Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
8 octobre 2021

Salimata Sangare en 2006

Salimata Sangare

Reprise d'un artice d'Alters Echos n°1 mai 2006 avec dessin de Rosendo LI

En ce 7 février 2003, les départs vers les Canaries ont encore lieu à El Aaiun, Sahara Occidental.

Une vingtaine de personnes attend fébrilement sur la plage que s'éloignent à jamais les côtes africaines, sans imaginer la panne de moteur de leur barque, qui interviendra un peu plus tard. Le patron appelle au secours mais, faute de place, le chef de la patera de remplacement accepte seulement les locuteurs arabes. En conséquence, la coquille de noix de Sali se met à dériver avec dix-huit personnes à bord, au milieu d'un océan si grand que même les cent personnes mobilisées et équipées par les autorités espagnoles, pour les retrouver, échoueront !

Sali face à l'immensité du bleu. Autant dire, rien de réconfortant quand le «bateau de plaisance» mesure de quatre à cinq mètres, sans moteur ni moyen de communication.

Après quatorze longues journées de naufrage, Juan Antonio Barreiro, patron pêcheur, découvre, surpris, un radeau de la méduse «doté» de survivants inconscients. Sur les dix huit occupants, six loques humaines semblent encore en vie. Parmi elles, Sali qui restera deux mois dans le coma. Ivoirienne survivante, Salimata Sangare est la seconde fille d'une famille de sept enfants. Habituée à bouger, elle achetait des vêtements au Ghana qu'elle revendait à Abidjan.

Qu'est-ce qui la poussa vers le grand voyage ? L'explosion d'une bombe dans son marché.

Avec son amie Aminata, elles prirent la direction du nord. «Partir» ? Une formule bien douce pour évoquer une réalité si dure. Les assoiffés d'ailleurs s'arment de boîtes de sardines et de sodas moins chers que l'eau, pour s'offrir le voyage en payant de mafieux propriétaires de pateras (celle de six mètres est de la classe trois étoiles et sa fabrication crée des emplois). Un effort fou pour aller vers une Espagne sol y sombra.

Aujourd’hui, trois ans après, cet effort est plus fou encore !

Les dix embarcadères entre Tarfaya et Cabo Bojador ont été déplacés de force plus au sud, après Dakhla. Plus dure la traversée, plus dure la survie. Les cent kilomètres d'autrefois (quand Sali tenta l'aventure) nécessitaient douze à vingt heures de navigation.

Des nouveaux points de départ, le séjour en mer dure deux fois plus ! Ailleurs, ils rehaussent les grillages, ici ils élargissent la mer ! Et les barques sont vendues sans espoir de retour : plus personne ne fait le guide !

Grâce à son histoire médiatisée, Sali a des papiers en Espagne et, la joie retrouvée, elle a même un bébé. Mais après la lumière, elle découvre l'ombre. La première obscurité s'appelle le racisme. 60% d'Espagnols pensent qu'il y a trop d'étrangers. Pourquoi trop ? Parce que 54% pensent que le premier problème du pays, c'est le chômage (el paro) et qu'en conséquence, les étrangers deviennent des concurrents au moment de l'embauche. Pour 84% l'entrée du pays doit être conditionnée par un contrat de travail et 73% sont favorables au regroupement familial. Quant au droit de vote, 53% veulent le leur accorder pour TOUTES les élections !

Sali a un appartement : des amis sénégalais l'accueillent. Loin de la Côte d'Ivoire, les habitants d'Afrique comprennent qu'ils appartiennent à un continent. Un enfant, un toit, des papiers et pourtant l'impasse au bout ! Parce que Sali est sans travail pour assurer le tout (peut-être a-t-elle été embauchée depuis le 2 janvier ?). Elle a déjà tout fait, et veut faire tout. Va-t-elle à son tour maudire l'arrivée de travailleurs illégaux qui lui prennent sa place ? En ce 28 décembre 2005, elle apprend qu'une patera a réussi, pour la première fois, à atteindre l'île la plus éloignée de la côte, celle de Las Palmas. Des voyages toujours plus longs, des voyages toujours plus fous, pour un rêve toujours le même.

Sali, va-t-elle oublier la Côte d'Ivoire ? Un pays riche d'immigrations, lui aussi. Des hommes du Burkina vont sans cesse plus au sud. Je connais même plus particulièrement l'histoire de l'un d'eux grâce à un livre : «Cent ans au village » (1).

Sali, avec ton enfant, loin des sommités locales, loin de traditions ancestrales ou de mari exigeant, tu cherches du travail pour être enfin libre.

Quand, dans ma classe de CE2, je vois une fille qui s'appelle Song et un garçon Milosevic je sais que tu es inévitablement parmi nous. Que les multiples immigrations du monde constituent notre vie ! Pourquoi faut-il qu'on ne pense qu'à celle de France ? L'immigration explose les bornes du « chez nous » et prouve sans cesse, que le monde réel vit sans centre, pour qui accepte toutes les-coiffures. La tienne, Sali, c'est une magnifique casquette. Ne la perds pas !

Jean-Paul Damaggio

(1) « Cent ans au village »,

Michèle Dacher, Editions Karthala, 2005

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 471
Publicité