Christian Astruc à la mort de sa mère

Le Petit journal du 10 mai a eu l’heureuse idée de reprendre le discours de Christian Astruc devant le cercueil de sa mère. Cette histoire est emblématique de tant d'autres qu'il m'est arrivé de connaître, d'où sa reprise sur ce blog. J-P Damaggio. 

 Texte de Christian Astruc

"Maman, Mamy, Mamé n’est plus de ce monde. Comme elle le disait souvent lorsqu'une personne décédait « il a payé, nous, on le doit », c’est la destinée de chacun » Germaine Borgolotto est née le 14 avril 1925 à Mansoué, dans la région de Trévise en Italie.

Vu les conditions de vie en Italie et l’opposition de son père à porter la chemise noire, la famille envisage d'émigrer en France, à Saint Michel, au lieu-dit « Candes », dans une grande exploitation agricole, en tant que métayer en 1933. Maman avait 7 ans.

A cet âge là, on imagine bien le déracinement et la difficulté de la langue, mais ce qui l’a marqué toute sa vie et qu’elle a vécu comme une injustice, c’est la décision du patron qui a refusé catégoriquement qu’elle aille à l'école, alors qu’elle avait été scolarisé en Italie.

Le patron a exigé de ses parents que Maman porte le lait et fasse le ménage au Château, tous les matins alors qu’elle n’avait que 7 ans. Elle a appris à compter et à lire avec ses jeunes frères et sœurs qui eux, eurent la chance d'être scolarisés.

Elle n’a jamais admis ce manque de respect et de considération de ces gens qui ont pignon sur rue et qui méprisent « les petites gens ».

Entourée de ses 3 sœurs et de ses 4 frères et de ses parents qu’elle adore, Maman passe sa jeunesse à travailler, et à garder les vaches avec son amie Paulette Durrieu.

Elle ressent ainsi que toute sa famille une énorme angoisse durant la guerre de 1940, car son frère Gaston, qui n’est pas encore naturalisé, s’engage à l’âge de 18 ans dans la Légion pour défendre la France.

Son autre frère François, quant à lui, est réquisitionné par les Allemands comme Travailleur Obligatoire pour construire des blockhaus sur les plages de l'Atlantique. François s’évade et se cache à la ferme familiale jusqu'à la Libération.

Les allemands ont l’habitude d’aller chez les patrons au Château et lorsqu’ils passent devant la ferme, les filles vont se cacher. Maman, tu avais alors 18 ans.

Combien de fois tu m’as retracé ta jeunesse ! Malgré la perte de mémoire, il n’y a pas si longtemps encore, tu me l’as rappelée.

Le 19 Janvier 1946, Maman se marie à Saint Michel avec Victorin ASTRUC.

Ils partent tous les deux avec leur valise et débutent leur carrière professionnelle comme domestiques. Puis Papa prendra une ferme en métayage, puis par la suite en fermage.

Quelques petites économies et l'accord du Crédit Agricole, ils deviennent rapidement propriétaires d'une petite exploitation agricole.

Maman est considérée sans profession, alors qu’elle assure les travaux ménagers et les travaux pénibles des champs avec Papa.

La basse-cour est son domaine, la vente des œufs et des volailles assurent le financement de l’alimentation, l’achat des vêtements de travail et parfois quelques petits cadeaux toujours utiles à tous.

Maman était très bonne cuisinière. Malgré le travail à la ferme, elle trouvait le temps de faire de bons gâteaux : les crostofis ou merveilles et les croustades.

C’était une époque où les légumes et les fruits étaient cultivés et cueillis sur la ferme. Rien ne se perdait, le surplus de fruits faisait de bonnes confitures, le reste de lait était transformé en beurre et en fromage.

J’ai même le souvenir de l’avoir vu fabriquer le savon pour la maison.

Comme toutes les épouses d’agriculteurs qui ont travaillé durement toute leur vie, les revenus de la ferme étaient prioritairement destinés à la mécanisation et à la modernisation de l’exploitation, et ne permettaient pas de cotisations pour leur retraite.

Et pourtant Maman, à juste titre, trouvait injuste de ne pas avoir une retraite comme son époux car elle avait contribué, comme toutes les femmes d’exploitants, à l’essor de l’agriculture et au développement de la production.

Fils unique, après mon BEPC, je décidais de rester sur l'exploitation avec mes parents pour les aider et surtout pour être auprès d'eux.

Elle considérait Marie-Reine, mon épouse comme sa fille. Elle adorait Thierry, son unique petit- fils qui était de tous les voyages qu’elle faisait avec Papa. Karine, la compagne de Thierry a été la bienvenue dans sa grande maison. Jade et Romane, ses arrières petites- filles étaient son rayon de soleil jusqu’à son dernier jour. Maman aimait recevoir les membres de sa famille autour d’un bon repas

Maman aimait la musique, elle adorait chanter « le temps des cerises », elle aimait se promener dans les bois et était passionnée par la cueillette des champignons.

De religion catholique, Maman est allée souvent à Lourdes et parmi les voyages qu’elle a pu faire avec Papa pendant leur retraite, leur plus beau souvenir a été leur séjour à Jérusalem. Maman a toujours considéré le travail comme une valeur de prospérité et de bien-être.

Elle était volontaire, avenante, généreuse, optimiste, toujours souriante, ne se plaignait jamais, et pour elle sa famille comptait plus que tout. Malgré quelques ennuis de santé, Maman menait sa vie tranquille jusqu'en octobre dernier entourée des siens.

Suite à une chute, elle est hospitalisée à la Clinique Pasteur, puis en convalescence à Valence d’Agen avant de rentrer chez elle en décembre. Elle vécu les fêtes de Noël, Pâques et son anniversaire dans sa maison. Ces derniers jours, son état général s’est dégradé, Maman décède le 04 Mai.

Au nom de toute la famille, je tiens à remercier sincèrement notre docteur de famille, l’équipe d’infirmières libérales de Dunes, le service d’aide à domicile, Bernadette, les docteurs et spécialistes d’Hôpitaux et Cliniques privées, sans oublier les Sapeurs Pompiers de Dunes.

Chère Maman, Mamie, Marné, nous te remercions pour ton amour, pour les valeurs que tu nous as apprises. Tu vas retrouver dans ta dernière demeure Papa et Pépé Fortuné. Un jour viendra, nous te rejoindrons. Christian Astruc