Actualité Ingrid Levavasseur
Cet entretien avec Ingrid Levavasseur est émouvant. Deux ans après elle a les cheveux plus courts mais semble rester la même. Et sa difficulté pour trouver du travail témoigne bvien de la liberté dans nos sociétés. JPD.
Ouest-France - Mercredi 18 novembre 2020 12:12
Ingrid Levavasseur, ancienne figure des Gilets jaunes : « Ce mouvement a fait grandir la société »...
Il y a deux ans, les premières manifestations des Gilets jaunes se sont déroulées un peu partout en France, pour ce qui est devenu par la suite le plus grand mouvement social de ces dernières années. La Normande Ingrid Levavasseur a été une des figures des « GJ », avant de se retirer après des agressions. Elle revient aujourd’hui sur cette expérience et les conséquences de cet engagement sur sa vie personnelle.
Installée à Louviers (Eure), Ingrid Levavasseur se tient maintenant à l’écart des Gilets jaunes, deux ans après les premières manifestations de ce mouvement social dont elle était une figure de proue.
Si elle est désormais en retrait du mouvement, elle n’a pour autant pas délaissé ses engagements : élue de l’opposition « divers gauche » de sa commune, elle est toujours investie au sein de son association Racines positives, qui aide les familles monoparentales en situation de reconversion professionnelle.
Ingrid Levavasseur, vous avez été une figure du mouvement des Gilets jaunes à ses débuts, que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai participé au plus grand mouvement social de ma génération, c’est quelque chose qui restera gravé dans mon histoire individuelle. Je ne pourrai jamais oublier cette expérience. Ce mouvement a fait grandir la société, il a été une ouverture au dialogue.
Vous avez pris rapidement vos distances avec les Gilets jaunes, dès mars 2019, pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Les deux agressions que j’ai subies ont mis un terme à mon envie de travailler pour l’intérêt général de ce mouvement. Mais je n’ai jamais arrêté de me mobiliser pour les autres, notamment avec l’association Racines positives et mon engagement pour les élections municipales à Louviers.
Quel regard portez-vous sur cette violence à laquelle vous avez fait face ?
Il y a une telle colère profonde chez les gens qui se sentent mal, que certains se permettent de juger ou d’agresser les autres. Je le vois sur les réseaux sociaux : des gens réagissent avec haine et colère spontanément sur une publication, puis viennent ensuite discuter en privé pour s’excuser. C’est sidérant.
J’ai été aide-soignante et sapeur-pompier volontaire, j’étais donc perçue comme quelqu’un qui venait pour aider les autres et pour soigner, donc je n’étais pas considérée comme une personne néfaste. Mais en intégrant ce mouvement, on m’a tapée dessus. Je n’étais pas habituée à une telle agressivité, cela ne faisait pas partie de mon quotidien.
Je recevais cependant bien plus de soutiens que d’agressions, c’est ce qui m’a fait tenir et m’a donné la motivation de poursuivre mon engagement.
Si c’était à refaire, changeriez-vous quelque chose ?
Ma vision des choses a évolué avec le temps. Au début, quand j’ai été agressée, je me sentais très mal et je me disais que je n’aurais pas dû intégrer les Gilets jaunes. Mais c’était quand même important de prendre la parole pour l’intérêt général et je n’aurais pas envie de changer cela. Sur le plan personnel, ce mouvement reste une catastrophe : je suis stigmatisée, je n’arrive pas à trouver de travail à cause de mon nom qui est accolé aux Gilets jaunes.
Quelles sont les conséquences de cet engagement auprès des Gilets jaunes sur votre vie professionnelle?
Je postule à des offres d’emploi et je n’ai aucun retour ni entretien, que ce soit pour les Ehpad ou les centres hospitaliers. Au début, je ne voulais pas entendre que l’on ne me recrutait pas à cause de mon nom. Mais c’est ce qui pose problème, surtout quand on connaît les besoins en cette période de crise sanitaire. C’est de la discrimination.
Je ne suis pas la seule dans cette situation : Priscillia Ludosky (une autre figure des Gilets jaunes N.D.L.R.), qui est plus ou moins dans la même dynamique que moi et qui a un poids sur le mouvement des Gilets jaunes, se retrouve dans la même galère pour être recrutée à cause de son nom et de son engagement.
Qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans la politique locale ?
On sait que j’ai voulu structurer et organiser les Gilets jaunes, par l’intermédiaire d’une liste aux élections européennes de 2019. C’est quelque chose qui a été raté et c’est dommage. Cette liste aurait été un point de départ et aurait permis une impulsion.
Si on veut changer les choses, il faut s’insérer dans le système pour comprendre et pour modifier ce qui existe. Je me suis lancée dans la politique locale car il faut bien commencer quelque part. Et j’apprends beaucoup.
Selon vous, la situation sociale a-t-elle évolué en France depuis deux ans ?
La situation sociale est toujours aussi délicate. Les personnes précaires le sont toujours. J’ai l’impression que de plus en plus de gens font appel aux associations caritatives pour demander de l’aide. Il faut rester vigilants, car on est dans une situation sanitaire catastrophique qui présage une crise sociale sans précédent.
Propos recueillis par Valentin DAVODEAU. Ouest-France