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Vie de La Brochure
16 avril 2021

France-Pays de galles en avril 1930

Le lecteur va penser que j'insiste mais un tel article, au-delà du rugby, témoigne d'une époque et il m'étonne moi-même. Les histoires du rugby (comme les histoires sociales) font rarement référence à de tels événements. Le violence n'était pas seulement celle des joueurs mais celle des supporters aussi. Comment et quand a-t-elle baissé ? Est-elle de même nature que les coups de couteaux entre jeunes aujourd'hui ? Je pense aux foules qui se précipitaient pour voir l'exécution d'un condamné à mort. La violence fascine toujours plu ou moins. J-P Damaggio. 

L’Homme libre, 23 avril 1930

Mauvais sport ou petite guerre ?

Dimanche, à Bois-Colombes, les meilleurs amis de la paix ont eu un moment d'hésitation, une minute d'amertume. A voir ces joueurs de rugby se précipiter les uns sur les autres, se battre non plus sportivement, mais réellement, ils se sont demandé si le vieil adage latin serait toujours vrai, irrémédiablement vrai, si, en dépit des pactes et des traités, des accords et des désarmements, l'homme serait un loup pour l'homme. Car le pacte Kellogg ne s'étend pas au stade de Colombes.

Là les peuples se rencontrent sous le signe de la fraternité et s'approchent sous celui de l'émulation. C'est le sport qui est le signe de l'union. Le sport international qui doit préparer les Etats-Unis d'Europe.

Or, la bataille commence entre Français sur le quai des gares, aux terminus des autobus, aux départs et aux arrivées des tramways, aux entrées du stade — et jusque sur les gradins. Chaque troupe est animée de ce qu'on appelait pendant la guerre le « mordant » ou l' « esprit d'offensive ». Chaque combattant met toute son ardeur à se mesurer à l'adversaire. On crie d'abord, pour s'encourager. Puis les coudes jouent. Puis les poings. Quand le match commence, il y a déjà eu une sélection de faite dans le public : c'est devant un véritable « peuple élu », fier de sa culture physique, que les champions s'affrontent.

Que dire des champions ! Dans le match France-Pays de Galles, il ne manquait que des fusils, des grenades ou des couteaux de tranchées. Mais pieds et poings jouèrent au mieux le rôle d'armes. On se battit corps à corps, passionnément, ardemment, sauvagement. Boxe, jiu-jitsu, tout fut mis en œuvre. Loyalement, certes, mais pas doucement. Il y eut plus de coups durs que de coups de sport. A certains moments les blessés étaient en tel nombre qu'on dut conclure de véritables trêves pour les ramasser. Et puis l'on repartait, fonçant les uns sur les autres comme des béliers furieux.

Devant un tel réalisme de la bataille « vraie », le public, déjà sélectionné, prenait forcément feu. On oubliait l'Entente cordiale et la fraternité d'armes pour applaudir d'un côté le mauvais sort des uns — et de l'autre, la supériorité des autres. Si bien qu'en peu de temps, tout était transformé : la partie de rugby engagée pour un but continuait dans l'oubli du but et avec le seul dessein, des deux côtés, de mettre hors de combat l'adversaire ; et le spectacle, pour les spectateurs, devenait un véritable champ clos sinon de haines, du moins de passions mauvaises.

C'est miracle que ces passions mauvaises ne se soient pas déchaînées en bagarres sanglantes. Mais c'est déjà de trop que dans la fureur de leur expression, il y ait eu des femmes écrasées, des victimes jusque dans le public.

Allons-nous voir se généraliser ces manifestations assez peu recommandables ? Les peuples vont-ils s'exciter les uns .contre les autres, sous prétexte de sport et par les intermédiaires d'équipes uniquement éprises de victoires brutales, uniquement soucieuses d'écraser l'adversaire ?

S'il doit en être ainsi il faudra ne pas tarder à demander l'application du pacte Kellogg aux combats sportifs — ou, tout au moins, entourer ceux-ci d'une discrétion suffisante pour ne pas remplacer la honte de la guerre par la honte des jeux du cirque et des batailles de gladiateurs.

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