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Vie de La Brochure
11 décembre 2021

Le nouveau Vargas Llosa

asturias

Vargas Llosa a écrit La Fête du Bouc un roman contre celui de Vazquez Montalban Galindez. Il vient d'écrire Temps sauvage contre celui de Miguel Angel Asturias, Monsieur le président. (il marqua mon passage à l'Ecole normale en cours d'espagnol, merci M. Ranz). Vargas Losa veut occuper toute la place littéraire et pour ce faire il dit des choses intéressantes qui nous rappelent qu'il sait être très critique envers les USA. J'ai quelque part comparé MVL et MVM mais je ne rtrouve pas ce texte pour le moment. JPD.  

 Marianne / 10 au 16 décembre 2021

 Bal tragique à Guatemala City

À travers son dernier roman, "Temps sauvages", le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, 85 ans, tout juste élu à l'Académie française, raconte comment le coup d'État qu'a connu la petite république du Guatemala en 1954 a entraîné la radicalisation communiste de Fidel Castro et précipité l'Amérique latine dans l'âge des révolutions et des dictatures.

PROPOS RECUEILLIS PAR AUDREY LEVY

 Marianne : Vingt ans après la Fête au bouc, qui racontait les derniers jours du dictateur Trujillo en République dominicaine, vous publiez ce roman consacré à un épisode méconnu de la guerre froide: le coup d'État au Guatemala en 1954. Pourquoi ce livre?

Mario Vargas Llosa : Ces dernières années, de nombreux ouvrages et documents liés à l'intervention des États-Unis au Guatemala ont été publiés, notamment par le département d'État américain. Certains démontrent l'implication militaire, psychologique et médiatique des États-Unis dans ce coup d'État qui visait à écarter le président Jacobo Arbenz pour placer le colonel Castillo Armas. Richard Nixon était alors vice-président des États-Unis; Arbenz avait été élu par le peuple en mars 1951. Son élection et ses projets de réformes avaient suscité beaucoup d'intérêt parmi les forces de gauche dans toute l'Amérique latine, mais la désinformation était presque totale. Notamment aux États-Unis, dans un contexte particulier: en août 1953, craignant une invasion soviétique, Washington était intervenu en Iran pour aider les Britanniques à mettre fin au régime de Mossadegh. Même chose en Grèce, où les États-Unis avaient aidé à la formation d'un gouvernement militaire. Au Guatemala, les Américains ont cru voir en Arbenz un communiste, ce qui créa une immense confusion sur fond de guerre froide et de maccarthysme, époque où l'on voyait des communistes partout. Les États-Unis constataient que l'URSS étendait son influence : pour défendre leurs positions, ils ont mis en place ce coup d'État absurde.

 En vérité, le président Arbenz était tout sauf communiste. À travers ce livre, c'est l'injustice commise envers cet homme que vous tentez de réparer?

Jacobo Arbenz voulait transformer le Guatemala en une démocratie moderne, sur le modèle des États-Unis. Il voulait le faire sortir du système féodal des latifundiums [vastes exploitations entre les mains des grands propriétaires terriens] et le transformer en un pays moderne. Ce président était un libéral, il était même intervenu auprès du Congrès pour qu'il élimine de sa nouvelle Constitution toute possibilité pour le pays de nouer des relations diplomatiques avec un pays totalitaire. Lors de l'invasion militaire, il n'y avait pas un Russe au Guatemala! C'est donc une injustice, oui, qui a été commise envers ce héros tragique, dont l'histoire a gardé un souvenir confus. Sa fin est dramatique : il meurt au Mexique le 27 janvier 1971, dans sa salle de bains, par noyade ou brûlure due à l'eau chaude. Suicide, accident? On ne l'a jamais su.

 Que sait-on du rôle joué par la compagnie bananière américaine United Fruit, qui, inquiète pour ses intérêts, aurait lancé une campagne de propagande anti-Arbenz ?

L'United Fruit Company, qui régnait sur le Guatemala et sur toute l'Amérique centrale, craignait que les mesures portées par le nouveau président portent préjudice à ses intérêts financiers. Arbenz n'avait pas l'intention de nationaliser les terres mais voulait redistribuer les terres vierges aux paysans pauvres pour en faire de petits propriétaires, comme aux États-Unis. La compagnie bananière dirigée par Sam Zemurray a donc joué un rôle central dans le montage de l'opération militaire en faisant appel à un talentueux publicitaire, Edward Bernays, un neveu de Sigmund Freud ayant fait carrière aux États-Unis, où il était l'ami des grands patrons de presse. C'est lui qui a lancé l'opération en mettant en place une vaste campagne de propagande pour créer un climat favorable à la mise en place du coup d'État.

 Selon vous, ce coup d'État a eu de terribles conséquences dans toute l'Amérique latine, retardant d'un demi-siècle le processus de démocratisation...

Les efforts d'Arbenz pour convertir le Guatemala en un pays moderne avaient suscité beaucoup d'enthousiasme, notamment chez les jeunes. Déçus par la tournure des événements, ces derniers ont dès lors estimé qu'ils ne se libéreraient de l'emprise des États-Unis qu'en formant des mouvements révolutionnaires et en optant pour la guérilla armée, sur le modèle de Cuba. Ce qui a entraîné la mise en place de gouvernements militaires et dictatoriaux qui ont fait tellement de ravages en Amérique latine... Si l'on avait davantage soutenu Arbenz dans sa volonté de réformer son pays, l'Amérique latine n'aurait pas connu cette succession de coups d'État. Et si, au lieu de le considérer comme un ennemi, les États-Unis l'avaient traité en ami, l'Amérique latine aurait connu un autre destin.

 Vous affirmez que, sans ce coup d'État, il n'y aurait pas eu de révolution à Cuba. Et même que Castro ne se serait pas radicalisé...

Il suffit d'écouter le discours intitulé «L'histoire m'absoudra », prononcé par Fidel Castro lors de sa défense devant le tribunal, un peu plus tôt, en 1953, après l'attaque de la caserne de Moncada : c'est celui d'un social-démocrate dont le programme est similaire à celui de Jacobo Arbenz. Il n'est à aucun moment question de communisme. Castro pense qu'il faut soutenir la démocratie, et, bien sûr, en finir avec la dictature de Batista. Che Guevara, qui était au Guatemala lorsque le coup d'État a éclaté, a eu une grande influence sur Castro : il l'a convaincu qu'il fallait utiliser l'action armée et s'allier avec l'Union soviétique pour se défendre d'une invasion américaine.

 Dans Temps sauvages, on retrouve les mêmes personnages sulfureux que dans la Fête au bouc: le dictateur dominicain Rafael Trujillo, son âme damnée Abbes Garcia, mais aussi Martita, une Mata Hari guatémaltèque que vous avez retrouvée en Floride, âgée de 80 ans...

L'intervention de Trujillo au Guatemala reste mystérieuse. Sur place, on retrouve son chef des services de sécurité, Johnny Abbes Garcia, qui est aussi son assassin préféré, accusé de mille crimes. On ne sait pas pourquoi Trujillo l'a envoyé au Guatemala: voulait-il planifier une offensive contre le successeur d'Arbenz, Castillo Armas ? Le tuer? Ce n'est pas clair, j'ai donc dû faire appel à mon imagination. Dans le roman, tout est vrai d'un point de vue politique, les faits militaires sont authentiques. Pour le reste, j'ai beaucoup inventé. Certains personnages sont fictifs, d'autres réels, mais toujours racontés de manière libre. Le cas le plus mystérieux reste celui de Martita, qui fut, tour à tour, la maîtresse du président Castillo Armas, soutenu par la CIA, et de l'homme de main de Trujillo, Abbes Garcia. Le plus étrange, c'est que, le 26 juillet 1957, la nuit de l'assassinat de Castillo Armas, elle s'est enfuie du Guatemala, en avion, avec l'envoyé de Trujillo, direction la République dominicaine. Lorsque je l'ai rencontrée, miss Guatemala m'a raconté ce qui lui plaisait: on l'a soupçonnée d'être un agent de la CIA, mais elle ne l'a pas reconnu. Et si l'on a dit que Trujillo voulait tuer Armas après un violent différend, on ignore qui l'a réellement exécuté. Il y avait des conspirations un peu partout. L'assassinat de Castillo Armas reste un crime mystérieux, comme il en existe tant dans l'histoire de l'Amérique latine.

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