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Vie de La Brochure
1 juillet 2021

Eugène Dabit à Minorque

On ne disait pas les rois des Baléares mais les rois de Majorque. En face Minorque était l’île du peuple. Donc Eugène Dabit y était en 1934 et il écrivit des nouvelles publiées sous le titre simple : L’île. La plus importante Les compagnons d’Andromède met en scène des chômeurs de l’île ayant trouvé un travail de démolition d’un cargo (l’écologie avant l‘heure) et un ouvrier qualifié venu du continent.

Deux peuples sont en présence : le peuple rural de l’île et le peuple urbain du nom de Portalis. Et qui gagne à la fin ? J-P Damaggio

 Voici un moment crucial de la nouvelle Pépé est le vieux monsieru de l'histoire:

« Pépé Anton' changeait de visage, il changeait d'allure ! Il n'était plus un pêcheur au masque grimaçant; un bonhomme qui marchait avec le poids de 67 années dans ses jambes ! Ses petits yeux s'éclairaient sous ses sourcils noirs ; sa bouche édentée s'ouvrait, large, il en sortait un bout de langue rose, vive comme celle d'un lézard ; ses rides, celles du front, des joues, et les grosses qui sillonnaient son cou, s'étiraient, se plissaient, expressives. Il renversait la tête ou se penchait sur son instrument ; il se tenait immobile ou ses épaules se balançaient. Et puis tout ça paraissait finir dans ses mains, aux doigts ainsi que des bâtons, ses mains faites pour agripper et serrer dur les rames et les cordages, mais qui soudain devenaient agiles, légères, qui couraient : la gauche, sur le manche de la guitare ; la droite, qui semblait danser, brusquement quittait la guitare pour en frapper le bois d'un coup de paume.

Aux compagnons de l'Andromède, chaque fois le pépé Anton' apparaissait autre. Malin, rusé, savant, fort. C'était à ce pépé qu'ils devaient d'avoir vu filer Palau et d'être fraternellement réunis, sans qu'il y eut entre eux des engueulades et des coups de poing; à ce pépé ils devaient leur bonheur présent, leurs rêveries.

Il leur jouait des airs qu'on appelle sur le continent : «flamengo», «boléro », «jota», parce que ceux de là-bas, il y a longtemps, avaient envahi l'île. Les Barbaresques aussi, qui vivaient sur la terre d'Afrique. Oui, avec des images de leur île, se glissait le souvenir de ces invasions dans les vieux airs que chantait pépé.

Lorsque pépé Anton' s'était échauffé, il ne pensait plus que les gars l'écoutaient, que sur le chemin des curieux s'attroupaient — ils se faisaient rares les joueurs de guitare, et, de tous, le pépé en grattait le mieux. Il jouait pour lui seul, comme souvent les jours de cafard ou les jours de joie. C'était leur île, au beau milieu de la Méditerranée, qu'il glorifiait ; la mer avec ses vagues mugissantes, les orages, le vent, qu'il avait au fond de sa gorge, au bout de ses doigts. Son passé lui remontait aux lèvres, celui des autres pêcheurs et du grand'père Anton', l'ancêtre. Il les évoquait tous, il inventait des paroles, avec amour il racontait leurs pêches. Il chantait l'hiver, lorsque les oiseaux du continent envahissent l'île, la venue du printemps, l'été sur les plages désertes ou sur les flots scintillants... les nuits, les jours. Aux compagnons de l'Andromède il jetait ces richesses à la tête. Pour partager avec eux. Et aussi parce que descendait le crépuscule qui fait s'abandonner les hommes à leurs tristesses, leurs amours, leurs rêves. »

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