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Vie de La Brochure
16 avril 2021

La violence au Rugby en 1930

Taillantou

A ce moment là les Britanniques ont cessé de venir jouer en France vu la violence que j’ai déjà évoquée. Un des grands drames s’est produit le 7 mai 1930 au cours de la demi-finale Agen-Pau quand le joueur Taillantou a tué Michel Pradié d’Agen sur un placage. L’affaire a fait grand bruit car le tribunal de Bordeaux s’est emparé de la question et a condamné le coupable. Le journal L’homme libre était un de ceux qui menait compagne contre la violence et voici deux articles sur le sujet. J-P Damaggio

 

L’Homme Libre 23 janvier 1931

Le tribunal correctionnel de Bordeaux a rendu, au début de l'audience de cet après-midi, son jugement dans l'affaire Taillantou. Ce dernier est reconnu coupable involontairement de la mort de Pradié et condamné à trois mois de prison, avec sursis, et 200 francs d'amende. En outre, les sociétés intervenant au procès sont déclarées civilement responsables.

Le tribunal, dans ses attendus, déclare : 

« Que de l’ensemble des témoignages, il résulte, en fait, que le placage a entraîné une blessure mortelle par suite de la chute à terre ;

« Que l'autopsie a révélé l'existence d'une fracture ayant entraîné la mort par hémorragie. »

Il résulte des dépositions que le placage à retardement différé a occasionné une blessure ; que Taillantou n'a pas modéré son arrêt dans son élan, ce qui entraîna une chute sur Pradié de 82 kilos; que le placage ait été réglementaire ou non, il a eu pour conséquence la mort directe de Pradié; que le rugby français ne peut légitimer des brutalités ; qu'il est établi que la mort est due à un traumatisme violent exercé sur Pradié — ceci indique l'exagération de la force et de la violence de Taillantou, que l'ensemble de ces faits constitue une grave imprudence.

 24 janvier 1931

Sports de mort ou mort des sports ?

Ce jugement de Bordeaux que tous les gens sensés approuvent sera-t-il infirmé en appel ? Trois mois de prison avec sursis et deux cents francs au joueur de rugby que l'expertise médicale a reconnu coupable involontaire de la mort de son adversaire, dans un match sauvage, est-ce trop — ou n' est-ce pas assez ?

C'est trop, clament les sportifs. Et les autres — c'est-à-dire tout le monde — pensent que c'est assez. Car il ne s'agit pas d'envoyer en prison ou aux travaux forcés le joueur meurtrier, mais seulement de condamner le jeu qui provoque la mort et de ramener à plus de sagesse, à plus de douceur, on pourrait dire à plus de tact chevaleresque, des concurrents.., d'épreuves qui, en fait, n'ont rien de sportif.

Le condamné Taillantou porte, au surplus, un nom curieusement prédestiné. Le sport ne consiste pas, ne doit pas, du moins, consister à tailler en tout, sans mesure ni discernement.

Or c'est de cette façon que, jusqu’à présent, trop de prétendus sportifs l'ont compris. Non pas, certes, qu'ils soient venus sur le terrain avec la préméditation de tuer   ni même avec l'idée même confuse qu'ils pourraient tuer ou seulement blesser impunément.

Ce n'est pas cela. C'est l'entraînement détestable à frapper en sourd, c'est la folie croissante qui pousse le combattant à ne plus penser qu'à l'issue du combat sans s’embarrasser des moyens. C'est cette sorte de brutalité native qui monte de l'homme à mesure qu'il ne considère plus que sa seule force et la seule supériorité de celle-ci.

C'est cela qui est condamnable. C'est cela que le tribunal de Bordeaux a fort bien fait de condamner.

Le sport est, en effet, une chose — et la brutalité une autre.

A tort on a cru et enseigné que le sport est le moyen de développer au maximum la force physique, musculaire et nerveuse de l'homme. Si le sport n'était que cela il faudrait le bannir délibérément de nos mœurs, car il n'aboutirait qu'à former une sélection de beaux animaux parmi une cohue de simples brutes. Mais le sport n'est pas, ne doit pas être que cela. Il doit être, aussi, peut-être surtout, une formation autant morale que physique ; il doit développer les qualités de sang-froid, de maîtrise, de mesure autant que la force du muscle ou la résistance du nerf. Il doit apprendre à son adepte à être ou à devenir un homme complet, c'est-à-dire aussi bien éduqué au moral qu'au physique.

Or le rugby, tel qu'on le pratique trop volontiers depuis ces dernières années n'est qu'une furie de coups aveugles. Pour avoir le ballon le joueur ne considère plus rien que la lourdeur de son poing et la détente dynamique de ses muscles. Dût l'adversaire périr sous l'attaque ou sous le nombre, il faut gagner. Ainsi, d'une école de courage, d'adresse et d'honneur, on a fait une école de bestialité, de blessures et de meurtre.

C'est cela qui est inadmissible car, très au-dessus de la formation physique, il y a la vie. Et la vie doit être respectée par tout le monde — même par ceux qui prétendent la rendre plus belle.

En ce sens les sportifs ont tort de récriminer contre le jugement de Bordeaux, car ils se révèlent, ainsi, aussi peu ou aussi mal sportifs que possible.

Ils devraient, au contraire, remercier les juges d'avoir judicieusement et heureusement évité au sport le risque qu'il courrait en restant ce qu'il était, d'encourir la désaffection de tous les gens de sens et de cœur. Et le jugement, loin d'être cassé, doit faire désormais jurisprudence : c'est le seul moyen, tout à la fois, de protéger la vie des joueurs contre la bestialité des brutes — et le vrai sport contre l'avilissement des simples rixes.

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