Le nez Spanghero et celui de Marquesuzaa
Voici un extrait amusant d’un très beau livre :
« J'ai compris que nous avions changé de monde ce samedi de tournoi où le nez de Walter Spanghero fut mis à mal, une fois de plus, dans une mêlée ouverte. Pour la plupart d'entre nous, dans notre tribune de presse, la péripétie était d'une telle banalité qu'elle ne méritait pas une ligne sur notre calepin. Un coup d'éponge humide sur le célèbre tarin de Oualtère et hop ! c'était reparti, somme d'habitude.
Nous n'y pensions même plus en regagnant nos bureaux du faubourg Montmartre. Walter n'y pensait pas davantage une fois le match fini. Nous avions longuement bavardé avec lui au vestiaire, nous avions évoqué les principaux aspects du match mais sans un mot à propos de son nez, lequel ne présentait ni plus ni moins de signes de mauvais traitements qu'à l'accoutumée.
—Heureusement que j'ai le nez. Sans ça, je le prenais en pleine gueule !
Quand il avait dit ça, notre ami avait épuisé le sujet. Et puis, nous étions blasés sur l'anecdote depuis qu'Arnaud Marquesuzaa, dit «Le Corbeau» pour la forme et la dimension de son nez, avait collectionné les fractures, les fêlures, les luxations, les saignements de ce superbe objet d'art, sans avoir une seule fois quitté le terrain pour si peu. En général, Arnaud se contentait d'appeler son capitaine et ami François Moncla : « François, de l'aide ! J'ai encore abîmé mon beau clocher. » Et Moncla avec un soupir et une technique consommée, d'une main se bouchant la vue et de l'autre se saisissant du cartilage palpitant, se mettait en devoir de le redresser tant que c'était chaud. Et hop ! Là aussi, le corbeau était sur sesq pattes et la partie recommençait. »