Il a 20 ans un président socialiste de l'OEA
Il y a 20 ans je tenais chronique hebdomadaire sur les Amériques. Je viens de les relire et je constate que le monde a bien changé. La gauche était en pointe (avec Chavez, Lula, Castro) et imposait aux USA un candidat socialiste à la tête de l'OEA. Insulza n'a rien fait en dix ans et en fait le monde a peu changé : double langage à gauche, féodalisation à droite. Je reprends cette chronique qui donne le ton de mon opinion qui n'a pas changé sauf que le double langage à gauche m'est devenu insupportable. J-P Damaggio
28 mai 2005
"Suite à ma dernière chronique, j’ai eu quelques remarques dont une d’un français actuellement au Venezuela. Il la trouva malveillante, aussi, pour vous éclairer, voici l’échange qui s’en suivit.
1 ) Bonjour, d'accord avec ton analyse sauf sur deux points importants et je ne sais où tu as pu pêcher tes infos (malheureusement fausses et malveillantes). Je suis au Venezuela en ce moment et je peux certifier que ni Castro, ni Chavez ne se sont réjouis de l'élection de Insulza, Castro l'a traité de "bobito" et Chavez a été à peine plus aimable. Cela étant, il ne faut pas complètement minimiser l’échec des E-U de ne pas avoir pu faire élire LEUR candidat même si Insulza ne vaut guère mieux. Un abrazo. Christian
2 ) Bonjour, Merci pour cette réaction car toute mauvaise info doit être dénoncée. Mais pour élire le secrétaire général de l'OEA il faut voter. Quel a été le vote du Venezuela ? Les mots sont une chose, les votes sont des engagements. Sur 34 votants, Insulza a eu 31 voix. Les 2 abstentionnistes sont affichés (Bolivie-Pérou), mais pas l'absent. Etait-ce le Venezuela ? Non. La déclaration n°424 du gouvernement du Venezuela (voir son site) titre : "Le gouvernement du Venezuela félicite le nouveau secrétaire de l'OEA". C'est vrai, le ministre de l'information indique qu'il souhaite que l'action de Insulza ne se transforme pas "en instrument d'agression et d'intervention impériale dirigée par les Etats Unis". Or, a-t-on vu les USA voter à contre-coeur ou sans garantie, pour un candidat à l’OEA ? Je peux souhaiter que l'eau se transforme en or ... Faute d'Insulza, les USA avaient préparé une candidature canadienne pour mettre tout le monde d'accord. Ils n'en ont pas eu besoin. Je défends les Bolivariens depuis longtemps, mais je suis pour analyser les réalités dans leurs contradictions. Je ne sais donc pas où est la malveillance ! A la prochaine. jean-paul damaggio
Informer et juger d’une politique sont deux données complémentaires mais pas identiques. Pour juger de l’action des Bolivariens, je renvoie au très bon docu-roman de Maurice Lemoine qui donne une vue d’ensemble sur 20 ans d’histoire, et qui s’intitule : Chavez présidente ! Comprendre comment les Bolivariens passèrent d’une stratégie de prise de pouvoir par les armes, à une stratégie par les urnes, comprendre comment depuis 1998 c’est seulement au fil des ans que Chavez devint une épine dans le pied de l’Impérialisme US, tout ceci permet de mesurer le chemin parcouru.
L’élection d’Insulza marque un tournant qui, pour certains, est un point de plus en faveur du Brésil et pour d’autres un point de plus en faveur des USA. Incontestablement la politique étrangère de Lula se veut offensive en marquant sa propre autorité, d’où, une fois de plus, la colère de l’Argentine (l’équipe à Lula aura intrigué pour faire élire un pape brésilien). Or la question cruciale n’est pas de féliciter Lula quand il tape du poing sur la table devant les USA, mais de savoir pourquoi il tape du poing sur la table. Il rêve de renforcer le propre néo-libéralisme brésilien plutôt que de réorienter le système. Ce faisant, il est un gendarme des USA comme ses troupes le démontrent à Haïti (pendant que Chavez soutient le président déchu Aristide).
Dans ce contexte, Chavez pratique la real-politik. Les défenseurs d’Insulza retiennent qu’il n’a pas été le premier candidat des USA ; ils trouvent préférable le vote de Chavez pour le Chilien qui évite l’isolement. D’où l’étude nécessaire sur le long terme : quel élément l’emportera. Jusqu’à présent les Bolivariens ont avancé vers la gauche mais nous ne pouvons pas dire jusqu’à quand et jusqu’où. Chavez pratique à la fois les déclarations « révolutionnaires » et la gestion « ordinaire ». Il a lancé l’ALBA avec Castro, pour contrer l’ALCA. Il a lancé l’idée de Petro-Sur ou de la CNN en espagnol et portugais. Lula fait semblant d’aller dans son sens mais fait traîner les projets où les vide de tout contenu « révolutionnaire ».
Le point noir de l’analyse de l’évolution à gauche de l’Amérique latine, je le trouve dans le refus de toute analyse du PT à Porto-Alegre. D’un côté les Bolivariens arrivèrent au pouvoir par « divine » surprise et depuis tentent de créer une force sociale capable de les soutenir. De l’autre, le PT arriva au pouvoir après un magnifique travail de fourmi pour constituer les forces sociales capables de soutenir sa politique. Or, les élections du 31 octobre 2004 ont montré l’avancée des Bolivariens et la désintégration du PT de gauche ce qui permet à Lula de mettre en place une politique néo-libérale qui enchante le FMI. Après avoir informé sur l’élection d’Insulza, voici mon jugement sur le tournant qui en découle.
Quand les USA acceptent un socialiste français à la tête de l’OMC ils peuvent accepter un socialiste chilien à la tête de l’OEA. C’est une nouvelle preuve que l’Internationale socialiste, qui n’a pas l’intention d’exclure deux membres aussi éminents, est devenue une complice plus direct que jamais de l’Impérialisme US qui renforce ainsi son hégémonie. La dite Internationale ne fut jamais un adversaire de l’Empire mais face aux combats décisifs lancés par les USA dans le monde, une prise de distance aurait pu se produire.
Non, le néo-libéralisme va pouvoir se transformer en néo-féodalisme pour assurer une nouvelle alliance entre les mafias, les pouvoirs politiques, les pouvoirs des églises et leurs sbires politiques. Sans que pour autant les problèmes économiques du système n’approchent de la moindre solution. L’avancée phénoménale de la pauvreté planétaire finira par submerger la richesse retranchée dans des bunkers électroniques. L’histoire reste et restera l’histoire de la lutte des classes, une histoire à étudier dans un nouveau contexte que les débats sur l’UE permettent d’affiner. 28-05-2005
Jean-Paul Damaggio