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Vie de La Brochure
19 janvier 2025

Vautrin-le-Paradis

Vautrin-le-Paradis

J'ai moins oublié Vautrin que je ne le pensais, d'où ce voyage en Louisiane de Christiane Baroche dont je ne sais où il a été publié. J-P Damaggio

Vautrin-le-Paradis

"Dance ce qui va suivre, on me pardonnera d'apostropher le lecteur par excès d'enthousiasme : le Vautrin est bien autre chose qu'un des romans bien placés dans le quarté des prix, c'est une des sagas éternelles qui accomodent la vie avec jubilation parce qu'elles sont la vie même !

UN roman-roman, un bon roman, un vrai roman, qu’est-ce que c’est ? La rencontre entre un personnage au chaud de son histoire et un lecteur. Il n’y a pas de réussite en ce domaine sans la belle amour, où l’on sombre corps et biens pour les beaux yeux d’un gaillard, jailli tout armé du livre qu’on tient. Quand la passion prend en masse pour plusieurs à la fois, y compris les plus contradictoires, et même les plus déplaisants, eh bien ! c’est que le roman est GRAND.

La définition me sert depuis cinquante ans de lecture acharnée car, bien qu’écrivain, je demeure une ogresse qui bâfre du romanesque d’abord.

Et le roman de Vautrin est un grand roman. Essayer donc de vous en tenir à un seul des oiseaux rares qu’il nous a concoctés, pour l’élection du personnage central de son bouquin et vous comprendrez votre douleur : le choix est impossible.

Ce serait-y pas Pop Raquin, qui tient sa ferme comme il peut, en bordure d’un bayou en Louisiane ? Pop est sec, petit, vif. Il délire en fanfare après boisson, il aime ses femme et fille comme il respire, et tant pis si les quatre murs de sa bicoque ne ressemblent pas à ceux de la belle maison blanche à colonnades dont il rêve depuis toujours.

Bon, mais, à la réflexion, ce ne serait pas plutôt Bazelle, son épouse? La belle Bazelle usée par le quotidien et que des envies rouges traversent, d’une autre existence, en ville, au milieu des parfums, des soies, des hommages et des hommes qui les font. Bazelle se laisse un jour attraper par un des coups de chaleur de la quarantaine qui vous prennent quand la quarantaine justement est délaissée... Et Bazelle effleure l’adultère avec une répulsion avide qu’une caresse trop adroite subvertira. A partir de là, le remords nuancé de regret l’achemine vers la mort dans le bayou, des pierres aux poches.

Vous oubliez Azeline, leur fille. Belle comme une aurore, et qui rêve debout, elle aussi. Quel homme la prendra de la tête aux pieds, l’emplira de lumières qui feront souche pour éclairer sa vie? Ce sera Farouche Crowley, le bandit au grand cœur, même s’il ne le savait pas. Farouche Ferraille, aux blondeurs de blé mûr, si haut, si beau, si vivant, et traqué jusqu’à la fin des orages. D’ailleurs, un orage l’apporte (en quelle scène, nom de nom !), un autre le remportera. Ce ne sont pas des êtres pour la tiédeur, ce sont des gens qui veulent tout et qui payent comptant.

Oui, Farouche et Palestine, son poursuivant, réservés l’un à l’autre comme l’arbre à l’éclair, comme le pôle + au pôle — d’un aimant cosmique, comme le Soleil à la Lune des vieux contes. Ces deux-là se fuient pour mieux se rejoindre et s’éteindre ensemble dans une mort qui ne fera pas le détail. Ce n’est pas tout, il y a encore Jimmy-Trompette, qui n’est autre que le fruit des amours d’Ageline et de Farouche. C’est la seconde partie de l’histoire, semée de trombones à faire pleurer Margot, de jazz grande époque et de rires d’enfants (de tous âges...).

De clins d’œil aussi, exactement pareil d’ailleurs que dans la première génération des Crowley-Raquin. Pour peu qu’on connaisse ses classiques, on repère vite que Farouche est un Robin des Bois nouveau, que Palestine Northwood fut d’abord un capitaine Achab! Evidemment Farouche est blond pâle parce que la baleine d’Achab est blanche ! Je n’ai pas l’intention de m’expliquer, seulement tous les lecteurs qui furent « petits » un jour se diront : « Oh ! mais c’est bien sûr ! »

Jimmy, ce serait pas le Kid? Qu’importe si son Chariot se transforme en Chocolate, presque toutes les lettres y sont et la couleur noire sur sa figure plus que sur sa jaquette. Un bâtard flamboyant, Jimmy ! C’est le cœur pur à qui tout est diamant !

A chaque nouveauté accouchée par Vautrin sa connivence! Ma foi, qui n’aimerait découvrir et retrouver dans le même mouvement de lecture de quoi jubiler vaillamment ou s’ébahir de bonheur?

Je ne vous dis pas tout, qu’est-ce que vous croyez? Il y a foule. Palestine, j’y reviens, pousse le bouchon bien au- delà de l’anecdotique. C’est un des plus sombres, il aime tuer, en même temps il en crève. Autrefois, quand il chassait la baleine, le bon droit était de son côté, c’était son métier d’harpon- ner le cachalot. Maintenant qu’il ne chasse plus que la prime à l’« outlaw », seule la loi l’accompagne, et encore... Parfois, il reçoit l’horreur de ses jours par le travers, il la rugit dans l’instant même où il tue les autres. Il suffit alors de se rappeler tous les personnages de Vautrin à qui échoit, comme à lui, le dur fardeau de vivre quand on n’en a pas envie ; rappelez- vous Groom, Ze Kick, l’obèse de Patchwork, tous ces types vêtus de noir comme l’inconnu des nuits de Décembre : Vautrin est notre dernier grand romantique.

Oh ! si vous préférez, je vous ouvre à la drôlerie tendre, celle qui entoure la vieillesse de Maman Kaputt. Elle voudrait tellement se perdre du côté d’Al- taïr avant de mourir, Maman Kaputt... Après le jazz de La Nouvelle-Orléans ou le trombone délicieux de Mulligan, je peux vous faire choir sur Maple Leaf, la fille de Jimmy. Elle a huit ans, elle se coince des cibiches sur la lèvre inférieure en attendant que son père devienne adulte, elle aimerait leur trouver une vraie mère, la délicieuse Tokyo-Rose par exemple, ils en ont tellement besoin, tous les deux. Et Maple Leaf, vous la reconnaîtrez, c’est la toute dernière résurgence de Zulie- Berthe. Maple, une fois de plus, est la digne petite fille de Queneau et de la sagesse des nations, Maple a toutes les chances dans sa petite tête bien faite : elle voit juste, loin, et calmement, c’est une perle. Cette fois, son Orient est un peu café au lait, mais c’est toujours en elle le cœur de Vautrin qui bat.

Ah ! sacré Jean, mon cœur se fend à vouloir faire avec toi cet avant-dernier pas vers le Bon Dieu ! Mais, cré Diou, quel livre!

Christiane Baroche

(Jean Vautrin « Un grand pas vers le Bon Dieu », roman Grasset. 116 francs. 440 pages)

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