L’énigme San Martin
Il était une fois un maire d’une ville moyenne qui, un soir de beuverie à Paris, invita ses amis du jour, à venir tenir festival dans sa ville, avec subventions à la clef. Il fallait des circonstances aussi étranges pour que dans le wagon on y trouve un simple citoyen de Boulogne sur Mer acceptant de tenir conférence. Et, à moi qui connaissais un peu l’histoire de l’Amérique latine, il ne pouvait que me laisser un souvenir impérissable car je ne savais rien de l'histoire qu'il conta. Je le vois encore déroulant devant nos yeux son érudition très spécifique, sa passion totale, son énigme San Martin. La tombe d’un de ses parents était-elle proche de celle San Martin à Boulogne sur Mer ? Ou sa maison était-elle dans la rue où vécut El Libertador ?
L'immense statue équestre qui est à Boulogne a dû mobiliser son attention (ci-contre). C’est à l’initiative de quelques compatriotes venus à Boulogne que l’idée d’un hommage prend racine. Après une récolte de fonds par souscription aussi bien à Paris qu’à Buenos Aires, la statue de 8,70 mètre de haut est réalisée en 9 mois par le sculpteur Henri Allouard et elle inaugurée le 24 octobre 1901. Réalisée en bronze sur un piédestal en pierre, elle représente le Libertador portant un drapeau sur un cheval au trot, avec à ses pieds “La République” lui offrant une couronne de laurier. De l’autre côté de la statue se trouvent de nombreux symboles martiaux tels que des sabres, des canons ou encore des fusils.
(ci-contre maison de San Martin Boulogne)
Mais l’énigme est la suivante : pourquoi l’homme qui libéra l’Argentine, le Chili et le Pérou est-il venu, son acte accompli, vivre et mourir dans cette ville française ?
Ils ont été trois généraux, Alvear, Belgrado et lui à avoir conduit des guerres de libération express puisqu’en dix ans tout le cône sud est débarrassé de la présence espagnole y compris Lima en 1821 où il est nommé Protecteur du Pérou où il impose l’abolition de l’esclavage.
Mais au même moment du côté nord, un autre général, Bolivar, conduit la même guerre et les deux libertadors se retrouvent face à face au nord du Pérou.
Ils se rencontrent et entre francs-maçons ils se partagent les rôles : Bolivar reste le seul maître à nord et San Martin repart pour l’Argentine. En 1823 il se retrouva à Mendoza en pensant y rester mais le décès de son épouse, et la course au pouvoir l’incitèrent à quitter le pays en compagnie de sa fille de 7 ans Merceditas donc il partit pour l'Europe. L’Espagne lui était déconseillée vu la guerre qu’il venait de livrer contre le pays.
San Martin a baissé les bras mais de mon point de vue l’histoire lui a donné raison. De 1822 à 1850, date de sa mort dans l’anonymat, il a pu vérifier deux données qui déplurent à Bolivar : l’Amérique latine restait fortement fractionnée en plusieurs pays, et si le système républicain était inévitable car il était impossible d’inventer pour ces pays des monarchies (tout comme aux USA), il n’en demeure pas moins qu’en guise de Républiques, les pays ont eu droit à des caciques.
Tocqueville admira les USA qu’il qualifiera dans un livre célèbre de démocratie américaine, démocratie sur laquelle la France pouvait prendre modèle, en oubliant qu’aux Amériques la République était inévitable alors qu’en Europe la Monarchie restait inévitable. Seule la France guillotina un roi pour passer ainsi à la République. Si l’Angleterre en tua un aussi bien avant, ce fut seulement pour mieux continuer la monarchie.
San Martin n’était pas ébloui comme Bolivar par le rêve d’une Amérique latine unitaire et démocratique, un rêve qui n’était, selon Marx, qu’une façon d’imposer son Césarisme à une vaste étendue. Et parce que Bolivar rêve l’impossible au nom des utopies il resta dans les mémoires. Tandis que San Martin en cherchant le réalisme ne pouvait rien espérer du futur.
En Europe, il s’installa en Grande Bretagne (ce qui confirma certains dans l’idée qu’il était prêt à offrir le pays an Anglais) puis à Bruxelles où il vivait modestement avec sa maigre pension. En 1829 vu la guerre avec le Brésil il pensa revenir offrir ses services mais il ne débarqua même pas, les mêmes querelles le firent fuir cette fois en France. Il y bénéficia de l’aide d’un ami de jeunesse Alejandro Aguado puis en 1848 fuyant les émeutes, il partit pour l'Angleterre mais en passant à Boulogne sur Mer il y resta et y mourut pour deux ans après en 1850.
En 1910 pour le centenaire de la Révolution en Argentine San Martin fut honoré d'un beau dessin dans Le Figaro.
Par la suite, la ville de Paris décida en juin 1927 de rendre hommage en même temps à Bolivar et San Martin. Elle a même ajouté dans le lot pour Jacques-de-Liniers qui je le suppose avait été tout aussi Franc-maçon que les deus autres.
Godin Pierre président du Conseil municipal de Paris a déclaré :
Le Général San Martin, lui aussi, avait appris tout jeune à connaître la France, en la combattant il est vrai, mais il ne devait pas lui en garder rancune, puisque, son œuvre accomplie, c'est en France qu'il vint passer les vingt-cinq dernières années de son existence. Lui aussi, il avait subi profondément l'influence des idées françaises, qui, du reste, avaient depuis longtemps traversé l'Océan et avaient fait, à travers toute l'Amérique du Sud, d'innombrables prosélytes, de sorte que, à peine lancé par la grande voix de Simon Bolivar l'appel à l'indépendance, ce fut comme une traînée de poudre dont s'embrasa toute l'Amérique latine, ce fut un formidable incendie qui ne devait plus s'éteindre tant qu'il n'eut pas consumé jusqu'aux dernières traces de la domination étrangère.
Discours de M. F. Alvarez do Toledo, Ministre d'Argentine a déclaré :
Le caractère de San Martin était trop droit, trop austère, trop inflexible, pour pouvoir assister sur ce sol qu'il avait délivré, à des luttes fratricides, il partit donc résigné, mais plein de tristesse, pour éviter un spectacle si douloureux à son âme de patriote, et c'est la France qu'il choisit comme dernier asile. Il termina sa vie au milieu de ce peuple français si généreux, si accueillant, sur cette terre de liberté. Ses derniers jours s'écoulent à Boulogne-sur-Mer, protégé par l'amour de sa fille, mais oublié hélas ! des peuples pour lesquels il avait tout sacrifié. Il aimait cette vieille cité de la côte française, il s'y laissait bercer par l'éternelle chanson des flots, et rêvait, comme rêve un père, à l'avenir de ces peuples latins, qu'il voyait grands et forts et qu'il voulait étroitement unis dans un idéal de civilisation, de paix et de progrès. Il mourut le 17 août 1850 entouré du respect, de la sympathie et de la considération des habitants de Boulogne qui admiraient la grandeur d'âme de ce vieillard austère et silencieux, presque aveugle, et qui entourent aujourd'hui de respect et de soins le monument élevé sur la plage à sa mémoire. Notre gratitude pour la France sera éternelle pour la généreuse hospitalité qu'elle accorda à San Martin.