USA : Tocqueville contre Lafayette
Au Cabildo de La Nouvelle Orléans, deux salles sont consacrées, de belle manière, à Lafayette et à l’histoire de France. Il y est rappelé que c’est la dite révolution qui donna la géographie politique du monde avec la gauche et la droite et au milieu le centre.
En apprenant la révolte des colons des Amériques contre les Anglais Lafayette a aussitôt pris la mer pour voler à son secours. Par haine classique des Anglais ? Lafayette le démontrera sa vie durant : ce fut pour la république. Au musée il est rappelé qu’il était franc-maçon et qu’il vola donc au secours de ses « frères ».
Comme moi il fit le voyage cinquante après, et il fut accueilli partout avec les honneurs, mais, là aussi, le musée est précis : en privé il trouvait insupportable la présence de l‘esclavage.
Dès 1780 Lafayette appartenait à ce groupe puissant en France qui condamnait l’esclavage mais sans demander pour autant son abolition d’un trait de plume.
En 1825 le bilan de l’histoire est clair :
- La disparition progressive de l’esclavage ne s’est produite nulle part.
- L’abolition d’un trait de plume ne fut jamais une réelle libération des Noirs.
En 1808, aux USA, la traite des Noirs est interdite et les auteurs du texte pensaient sans doute qu’en s’attaquant à la source, petit à petit, l’esclavage allait disparaître. Mais là comme ailleurs, l’écart entre le dire et le faire est immense. En 1860 l’esclavage ne cesse d’augmenter. Or la méthode «douce» faisait ses preuves avec la réussite des Noirs libres (souvent des ex-esclaves de colons français) plus nombreux qu’on ne pense généralement. Leurs enfants étaient des Noirs libres et ils pouvaient se livrer aux tâches de tout un chacun. Ils étaient la preuve que l’esclavage des Noirs n’était pas une fatalité liée à la race.
La Révolution française, d’un trait de plume a aboli l’esclavage après des révoltes aux Amériques, puis Napoléon l’a rétabli. Ceci étant cette révolte aida beaucoup Simon Bolivar qui pour chasser le pouvoir espagnol et devenir le libérateur du sud continent a dû commencer par libérer ses 1600 esclaves.
Quand la Révolution de 1848 en France reprend l’abolition de l’esclavage d’un trait de plume, il avait déjà fortement diminué dans ses colonies, et il ne fut pas suivi comme aux USA par la ségrégation.
Et Tocqueville alors ?
En 2007 Martin Legros écrit : « Je voudrais plutôt creuser l’écart entre le politique et le philosophe, entre l’acteur (de la colonisation française) et le témoin (du problème racial et esclavagiste aux États-Unis)… et penser avec Tocqueville contre Tocqueville. »
En fait Tocqueville comme des milliers de gens de toutes conditions a rêvé les Amériques. Certains y ont vu l’eldorado, d’autres les Amazones et lui il y a rêvé la démocratie. Des socialistes utopistes sont partis créer des sociétés nouvelles et d’autres plus matérialistes sont partis y faire fortune. Marx a pu mesurer la nouveauté et les limites de cette nouveauté mais lui aussi avec quelques illusions.
Ce rêve des Amériques traverse toute l’histoire européenne. Et après 1945 il va prendre un nouvel élan dans la jeunesse (peut-être en France plus qu’ailleurs, je ne sais).
En 1971 une frange du PCF fait d’Angela Davis une grande cause pour, sans nul doute, ternir le rêve déjà dans un piètre état avec la guerre au Vietnam. Mais l’opposition à cette guerre aux USA... va alimenter le rêve. Comme s'il était impossible d'y échapper !
Bref Tocqueville en 1835 renvoie dos à dos les esclavagistes et leurs opposants qui dans les usines du Nord ne traitaient pas mieux les Noirs. Son livre est une abstraction que certains vont appeler philosophie. En tant qu’enchaînement d’abstractions il est génial.
Si bien que quand la Révolution de 1848 se cherche une Constitution il propose et obtient l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Le lendemain matin, la nuit portant conseil, il décida d’ajouter une condition : un seul mandat. Il fabriqua ainsi le Second Empire en France et bien plus… En terme, de démocratie…
Tocqueville est mort trop tôt en 1859, il n’a pas pu refaire le voyage aux USA, peut-être pendant la guerre civile, pour revoir son rêve. Je me régale à lire ses souvenirs… Jean-Paul Damaggio