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Vie de La Brochure
29 octobre 2019

Redeker face à Georges Duby

Hier en faisant aiguiser ma tronçonneuse chez un ami (il me faut penser à couper le bois), nous avons eue une belle conversation autour du cas Redeker et quelles autres questions. Redeker vient de prendre sa retraite d'employé du CNRS et il semble avoir plus de temps pour écrire avec passion. Sur Le Figaro, sur l'Express et surtout sur Marianne. Je reprends ici un article qu'il consacre à Georges Duby et donc à la quête de l'historien. J-P Damaggio

 

Georges Duby, l'historien-artiste, fait son entrée dans la Pléiade

Par Robert Redeker, Publié le 07/10/2019 à 18:00

L'universitaire qui a fait, dans les années 70, de l'histoire une discipline subjective et littéraire, fait son entrée dans la prestigieuse Pléiade.

Georges Duby est tellement connu et honoré que le tranchant de sa pensée a été oublié. Dans les années 70 et 80, cet historien universitaire de premier plan, différent des historiens médiatiques de seconde main, car faisant réellement de l’histoire, accéda à la célébrité en hissant ses livres intellectuellement exigeants parmi les meilleures ventes. Le relire aujourd’hui, grâce à son entrée en « Pléiade », permet de mesurer à quel point Duby est étrange. Il professait une très singulière idée du savoir historique. Au rebours de la scientificité revendiquée par la plupart de ses collègues, renvoyée à l’illusion, et de la religion de l’objectivité, écartée comme erreur méthodologique, l’histoire est pour lui une discipline subjective.

« Je n’ai pas du tout l’intention de masquer la subjectivité de mon discours », reconnaissait-il. L’on comprend ordinairement de façon péjorative ce qualificatif ; ce qui est subjectif est arbitraire, préjuge-t-on, fruit du caprice, partiel et partial, n’oubliant jamais de le soupçonner de paver la route au relativisme. Le subjectivisme pratiqué par Duby échappe à ce procès. Plus encore : cet historien se revendiquait écrivain. Pourtant, Duby n’écrivait pas l’histoire sur le mode romancé. Il ne prend la suite ni de Dumas ni de Hugo. Il ne concurrence pas Stéphane Bern. Ses livres relatent moins des événements que ce que l’on disait d’eux. Ils introduisent le lecteur dans un univers mental, la seule chose que l’on puisse connaître solidement du passé.

Duby nous conduit, aussi bien quand il longe le «temps des cathédrales», quand il s'intéresse au «meilleur chevalier du monde», Guillaume le Maréchal, quand il décortique les justifications rhétoriques fondant les «trois ordres du féodalisme » que lorsqu'il écrit sur la femme au XIIe siècle, dans l'imaginaire et la sensibilité des hommes du Moyen Age. Duby est moins l'impossible historien de ce qui s'est passé dans le monde que celui de ce qui s'est passé dans les esprits parallèlement aux événements du monde.

Intelligibilité du passé

Les sources - témoignages, documents - ne sont pas des fenêtres que l'historien pourrait forcer pour que s'étale devant lui le panorama du passé tel qu'il fut, dans son éclatante vérité. Ainsi, «des femmes du XIIe siècle, je ne saisirai jamais rien de plus vrai qu'une image, celle qui flottait dans l'esprit des rares hommes dont nous avons conservé les écrits». Du passé nous ne pouvons connaître que des fragments, des hommes et femmes de jadis que des ombres flottantes. De cette restriction ne sort ni de la non-histoire ni de la fable mais au contraire une plus grande intelligibilité du passé, car sont éclairées les structures mentales de ses protagonistes, l'imaginaire dans lequel ce passé s'est enveloppé.

Tout Duby valorise la subjectivité de l'historien. Elle seule est capable de rencontrer celle des témoins : «J'ai essayé d'entrer dans la peau des gens que j'observais. J'ai tenté de penser et de sentir comme eux. J'ai la faiblesse de croire qu'il m'arrive de penser comme pensaient saint Bernard ou Pierre le Vénérable. » Ecrire en historien, pour lui, ne signifie pas dominer en surplomb, comme le faisait Michelet, mais se glisser dans l'imaginaire de nos ancêtres. Subjective, littéraire, l'histoire flirte alors avec l'art : il s'agit de «rapprocher de nouveau la création historique de la création poétique». Ainsi pensait et œuvrait Duby : en artiste et en écrivain majeur, sans rien céder sur la rigueur indispensable à l'historien.

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