Mon dernier coup de fil à Bernard Ouardes

C’était le 22 avril après une journée à faire des confitures de fraises.

J’utilise très peu le téléphone et en plus j’avais peur de le déranger mais je pensais tomber sur son épouse qui m’aurait dit s’il était disponible.

En fait c’est lui qui a décroché. Comme je travaille sur le cas du décès de mon ami Nespoulous, je me replonge dans le monde des instits et je voulais vérifier ce qu’il m’avait dit : que son frère était instit et qu’il avait fait l’essentiel de sa carrière à Gasseras. Il m’a précisé que son frère se souvenait très bien de mon passage dans son école. J'y suis resté deux jours car j’ai reçu un coup de fil de l’Inspection pour m’envoyer travailler je ne sais où, et la personne m’a dit qu’elle était de ma famille (d'où la marque sur ma mémoire). En fait je remplaçais les instits en formation et je ne connaissais pas tous ceux de l’école tandis que moi acteur d’un journal syndical (et même brièvement semi-permanent et délégué du personnel) j’étais assez facile à repérer (pour les inspecteurs aussi). Bref je ne l'ai pas connu.

De son frère on est passé à son père dont il m’avait souvent parlé, lui indiquant que j’avais trouvé une référence le concernant, quand il était gendarme à Lavit (16 avril 1939 document en image). Il me précisa qu’il avait fait sa formation à Roanne mais à condition de pouvoir exercer dans le Tarn-et-Garonne où en effet il passa dans de nombreuses gendarmeries à commencer par Lavit où est né le fameux frère. Oui son père aimait bien tout ce qui touchait au sport.

Gendarme à partir de 1939, quand on sait le rôle de la gendarmerie ensuite, entre 1940 et 1944, n’était pas anodin. Mais il était fier de ce père qui n’a pas cédé face aux adversaires.

J’ai étudié les rapports de gendarmerie des officiels de l’institution entre 1940 et 1944 et il est facile de constater qu’elle ne se plaçait pas exactement à la remorque du pouvoir. Par exemple elle contesta frontalement la création de la milice.

Beaucoup de juifs ont évité l’arrestation sur le conseil de gendarmes.

Attention je ne sous-estime pas la place de ceux qui étaient du côté du pouvoir mais je pointe des contradictions qui existaient dans toute la société dont les gendarmes indiquaient clairement qu’elle ne soutenait pas le régime en place.

Tout en parlant la voix de Bernard devenait plus ferme et je ne savais pas que je ne l’entendrai plus. Il existe plus facilement des mémoires visuelles que sonores. Je garderai sa voix en mon oreille en me rappelant ce moment du 22 avril 2025.

Jean-Paul Damaggio