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Vie de La Brochure
1 janvier 2022

Jean Donat passe par Caussade

Par ce document Jean Donat passe par Caussade mais simplement parce qu’il l’a trouvé dans les archives de… Saint-Antonin. Une fois de plus, le propos pourrait tenir en deux lignes : "en tenant l'Etat civil l'église voulait tenir les humains" et quand l'Etat civil est passé entre les mains des autorités municipales ce fut ce qu'on appelle normalement une révolution. Mais pour Jean Donat il faut la preuve par le document, un document qui ne concrne pas que Caussade, bien sûr. J-P Damaggio

 

Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse 1931.

Consultation en Sorbonne sur la question des mariages de protestants

par M. JEAN DONAT

La ville de Caussade (Tarn-et-Garonne) embrassa le calvinisme au XVIe siècle. D'après Théodore de Bèze, la première prédication y fut faite le 3 août 1561 par le diacre Biron, et le nombre de ses disciples y fut bientôt important. Les protestants s'y trouvèrent plus nombreux que les catholiques.

Duras prit la ville en 1562, la détruisit en partie, faisant égorger les habitants et précipiter du haut du clocher les ecclésiastiques qui s'y étaient réfugiés[1]. Au XVIIe siècle, l'édit de Révocation y fut sévèrement appliqué. Nombreux furent les calvinistes de Caussade qui émigrèrent en Suisse, à Londres, Dublin, Leyde, Hameln, Doneburg, Berlin, Koenigsberg, etc., même en Amérique. Et chez ceux qui restèrent, les conversions furent très souvent plus apparentes que réelles. Elles étaient généralement intéressées, car elles permettaient ainsi de se soustraire aux tracasseries et aux poursuites, et conféraient aux nouveaux convertis, par un mariage religieux, un état-civil régulier, seul moyen de recueillir les successions et les héritages qui pouvaient leur revenir.

« Au XVIIIe siècle, écrit M. Hugues dans Les synodes du Désert[2],la question de l'état-civil prime tout. Tous ceux des nouveaux convertis qui avaient le souci de leur fortune, consentaient à toutes les formalités, même à l'abjuration, pour donner à leur mariage le caractère de la légalité et assurer à leurs enfants un état-civil régulier.»

Les synodes ont beau condamner cette pratique, les religionnaires essayent de biaiser: « Dès la Révocation, les premiers prédicants s'opposent énergiquement au baptême et au mariage civil; mais ils sont entraînés par le courant. Un synode de Languedoc (1718, art. 3) déclare que le baptême de l'Eglise romaine est valable»[3].

Cette situation explique l'inquiétude d'un curé de Caussade qui se demanda, au commencement du XVIIIe siècle, s'il pouvait, en conscience, administrer à ces faux convertis le sacrement du mariage. Pour mettre sa conscience en repos, il décida de soumettre le cas à l'appréciation des docteurs en Sorbonne. Voici sa supplique, avec la réponse de la Sorbonne, telles qu'elles se trouvent aux archives de Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne)[4].

« Me Joseph Feyt, prestre récement pourveu de la cure de la ville de Caussade au diocèze de Caors en Quercy, souhaitant éviter dans son ministère le relâchement et une sévérité outrée, supplie humblement Messieurs les docteurs en Sorbonne, à qui le présent mémoire sera remis, de vouloir bien luy donner par écrit sur l'expozé sy dessus leur décision, sur laquelle il puisse régler sa conduite et tranquilizer sa conscience. C'est une grâce qu'il leur demende par la charité de Jézus- Christ la plus pressante. Aussy se flatte-t-il qu'ils ne la lui refuseront pas.

« Ladite ville de Caussade contient environ autant de personnes de la Religion P. R. que des catholiques. Ces prétendus réformés sont aujourd'huy aussy attachés à leurs erreurs qu'ils puissent l'avoir jamais été : ils ne vont pas à la messe ni aux instructions, ni aux offices de l'Eglize que lorsqu'ils ont passé un contrat de mariage. Ils n'y manquent pas alors : on n'a même qu'à leur dire qu'il faut qu'ils se confessent et qu'ils communient, ils sont toujours prêts à faire tout ce qu'on exige, comme une condition d'où dépendent leurs mariages. Mais cette docilité ne dure guère que jusqu'à la bénédiction nuptiale. Ils ne l'ont pas plus tôt receuë qu'ils ne font plus nul exercice de catholicité. Et quarante années pendant lesquelles il s'est fait aud. Caussade une infinité de mariages desd. prétendus réformés ne fourniront pas un exemple de conversion faitte à cette occazion.

Une conduite si monstrueuze n'a rien de mauvais à leurs yeux, parce qu'ils tiennent de leurs ministres pour maxime incontestable, qu'ils peuvent conserver la religion dans le cœur, quoi qu'ils fassent au dehors dans un cas de nécessité, tel qu'est selon eux le cas du mariage pour marquer qu'ils y renoncent. Ce qui fait que tout ce qu'ils disent et tout conscience qu'ils font ne prouve rien en leur faveur, et qu'on peut le regarder comme de pures dissimulations et des vrays déguisements: d'autant mieux qu'une expérience constante fait voir qu'en effet ce n'est autre chose, et non moins qu'un changement réel et une vraye conversion.

« Pour cela, l'exposant demande:

« 1° S'il peut en conscience procéder au mariage de ces gens-là, en proclamer les bancs et leur donner la bénédiction nuptiale? Si, en ce faisant, il ne coopéreroit pas à la prophanation du sacrement, soit qu'il en soit le ministre, soit qu'il n'y soit que comme témoin principalement nécessaire? S'il n'est pas également obligé dans l'une et dans l'autre opinion de refuser son ministère, lorsqu'il ne peut pas prudement juger que les parties qui contractent sont dans les dispositions requises? Et s'il peut le juger ainsi à l'égard des parties dont il est ici question?

2° Si ce jugement seroit fondé sur ce que ces religionnaires vont à la messe et aux instructions depuis qu'ils ont arrêté et payé des articles de mariage? Si sur cette seule preuve de catholicité, un prêtre peut ou doit leur donner la bénédiction nuptiale? Si les maximes qu'il faut qu'ils suivent ne doivent pas leur rendre cette preuve suspecte et insuffizente ? S'il n'en doit pas du moins exiger équivoque; et, pour cet effet, attendre qu'ils remplissent tous les devoirs qu'impoze la religion catholique, apostolique et romaine, particulièrement à l'égard des sacrements? Et cela pendant un temps assuré et considérable, comme seroit deux ou trois ans, selon le plus ou le moins de ferveur qu'ils fairoient paraître, pour que, s'il étoit trompé, il le fût inocement de son côté.

3° S'il peut leur donner la bénédiction nuptiale sans les avoir plutôt confessés sacramentellement? S'il peut différer leur absolution jusqu'après leur mariage, pour éprouver leur sincérité? Et si le sacrement de pénitence ne doit pas nécessairement précéder, comme disposition, celuy du mariage?

4° Si, en les y admettant, il ne seroit pas convenable de leur faire faire une abjuration solennelle, plus capable, ou de les éloigner du mariage, ou de les retenir dans la vraye religion que tout ce qu'ils font en particulier et en présence seulement de leurs pasteurs ?

« Les religionnaires, ennuyés du retard de leurs mariages vivront, dit-on, dans un concubinage scandaleux. Et cet inconvénient est d'autant plus certain que les prétendus réformés se croyent véritablement mariés par la seule passation des articles ou du contrat, sans qu'il leur soit nécessaire, pour pouvoir vivre ensemble, de donner leur consentement en présence d'un prêtre, ni de recevoir sa bénédiction. Mais, pour éviter ce mal, le prêtre doit-il luy-même en faire un autre, tel qu'est la prophanation d'un sacrement? Et ne se rendrait-il pas coupable de cette prophanation, lorsqu'il employerait son ministère pour le mariage des personnes qu'il croit toujours attachées à l'erreur, et dont il n'a reçu nulle preuve satisfaisante de conversion?

« C'est ce que l'exposant prie encore très humblement et très instament Messieurs les Docteurs de vouloir décider, et luy donner par écrit leur décision. Ils l'obligeront infiniment, et il en conservera toute sa vie les sentiments de la plus vive reconnaissance.

« De Caussade, ce 1er février 1728. FEYT, curé. »

 

Et voici la réponse de la Sorbonne donnée deux mois plus tard:

« Le Conseil soussigné estime qu'un pasteur avant que de marier des personnes dont la foy lui est suspecte doit, pour s'en assurer, prendre tous les moyens que les loix du royaume, les statuts du diocèze et les règles de la prudence et de la charité lui prescrivent. Il doit :

« 1° Instruire avec soin les personnes des mystères et des maximes de la religion, de la sainteté et des obligations du mariage;

« 2° Les faire aprocher du sacrement de pénitence pour les disposer à celuy du mariage : la confession est un moyen très propre à les instruire et à prouver leur conversion par les prières, les exhortations, les conseils et les autres voyes que la charité et le zèle peuvent inspirer à un directeur sage et éclairé ; mais il ne paroit pas à propos de les obliger à recevoir l'Eucharistie : c'est un sacrement des vivants, qui n'est pas nécessaire pour se marier, et qui demende plus de dispositions que celuy de la Pénitence, qui est un sacrement des morts;

« 3° Les engager d'assister au prône, au catéchisme, aux offices de l'Eglise et aux autres exercices de la religion;

« 4° Avant de les admettre aux fiançailles, il seroit à propos de les faire jurer au pied des autels qu'ils font profession de la foy et religion catholique, apostolique et romaine, prometant d'y vivre et mourir avec la grâce de Dieu. C'est la pratique du diocèze de Paris, même à l'égard des catholiques, et qui est bien plus nécessaire par raport à ces chrétiens errans ou faibles dans la foy.

 

« Suivant ces maximes, on répond aux articles proposés:

« 1° Qu'un curé qui a pris ses précautions peut, en sûreté de conscience, accorder la bénédiction nuptiale à ces chrétiens assimilés : il ne coopère point à la prophanation du sacrement ; il ne fait que prêter un ministère extérieur qu'il ne peut refuser, lorsqu'il en est requis publiquement par ceux à qui les loix de l'Etat et de l'Eglise le permettent;

« 2° Dès lors que ces personnes professent extérieurement la religion catholique et paroissent en remplir les devoirs, un curé peut et doit leur accorder la bénédiction nuptiale qu'elles demandent publiquement, malgré les soupçons particuliers qu'il peut avoir de leur dissimulation. Il n'a dans ces occasions que la voye de remontrance, pour les engager à différer quelque tems leur mariage, pour s'instruir plus amplement des mistères de la religion catholique ;

« 3° Un prestre, dans le tribunal de la Pénitence, ne doit permettre à personne de se marier qu'elle n'ait reçu l'absolution. Mais, dans le fore intérieur, il suffit que le curé soit certain qu'elle soit confessée avant que de se présenter pour recevoir le sacrement du mariage. Alors, il n'est plus endroit de le lui refuser.

« 4° On ne doit pas exiger de ces personnes une abjuration solennelle, parce qu'elles ne sont pas sensées faire profession de la religion protestante, dont l'exercice est interdit en France depuis la Révocation de l'Edit de Nantes; mais on y peut suppléer, en les faisant jurer de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine.

« Délibéré en Sorbonne, ce 11e avril 1728.

« A. LEMOYNE, de ROMIGON, signés. »

Tels furent les moyens pratiques envisagés par la Sorbonne pour régler cette question spéciale du mariage. Cette réponse était de nature, semble-t-il, à permettre au curé de Caussade de concilier les devoirs de son sacerdoce avec les scrupules de sa conscience.



[1] Voir Moulenq, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, t. II, p. 251 et suiv., Montauban, Forestié, 1880.

[2] HUGUES. — Les Synodes du Désert, I. Inton p. XXXIV

[3] Benjamin FÂUCHER. — Les registres de l'état-civil de France, depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, Bibl. de l'Ecole des chartes, t.84, '1923

[4] Arch. de St-Antonin, GG28,

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