Sur les femmes et la Révlution lettre de 1990
Je reprends ici une lettre de 1990 à laquelle je n'ai jamais eu de réponse qui témoigne de ma vision du sujet (elle n'a pas changé) et d'un projet qui n'a pas été réalisé. JPD.
Damaggio Jean Paul, Ecole Maternelle de Pomponne, 82000 Montauban
A Patricia Niedzwiecki[1]
Madame, Monsieur
Madame Deloche vient de me communiquer votre adresse, aussi je vous envoie mes objectifs concernant l'étude de la révolution et des femmes à Montauban, et deux photocops.
Dans un premier temps j'ai étudié à Montauban les années 1793-1794 sous l'angle des sans-culottes. Ce travail a donné lieu à une publication en 1987 (publication modeste par le tirage -100 exemplaires- et par les ambitions) et c'est un chapitre de ce travail que je vous envoie en photocop numéro 1.
C'est de là que m'est venue l'idée de travailler sur un sujet que je formule ainsi : Vivre et travailler au féminin pendant la Révolution à Montauban.
Mais depuis j'ai été sollicité ailleurs et en particulier par le petit ouvrage que j'ai publié sur la révolution et qui parle peu des femmes. Pourquoi ?
Je crois qu'étudier la question des femmes pour cette période historique suppose un tel changement de repères qu'il est préférable d'aborder ce travail dans une autre perspective que celle de mon petit ouvrage.
L'intérêt d'une étude historique sous l'angle féminin est le suivant :
- obligation de se pencher sur la vie quotidienne (les femmes n'ayant pas le droit d'exercer des responsabilités au niveau politique, il faut aller les rencontrer là où elles sont) ce qui ne signifie pas se détourner des grands thèmes (guerre, religion, économie, politique, culture) mais les aborder sous un autre angle.
- obligation à partir de la vie quotidienne de poser des questions peu posées (l'éducation, la santé, le travail - les femmes du peuple n'ayant pas de "foyer" la question de "la femme au foyer" ne se posait pas, "foyer" signifiant dans ce cas, un intérieur à s'occuper -, le réseau "associatif", l'amour ...).
L'enjeu ne peut pas être une histoire des femmes en tant que telles, ce qui à mon sens serait peu efficace, mais une histoire du social dans son ensemble grâce à la question féminine. L'éducation par exemple est peu abordée mais si on ne confronte pas la situation faite aux filles (photocop numéro 2) par rapport à celle faite aux garçons on ne fait même pas la moitié du travail, on se trompe. Il ne s'agit pas de regarder un côté, puis l'autre, mais de faire surgir le sens de l'histoire en confrontant l'un et l'autre. Le cas du suffrage universel masculin est tout aussi typique. Si, comme souvent on s'en tient à dire que la Révolution a permis le suffrage universel en oubliant malheureusement, ou heureusement pour d'autres, les femmes, alors on perd le sens du même du suffrage universel tel qu'il est conçu. Ce sont les raisons invoquées pour refuser le droit de vote aux femmes qui permettent de comprendre le sens de ce droit de vote et pourquoi la France fut ensuite un des pays à l'accorder avec le plus de retard (comment admettre que le Front Populaire n'ait pas accordé ce droit de vote aux femmes ?[2]). Même problème concernant la santé qui est un domaine presque pas évoqué concernant la révolution. Or la santé est une question très importante ! Pour la révolution elle touche au masculin le problème de soldats mais la mortalité infantile ou celle des femmes à l'accouchement font que sous l'angle féminin le sujet prend, une autre dimension qui à partir des femmes peu se poser sur tout le champ social.
Ce travail est difficile. Je ne me propose de le reprendre qu'en 1990 avec l'objectif d'arriver à un petit ouvrage comme celui sur la Révolution dans le montalbanais (qui en serait le deuxième tome) pour fin 1993. Cependant, si par rapport à vos propres objectifs et peut-être par rapport à vos délais vous pensez que je peux vous être utile, le mieux c'est de se rencontrer et d'en discuter. Sincères salutations. Jean-Paul Damaggio
[1] Je note aujourd’hui : Patricia Niedzwiecki est auteure et réalisatrice, docteure ès lettres et sciences humaines et docteur en études littéraires historiques et sémiologie du texte et de l'image de l'Université de Paris VII. Elle est experte consultante au Parlement et à la Commission européenne, et dirige l'institut de Recherche pour le Développement de l'Espace Culturel Européen IRDECOF.Patricia Niedzwiecki préside l'Association française de Féminisation. En tant que chercheuse, elle a participé à l'élaboration des codes de féminisation et des dictionnaires.