Vallejo présente Mariategui
Je sais que côté péruvien on néglige (ou même on nie) l'existence de tels articles publiés dans les revues françaises quand Vallejo arrive à Paris, des articles qui avaient sans doute une fonction surtout alimentaire mais qui sont cependant utiles. Surtout qu'on trouve qui sur cette même revue ? Jean Cassou et George Pillement deux écrivains très proches et très à gauche. J-P Damaggio
1er février 1925
LES JEUNES ÉCRIVAINS DU PÉROU
LA génération littéraire du Pérou qui a surgi vers 1916 se signale par de grandes dispositions pour les spéculations philosophiques. Nous n'avions pas eu d'essayistes avant Francisco Garcia Calderon. La pensée pure, le jugement serein, l'essai selon Carlyle, Emerson, Montaigne, l'instinct d'idéalisation de la race ne s'exprimait que par la bouche de l'insigne maître de la Création d'un Continent qui assumait alors, par la mort de José Enrique Rodo, l'office de directeur de conscience en Amérique. Vers la fin de la guerre, Francisco Garcia Calderon est donc le plus grand penseur, non seulement du Pérou, mais de tout le continent.
Manuel Gonzalo Prada venait de mourir, la vertu de José Vasconcelos et de Francisco Caso était mêlée aux pénibles réalités politiques du Mexique.
L'influence de la taciturne méditation que la guerre imposait alors aux nations et aux individus, commençait à faire naître en Amérique une profonde inquiétude philosophique. La nouvelle génération péruvienne, de même que celles du monde entier, acceptait les nouvelles exigences spirituelles et des écrivains profondément individualistes apparaissaient alors.
Les nouveaux écrivains du Pérou sont encore inconnus en Europe. Il y a Antenor Arreyo, le plus grand de tous, et Federico More, prosateurs chez qui l'impétuosité idéologique de la génération acquiert la plus grande puissance verbale.
Journaliste et conférencier, Federico More est doué d'une profonde culture. Il connaît les inquiétudes, les conflits et les aspirations de tous les peuples hispano-américains. Il est l'initiateur d'une esthétique nouvelle, l'andinisme, qu'il a développée dans son livre Devoirs du Pérou, du Chili et de la Bolivie devant le problème du Pacifique, livre qui a éveillé une grande curiosité dans toute l'Amérique du Sud. Traitant des conflits internationaux de l'Amérique, il préconise un sentiment patriotique plus ample et plus sain et prêche une nouvelle organisation sociale de ces trois Républiques, dictée par des accords plus solides de concorde et de coopération et sur de meilleures et plus authentiques frontières linguistiques, géographiques et historiques. Ce livre, qui apporte des vues nouvelles sur l'avenir de ces peuples frères, est, de plus, d'un grand styliste. Livre au style âpre, impétueux, emporté, pénétrant et sans rhétorique ; sa force et sa fraîcheur rappellent celles du grand cubain José Marti ou celles du non moins grand Blanco Fombona.
Antenor Arreyo montre un plus grand pouvoir d'idéalisation. Arreyo est plus poète, plus inquiet d'infini, plus symphonique et plus serein. Sa sérénité déconcerte. On ne s'explique pas comment il atteint à une telle sérénité. Il prend les faits divers journaliers, les menues préoccupations des peuples et des individus et, au lieu de les refondre comme More, il les idéalise et en tire d'héroïques et saintes affirmations. C'est un grand poète en prose. C'est actuellement le penseur le plus grand et le plus généreux de la jeunesse péruvienne. Son livre Notes marginales équivaut, en Amérique, à un évangile.
José Carlos Mariategui, autre brillant écrivain, est un apôtre qui s'est dévoué avec une foi austère et idéaliste au problème de l'équilibre social. Mariategui ne prêche pas seulement pour le Pérou et l'Amérique, mais pour l'humanité. Ses conférences s'adressent, en la personne des ouvriers et des étudiants de Lima, aux étudiants et ouvriers du monde. Son œuvre journalistique, les solides Voix dit temps représentent la solidarité de la pensée péruvienne avec la pensée contemporaine de la justice universelle. Mariategui s'est assimilé la culture et les agitations des sociétés européennes en vivant plusieurs années sur le vieux continent. Il n'étudie pas les hommes mais les événements, il fixe le rôle des passions, de la science, des mensonges et des vérités dans la constitution sociale. Ne croyez pas qu'en procédant ainsi il donne dans l'utopie ou le rêve. Mariategui sait écrire des articles qui renversent des ministres et prennent une importance sociale immédiate.
Federico Esquerre réalise lui aussi une œuvre précieuse. Ses gloses et ses commentaires sur la politique internationale et les hommes d'État sont magistralement conçus.
Luis Velasco Aragon est peut-être, parmi les jeunes, l'écrivain le plus connu par ses articles nombreux dans les grands journaux de Lima, Buenos-Aires, Mexico et Montevideo. Pamphlétaire, disciple de Gonzalez Prada, dont il est le continuateur fidèle des idéologies et même du style, Velasco est le vulgarisateur le plus opportun des courants spéculatifs qui sont dans l'air ; il les fait aboutir à leur heure et à leur place.
CÉSAR VALLEJO.