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Vie de La Brochure
29 septembre 2019

Peut-on résumer la pensée de Patrick Tort ?

A chaque assemblée générale de l’Institut Darwin, Patrick Tort tente de redire et redire encore, à un petit public de convaincus, ce que signifie la civilisation. Car si pensée il y avait à résumer elle s’appellerait : civilisation. Sauf que la première tâche consisterait d’abord à se défaire du sens commun du mot imposé par l’idéologie dominante d’où une lecture qui s’impose : Qu’est-ce que le matérialisme ? En fait la question posée est illégitime pour plusieurs raisons.

 Le global et le fragment

Il ne s’agit pas d’expliquer que le capitalisme impose sa loi à la société puisqu’il impose sa loi à lui-même. Si l’objectif diviser pour régner a été celui de tous les pouvoirs, pour le capitalisme à son stade actuel, il procède par la fragmentation permanente lisible dans la multiplicité des associations mais plus encore dans la multiplicité des ONG, non pas à partir d’un choix voulu, organisé, mais à partir de l’inévitable système qui l’anime.

Contre cette tendance à la fragmentation la pensée de Patrick Tort se veut politique, dans le sens de pensée globale, pas seulement pour unir contre les forces de division, mais pour réinventer la civilisation.

Résumer la civilisation

Faute de pouvoir résumer, le chercheur aime répéter le schéma :

1 ) la vie sur terre a connu l’époque de la sélection naturelle.

2 ) la sélection naturelle a conduit à une vie humaine, la civilisation, qui s’est forgé contre la sélection naturelle.

3 ) Le moteur de la sélection naturelle ayant été neutralisé, la civilisation est arrivée au stade du capitalisme et ce capitalisme. Comme au sein de la sélection naturelle, il change la fonction de ce qui le constitue : passer de l’exploitation à la séduction ; passer d’un matérialisme de fait à un symbolisme comme force agissante ce qui conduit au retour de la sélection naturelle donc à la mort de la civilisation !

 

A Puycelsi, lieu classique des Assemblées générales de l’Institut Darwin qui y a son siège, nous sommes très près de Gaillac, foyer historique du premier philosophe à avoir pensé le capitalisme de la séduction. Michel Clouscard a été ébloui par sa propre découverte sans pouvoir passer à l’étape suivante : comment dans ces conditions sortir de ce capitalisme ?

Précisons que ce capitalisme de la séduction ne signifie en rien une démarche programmée par l’idéologie dominante pour repeindre avec de belles couleurs un système d’exploitation devenu trop voyant. La séduction est devenue le système lui-même et on comprend alors que la découverte ait effrayé tant de marxistes pour qui le système lui-même n’est autre, à jamais, que la quête de la plus-value au cœur du système productif. Mais dans le capitalisme de la séduction, la séduction n’est autre que le capitalisme lui-même, à savoir le meilleur moyen d’extraire de la plus-value ! Donc le drame est là : poursuivre la civilisation sur un artifice de civilisation est une voie sans issue autre que le retour à la loi de la jungle.

 La loi côté cour, côté jardin

Et là nous avons tous un problème avec la loi : la loi politique (celle de la civilisation) a repris le mot loi à la loi naturelle (celle de la sélection naturelle qui n’est autre que la dite « loi de la jungle » et qui est l’exact contraire de la loi politique). Quand, par le système en place, la civilisation conduit l’artifice au cœur de son développement, ce développement n’est plus seulement la mort du système (comme on a connu la mort de tant de systèmes) mais la mort de la civilisation elle-même ! Et nous sommes à l’orée de cette mort quand le dit système après nous avoir fait croire à la factice guerre des civilisations, nous conduit  vers une vraie guerre à la civilisation. L’homme serait devenu l’être le plus malfaisant de la planète !

 Donc qui pour appuyer sur le levier ?

Après sa découverte du capitalisme de la civilisation Michel Clouscard se trouva orphelin malheureux si bien que pour continuer ses recherches il est allé chercher au cœur de la bataille qui traversa Les Lumières, en s’appuyant sur Rousseau pour mieux ridiculiser Jean-Paul Sartre. Il a compris que l’adversaire à sa portée était bien Jean-Paul Sartre mais pour mieux masquer ce qui le rongeait : qui dans le capitalisme de la séduction pouvait être la classe révolutionnaire ? Il n’a jamais osé pousser sa découverte jusqu’au bout.

Supposons donc pour résumer que nous ayons ce tableau en trois éléments :

Une montagne à soulever, un levier comme outil, une force appuyant avec succès sur le levier.

Clouscard a découvert la nature de la montagne à soulever.

Pour le levier, rien de changé sous le soleil : il s’appelle la lutte des classes (lutte bien antérieure au capitalisme).

Mais la force, où est la force quand la classe ouvrière était la force par excellence du capitalisme d’exploitation mais beaucoup moins la force d’un capitalisme de la séduction ? Il pensa à une classe ouvrière élargie aux ITC (ingénieurs, techniciens, cadres) mais il n’était pas convaincue lui-même par cette construction issue de l’ancien capitalisme. C’est là que Patrick Tort intervient : cette force s’appelle la civilisation.

Ainsi nous revenons à la case départ. Dans le capitalisme d’exploitation la classe ouvrière, en défendant ses intérêts, défendaient ceux de la société mais dans le capitalisme de la séduction, la classe ouvrière en défendant ses intérêts est devenue une des meilleurs défenses de ce capitalisme (rien à voir avec la notion gauchiste d’embourgeoisement de la classe ouvrière) ! Le levier lutte des classes n’est plus seulement sociologique, la classe capitaliste du côté de la montagne à soulever et la classe ouvrière de l’autre, mais l’économie contre le politique. Là aussi rien de vraiment nouveau si bien qu’historiquement c’est plus souvent un front de classe qui a mis en échec le capitalisme qu’une classe elle-même, d’où le nom de front populaire (on me dira que la classe ouvrière, pour reprendre un mot moderne, était structurante).

 

Le travail ne serait plus central ?

Ce fut la crainte de marxistes face à l’idée de capitalisme de la séduction, ou face à l’idée que la classe ouvrière ne serait plus la classe révolutionnaire. Mais tournez la question comme vous voudrez le travail c’est justement la civilisation ! Ceux qui marginalisent le travail sont les mêmes que ceux qui marginalisent le politique, ils sont déjà happés par le retour de la loi de la jungle. Si je prends le syndicalisme qui a été la pièce angulaire de la mise en cause du capitalisme d’exploitation, il a un impérieux besoin de se reformuler et il y a eu des tentatives dont la plus cruciale a tourné autour du nouveau syndicalisme agricole que la Confédération paysanne a symbolisé un temps. Défendre les paysans c’est défendre l’alimentation humaine mais dans le système en place, le corporatisme de la FNSEA ne pouvait que s’en trouver mieux car institutionnellement les soutiens non paysans à la Conf’ ne pèsent rien et la Conf’ a donc été contrainte d’en revenir à une défense corporatiste de ses propres adhérents sauf que les petits paysans disparaissant, la Conf’ a perdu des voix aux élections professionnelles.

 

Conclusion factice

Il ne s’agit pas de résumer Patrick Tort mais de tisser la loi civilisatrice.

La droite contre la gauche (ou l’inverse ou la posture au-dessus de ce faux conflit) a démontré depuis longtemps que le système continuait sur sa propre pente.

L’appel aux associations porteuses d’alternatives conduit au même résultat. Je pense à des agriculteurs bio qui avaient inventé un yaourt original : quand Nestlé est venu les racheter ils ont rigolé… un temps, puis ils ont compris qu’ils devaient céder !

Seul le retour du politique est l’arme capable de changer la pente actuelle imposée à la civilisation par le système capitaliste. Le besoin de ce retour est instinctivement présent chez les citoyens, mais toujours maltraité, déformé, manipulé, il n’arrive pas à s’imposer. Le politique n’est pas le lieu du consensus mais au contraire le lieu du dissensus assumé par la loi, par le retour à la loi politique. Lisez une loi de 1905 et une loi de 2015 et vous mesurerez que le capitalisme de la séduction a été conduit à se servir de la loi politique pour tuer la loi politique ! J-P Damaggio

P.S. Dans ce texte il faudrait pointer distinctement ce qui ressort du déterminisme du système et ce qui ressort de la volonté du système. Entre autres aspects illisibles…

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