'écrivains. Poètes espagnols assassinés, volontaires des Brigades internationales, correspondants de guerre ou spectateurs engagés, ils ont écrit la légende du siècle.

LE GRAND CIMETIÈRE SOUS LA LUNE

Federico Garcia Lorca est assassiné par la guardia civil un mois après le début de la guerre d'Espagne. Antonio Machado meurt en France un mois avant la fin de ce carnage. PAR PÉRICO LÉCASSE

 Il n'aura pas suffi à Aragon de proclamer le fracas que fait un poète qu'on tue pour que Dieu emplisse l'univers de silence. N'en déplaise au maître, et loin de toute irrévérence envers sa mémoire, il est des tragédies de l'Histoire dont le souffle vengeur retarde sans cesse les jours couleur d'orange. Comme une plaie incurable dans l'histoire des peuples auxquels on vola leur espoir, la guerre d'Espagne restera le tombeau des amertumes éternelles. Du plus beau des poèmes de l'auteur du Fou d'Elsa émane ce sentiment que, malgré le retour à la démocratie outre-Pyrénées, en décembre 1976, la page n'est pas tournée quatre-vingts ans après le début du conflit. Comme si les remèdes politiques ne pouvaient rien lorsque, se sentant trahie, l'âme du poète continue de hanter les charniers silencieux.

A chaque fois que l'on ouvre une fosse pleine d'ossements, deux noms percent les cieux. Antonio Machado et Federico Garcia Lorca sont les symboles d'une littérature espagnole captivant les ferveurs d'une révolution qui se voulait humaniste, à la chute de la monarchie, en avril 1931, et qui finira par le début d'un effroyable carnage, le 18 juillet 1936. Machado-Lorca, ou l'Espagne libérée, celle qui puise dans ses racines les vertus d'un monde où l'identité nationale, niant toute légitimité à Dieu et au roi, procède des paysans, des gitans, des picaros, des mendiants. Persuadés que la tyrannie se nourrit de l'ignorance, les deux hommes ne rêvent que de culture, d'écoles et de théâtres. Unis par ce combat, ils ne se rencontreront que deux fois, en Andalousie, à Baeza, chez Machado, en 1916 et en 1917.

Le 18 août 1936, le soulèvement militaire conduit par le général Franco contre la République espagnole est à son trentième jour quand Garcia Lorca est assassiné par la guardia civil aux environs de Grenade. Le 22 février 1939, il reste à peine un mois de sursis à ladite République lorsque Machado s'éteint à Collioure.

Deux dates qui marquent l'histoire de l'Espagne au sceau d'une infamie d'autant plus atroce qu'elle frappe deux êtres de paix, étrangers à la haine qui couve, mais porteurs du nouvel humanisme européen. D'un humanisme qui ne s'inscrit plus seulement dans la philologie du savoir commun, au nom d'un libre arbitre source de tolérance, comme le définit Guillaume Budé, mais dans cet humanisme voltairien, militant, version Paul Thiry, qui anime la pensée antitotalitaire des années 30.

L'Espagne, bien avant qu'Erasme ne les diffuse dans l'Europe du Nord, fut l'un des premiers pays à s'intéresser aux thèses humanistes. Dès 1484, à l'université de Salamanque, Boccace et Guarino Veronese sont traduits en espagnol. Las, purifiée par les rois très catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, après la chute de Grenade, l'Espagne s'en remet à la Sainte Inquisition pour extirper tout déviationnisme de la foi. Vade retro humanismi !

 INTERMINABLE PROCESSION

Pourquoi cette digression vers la Renaissance alors que nous traitons des années 30 ? C'est qu'une invariance, sans doute structurelle, veut que l'Espagne soit une terre de prédilection des expériences réprimées et que l'archaïsme qui a longtemps caractérisé, caricaturé, cette société tient précisément de la virulence des réactions d'une élite versée sur la mortification à l'encontre de celle tournée vers la compassion. Huit siècles plus tôt, Averroès et Maimonide tâtèrent du phénomène. A croire que le paradis ibérique suscite l'émancipation des consciences, mais qu'une force supérieure le réduit sans cesse à l'état de geôle. A l'humanisme éradiqué du XVIe siècle succéderont les Lumières importées par les armées de Napoléon, entre 1808 et 1814, cause d'une guerre d'indépendance d'une cruauté abominable. Machado et Lorca portent au plus profond de leur œuvre les stigmates de cette déchirure. La détresse des peuples rend plus juste la cause de l'homme.

La chute de la monarchie espagnole se voulait un changement de régime, elle fut un changement d'époque : instruction publique et réforme agraire. Ça, l'armée, la banque et l'Eglise n'en voulurent pas. Aux illusions de don Quichotte, héros de l'hispanité idéalisée, viendront se greffer d'autres illusions et d'autres idéaux, toujours en quête de cet homme libre et désintéressé qui n'a d'autre destin que de finir sur la croix. L'histoire de l'Espagne idéale n'est en effet qu'une interminable procession dont les rues de Séville forment l'étrange et picaresque univers. C'est précisément à Séville que naît Antonio Cipriano José Maria Machado le 26 juillet 1875. Petit-fils de celui qui introduisit le darwinisme en Espagne, éduqué au sein de la première école laïque du pays, où l'on cite Bergson et Montessori, l'Instituto libre de ensenanza (ILE), le jeune Machado débarque à Paris à l'âge de 24 ans et se lie d'amitié avec Paul Fort. Tête d'affiche du mouvement intellectuel espagnol, dit « Génération 98 », Antonio Machado publie ses premiers poèmes en 1903, avant de rencontrer le succès en 1912 grâce à Campos de Castilla, chef-d'œuvre par lequel il clame sa passion pour la ruralité espagnole. Il serait vain de chercher à classer Machado sur l'échiquier politique si ce n'est que son humanisme lui fait rejeter les totalitarismes et combattre par la plume l'aliénation des faibles. Professeur de français à Ségovie quand est proclamée la Ile République espagnole, le 14 avril 1931, il en hisse les couleurs (mauve, jaune et rouge) au balcon de l'hôtel de ville en chantant la Marseillaise. Anticlérical affirmé, se trouvant à Madrid quand éclate la guerre civile, ce républicain de centre gauche quitte la capitale pour Valence, siège du gouvernement légal, puis rejoint Barcelone en 1938. Eprouvé par l'écroulement de toutes ses valeurs, malade, voyant la République succomber, il se réfugie en France, fin janvier 1939. Il y meurt le 22 février, trois jours avant sa mère. Ecoutons à nouveau Aragon chanté par Jean Ferrat : «Machado dort à Collioure, trois pas suffirent hors d'Espagne, que le ciel pour lui se fit lourd, il s'assit dans cette campagne, et ferma les yeux pour toujours.» Sa tombe est toujours là.

Il avait écrit :«Le crime a eu lieu à Grenade. On le vit, avançant au milieu des fusils, par une longue rue, sortir dans la campagne froide. Sous les étoiles, au point du jour, ils ont tué Federico, quand la lumière apparaissait. Le peloton de ses bourreaux n'osa le regarder en face. Ils avaient tous fermé les yeux. Ils prient: Même Dieu n'y pourra rien ! Et mort tomba Federico, du sang au front, du plomb dans les entrailles. Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade.»

C'est par ces vers que Machado rendit un dernier hommage à son ami assassiné, le 18 août 1936. Les voici réunis dans ce monde où Lorca disait «être toujours du côté de ceux qui n'ont rien et auxquels on refuse jusqu'à la tranquillité de ce rien ». Le franquisme est mort il y a quarante ans, mais l'Espagne semble avoir préservé certains des vieux démons si chers à Cervantès. Alors ? « Aux cadavres jetés ce manteau de paroles, le bâillon pour la bouche et pour la main le clou », confirme Aragon. Ainsi en est-il de ce grand cimetière qui brille encore sous la lune.

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 022 524
Publicité