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Vie de La Brochure
28 septembre 2020

La mort de Marcel Trillat

lorraine coeur d'acier

Côté CGT on vient de célébrer : « Grande voix de la classe ouvrière, le journaliste et militant Marcel Trillat est décédé ce week-end à l’âge de 80 ans. Une perte immense pour notre camp politique. »

La fameuse expérience de la radio Lorraine Cœur d’Acier est évoquée : «L’expérience de radio Lorraine-Coeur d’Acier marque sa carrière, mais plus largement l’histoire du mouvement ouvrier et du journalisme.»

Mais rien n’est dit sur le rôle de la CGT et du PCF qui en mars 1979 sont un soutien majeur de la radio mais six mois après le lancement ils décident de lui couper les vivres, pensant qu’elle disparaitrait. Le succès de l’association de soutien fut tel que la radio a pu continuer. Alors la direction de la CGT a décidé de virer Marcel Trillat et Dupont (avril 1980). Elle ne donnait pas un sou mais pour avoir le titre de journaliste la radio payait La Vie ouvrière qui donnait ensuite le salaire. Le responsable local de la CGT a aussi été viré contre un poste en Tchécoslovaquie ! J’avais écrit un article en lien avec Trillat après une rencontre à Uzeste.

 22 août 2010, Marcel Trillat, une tête dure

En 1994 chez Payot, Marcel Donati publie Cœur d’acier, souvenirs d’un sidérurgiste de Lorraine[1]. Il consacre un chapitre à une expérience unique, une radio créé par la CGT avant l’ère des radios libres, Lorraine Cœur d’Acier (LCA). Son témoignage est très émouvant car il montre comment cette radio le transforma profondément. Au départ, le militant avait une vision étroite (ou utilitariste) de la lutte, donc il dénonce cette radio ouverte à tout vent où des citoyens venaient faire même de la poésie, toute chose bien peu favorable au développement de la lutte syndicale. Il devient ensuite un défenseur acharné de cette radio car il découvre une réalité jusque là insoupçonnée pour lui : ses compagnons de travail ne pensaient pas qu’au travail. Cette radio émancipatrice qui donnait, tout autant qu’aux adultes, la parole aux enfants, devient une radio de référence. Les habitants s’y attachent.

Trillat à LCA

Quand Marcel Donati est poussé par ses camarades à aller parler des revendications sur LCA, il hésite, puis il accepte et là, Marcel Trillat, un des deux journalistes professionnels à animer la radio, le retient, pour, après la parole officielle, l’inviter à évoquer un peu de sa vie.

 J’ai été conduit à revisiter cette histoire à cause d’une rencontre à Uzeste avec le film sur Marcel Trillat et sa vie professionnelle : Le temps du JT (réalisé par le jeune Yves Gaonac’h), qui donna lieu à un débat avec le réalisateur et le journaliste. Deux jours avant le Festival avait projeté L’Atlantide, une histoire du communisme que Trillat vient de réaliser avec Faillevic.

Marcel Trillat réussira l’exploit de se faire virer par le pouvoir gaulliste en 1968… et par le pouvoir de la CGT en 1980 à cause de l’opération LCA, une radio que la direction du syndicat trouva trop ouverte.

Pendant le débat, quelqu’un lui demandera d’où lui est venu ce «sens critique» mais il n’aura pas le temps de répondre. Le film montre en effet un journaliste peu décidé à cirer les pompes de quiconque (même s’il regrette à présent, très amèrement, un documentaire que lui commanda la CGT en 1970, Le Frein). Avec l’utilisation de nombreuses archives qui rythment les paroles actuelles de Marcel, chacun peut noter une pratique du journalisme largement oubliée aujourd’hui. Le public éclate de rire quand il voit le visage de Pasqua écoutant Marcel Trillat qui le questionne sur ses rapports avec le SAC (Service d’Action Civique, une milice peu recommandable).

J’ai posé une question sur l’arrivée de Berlusconi en 1985 (absente du film) et aussitôt Trillat évoque une anecdote amusante : ils ont fait venir au JT Filloud, ministre de la communication de Mitterrand, et ils lui ont projeté en direct et sans l’avertir, une déclaration où il jurait ses grands dieux qu’il ne permettrait jamais l’arrivée de Berlusconi. Filloud pris au piège ! Bref, un journaliste sans complaisance avec les pouvoirs en place et ceux-ci le lui feront payer à plusieurs reprises.

Ce film qui retrace une part d’histoire de la télé, peut-il passer à la télé ? Il aurait le succès phénoménal de l’émission par laquelle Trillat arriva au journalisme et qui est encore dans des millions de mémoires : Cinq colonnes à la Une.

Aujourd’hui les journalistes viennent le plus souvent de cercles fermés. Marcel n’est passé par aucune école et pourtant son professionnalisme lui a permis non seulement de travailler correctement mais aussi de se relever chaque fois qu’il a été abattu ! Donc peut-on en revenir à la question : d’où tient-il son refus de courber l’échine ?

Sans prétendre répondre voici ce qu’il écrivait dans L’Humanité le 29 janvier 2003[2] :

« Je me suis longtemps demandé pourquoi les paroles et les actes de José Bové, même lorsque je ne suis pas d'accord à 100 % avec lui, déclenchaient en moi une telle jubilation. La raison m'est apparue tout à coup, bouleversante, à l'occasion d'une rencontre récente entre lui et un groupe de cinéastes : le militant d'aujourd'hui ranime en moi une autre image de petit paysan combattant qui, malgré les différences, lui ressemble comme un frère : celle de mon père. »

Dans cet article Marcel Trillat raconte son enfance.

«C'était il y a plus d'un demi-siècle. Une ferme du Dauphiné, près de Grenoble. Juste au-dessus de la maison, le Moucherotte, comme un mur protégeant les maquisards du Vercors dont les routes d'accès furent barrées pendant quelques mois d'une banderole arrogante : " Ici commence le pays de la liberté ". Pour le petit garçon que j'étais, les cow-boys étaient de grands gaillards en canadienne qui déboulaient à toute heure dans leurs tractions avant noires dans la ferme de mes parents, qui leur servait de repère. De temps en temps, l'un d'eux disparaissait : mort sous la torture, fusillé ou déporté. Pour partager nos jeux, à ma sœur et moi, il y eut pendant quelques mois, trois enfants supplémentaires : ceux d'une famille de bijoutiers grenoblois en attente d'une filière pour la Suisse. Ils s'appelaient Veil. Ils écriront plus tard d'Australie, leur nouvelle patrie : tous sauvés. Ancien de la guerre de 14, mon père ne parlait jamais de Pétain sans dire "le boucher de Verdun". Socialiste dit "de gauche " (déjà à l'époque la précision était nécessaire), il militait dans les coopérations et les organisations agricoles.

Après la Libération, lui et ses copains résistants furent naturellement poussés à la tête du syndicat. D'autres, les dorgéristes, c'est-à-dire les pétainistes, ceux qui avaient organisé les réquisitions de bétail pour l'armée d'occupation, ceux qui s'étaient couchés devant l'ennemi, durent se faire oublier et se terrer pendant un an ou deux. Puis les réseaux de la droite catholique rurale reprirent leur travail souterrain. Les divisions de la gauche firent leur œuvre de démoralisation, et peu à peu mon père et ses copains se retrouvèrent phagocytés, marginalisés, déboussolés, impuissants.»

Il a fallu attendre 2003 et José Bové pour que revienne cette image du père ? Je pense plutôt qu’à ce moment là l’image du père lui est apparue comme une image sociale, comme un maillon d’une grande lutte souvent négligée (Trillat a tourné ses caméras vers les prolos et non vers les paysans).

Et il termine ainsi l’article : « Cette défaite de mon père et des siens, elle m'est toujours restée en travers de la gorge. Aussi, cette résurrection d'une gauche paysanne, elle a des allures de revanche. Pour moi et pour eux, merci José. L'ennemi juré de Bernard Lambert, fondateur de la Confédération paysanne. » Je crains que Trillat ne connaisse pas bien Bernard Lambert mais là n’est pas la question ici[3] : si Marcel Trillat avait connu Renaud Jean (un habitant très proche du village d’Uzeste), un paysan communiste toute sa vie, mais renvoyé dans son département en 1945 par la direction du PCF, la défaite de son père aurait pu prendre une autre dimension qui n’aurait pas nécessité l’attente d’une revanche. Malheureusement, encore aujourd’hui, pour célébrer Renaud Jean, l’association qui souhaite diffuser son œuvre est obligée d’en appeler à une souscription publique pour programmer ses activités.

25-08-2010 Jean-Paul Damaggio

P.S. René Merle a repris une article à lire.



[1] Un livre extraordinaire.

[2] A une époque où Bové était en Une de l’Humanité au grand désespoir de membres du MODEF

[3] La phrase se lit comme si Bové était l’ennemi de Bernard Lambert (alors qu’il en est le continuateur mais peut-être s’agit-il de son père l’ennemi de Lambert.

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