Jean Cassou sur Marianne en 1932
Une coïncidence fait qu'au moment où je récupère chez l'imprimeur deux livres sur Ramey, que je présenterai sous peu, M et Mme Beaudufe me mettent sur une autre piste : Jean Cassou sur la version de Marianne née en novembre 1932, et le 28 décembre nous trouvons un article sur... Henry Ramey (à un moment les deux hommes furent à l'école ensemble à Saint-Quentin dans l'Aisne). Je donne le lien avec les six articles d'un Cassou plus original que jamais. JPD
Sur l'illustration on voit une peinture de Ramey, et un échange bijou contre peinture et je me plais à y reconnaître Claire Valière mais il y a si peu de photos d'elle que j'en doute.
28 décembre 1932
Le Salon des Echanges
La peinture ne veut pas mourir. Elle se défend de toutes ses forces et elle vivra, dût-elle retourner à son âge cavernaire, au temps où elle se cachait dans les catacombes des arrière-boutiques et des ateliers au plâtre écaillé. Les galeries se rétrécissent perdent de leur éclat : la peinture y retrouvera les siens. C’est ainsi que la galerie Castel est allée, de l’avenue Messine, se réfugier rue du Général-Beuret, dans un de ces quartiers populaires, dans ces steppes qui s’étendent au-delà de Montparnasse et qui sont la véritable patrie de la peinture. De même le Salon des Exchanges vient de s’ouvrir à la porte de Versailles.
Ce n’est plus le luxe et la splendeur des vaines exhibitions que l’on trouve à ce Salon des Echanges, mais une sorte de fièvre alimentaire, une ardeur d’activité et de camaraderie, autant de choses qui prouvent que l’esprit n’est jamais plus vivement lui-même que lorsqu’il s’affirme tout près de la matière, lorsqu’il découvre fièrement ses vraies origines : la nécessité. Il y a dans ce salon formé d’ouvrages qui appellent non pas le succès mais directement et franchement du pain, du charbon et des pardessus, une dignité émouvante. Il est d’ailleurs, d’une très belle tenue et réunit un certain nombre d’artistes dont on se plaisait déjà à suivre la carrière pour leur sincérité, leurs qualités de bravoure et de persévérance. Tout cet ensemble relève d’une sorte de naturisme, sans prétentions spéculatives, mais qui plaît à l’œil et réchauffe le cœur.
L’intention de ce choix et la sévérité qui y a présidé, de même que l’énergie et la cordialité qui assurent le succès de toute l’entreprise doivent être portés au compte d’Henry Ramey, principal organisateur du Salon et peintre dru et clair. A côté de lui on retrouve les noms de Touchagues, à qui est due l’affiche du Salon, toute spirituelle dans sa simplicité graphique ; de Mme Zina Gauthier qui expose des imageries poétiques et savoureuses ; de Kikoine, Roberman, Mme Claire Valière, Gaspard-Maillol. On remarquera aussi les gravures de Raphaël Drouart, les envois de Bompard, ceux, toujours touchants de Mme Méla Muter, les fantaisies de Sterling ; et les petites comédies en plein air, particulièrement réussies cette année, si grouillantes, si divertissantes, de Francis Smith. Je signale également un peintre vigoureux, solidement doué et dont on n’a que trop rarement l’occasion de voir les productions : Biétry. Est-ce à ses origines jurassiennes qu’il doit cette matière schisteuse où il excelle ? En tout cas, il témoigne du plus robuste tempérament. C’est également la robustesse qui caractérise les envois de Feder, et l’on complètera et confirmera cette impression en allant visiter l’ensemble qu’il expose par ailleurs à la galerie Billiet : il y a dans l’œuvre de ce peintre une sobriété, une mélancolie, une allure rustique et lente qui inspirent une sûre sympathie. Jean Cassou