Patrick Tort et le totalitarisme (1)
Je me suis lancé dans la lecture du livre de Patrick Tort. Un livre de plus et en même temps toujours le même livre. Un livre à côté de son œuvre tout en étant au cœur de son œuvre. Un livre qui repose souvent sur la lecture d’Hitler d’un côté et Edward Bernays de l’autre. Pour ce dernier que je ne connaissais pas la page wikipédia en donne un aperçu. Dans cette première note je ne vais pas donner une présentation globale comme dans l’article déjà repris mais juste retenir un point sur l’hypertélie que j’ai marqué en gras dans la citation.
« Darwin avait remarquablement compris que dans l’ordre de la survie (celui qui est régulé chez les organismes par la sélection naturelle), il existe un optimum adaptatif pour un organe vital exerçant sa fonction originelle dans un milieu donné, mais qu’aucune limite de ce type ne vient s’opposer au développement d’un appendice ou d’un caractère spécialisé dans la séduction : d’où l’existence de ce que l’on nommera hypertélie, qui caractérise chez certains animaux ou végétaux la croissance disproportionnée de certaines annexes corporelles devenues ornementales (tels les bois gigantesques du Megaloceros giganteus, le cerf géant des tourbières d’Irlande) surcompensant le coût énergétique et le handicap quelles engendrent par un bénéfice accru dans le champ de la reproduction. L’idée remarquable d’un « capitalisme de la séduction », due à Michel Clouscard, de même que sa critique vigoureuse de l’idéologie du désir, n’a probablement manqué que de cette référence naturaliste et darwinienne pour comprendre la préhistoire biologique et éthologique du symbolique, et pour établir que l’hypertrophie sans frein de la parure, soutien temporaire de l’illusion d’une croissance sans limite, se résout ultimement dans la désadaptation et dans la mort .
Le totalitarisme n’a pu commettre toutes ses atrocités que parce qu’il est d’abord la mise en œuvre intégrale du système de la séduction au service d’une volonté de puissance politique dont l’instrument permanent est une pragmatique de la réparation narcissique en réponse à une frustration, un désarroi ou une perte de l’identité au sein d’une communauté historique humiliée ou souffrante. »
J’avais envie depuis longtemps de poser la question à Patrick Tort de sa lecture du livre de Clouscard et j’ai la réponse que je partage totalement.
Dernièrement, au bord du lac de Saint-Nicolas il y avait un spécialiste des oiseaux qui rappelait que chez les animaux le beau plumage est celui du mâle pour deux raisons : il doit attirer la femelle et la femelle devant couver doit se fondre dans le paysage. Chez les humains la question de la séduction s’est inversée et une fois de plus nous avons le chemin de l’effet réversif chez Darwin (pour le dire vite : la sélection naturelle en est arrivée au point qu’elle a produit l’humain dont l’évolution échappe à la sélection naturelle), à l’hypertélie. Mais la question de la séduction ne s’est pas arrêtée aux relations interindividuelles. Donc du capitalisme de la séduction, avec le livre de Patrick Tort on passe au totalitarisme de la séduction. Des oxymores dans un monde où l’oxymore domine de plus en plus ? Il en est des oxymores comme des champignons ou du cholestérol : il existe les bons et les mauvais. Dès les années 1980 j’ai été convaincu par l’étude de Michel Clouscard et je le suis tout autant de l’étude de Patrick Tort. Je vais y revenir. J-P Damaggio