Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
13 juin 2021

Quand Pierre Sansot est décédé

Sansot_Pierre_1994-10-10_300283

Puisque je viens d'évoquer Pierre Sansot en lien avec Larrazet je reprends cet article rédigé à sa mort qui exceptionnellement est d'accès libre sur le site du Monde. JPD

La photo est bien tel que je l'ai vu à Larrazet

 

Pierre Sansot, anthropologue et écrivain

Ce conteur jovial et moraliste avisé est mort à Narbonne (Aude), où il résidait, vendredi 6 mai, à l'âge de 76 ans.

Publié le 10 mai 2005

L'anthropologue et écrivain Pierre Sansot est mort à Narbonne (Aude), où il résidait, vendredi 6 mai, à l'âge de 76 ans.

Né le 9 juin 1928, fils d'institutrice devenu universitaire, il suivait un chemin qui ne répondait guère aux critères académiques ni n'obéissait à la stricte répartition des disciplines. D'ailleurs, avec son visage d'Indien, ses cheveux noués par un catogan, ses pantalons à gros carreaux et son parler méridional, il ne correspondait que de très loin à l'image habituelle du grand professeur.

Enseignant de philosophie et d'anthropologie à Grenoble puis à Montpellier, il avait pourtant donné tous les signes de sérieux requis par l'Université. Sa thèse sur La Poétique de la ville (Klincksieck, 1973, rééditée chez Armand Colin en 1997), qui est citée dans toutes les bonnes bibliographies, témoigne, par son titre même, de cette double volonté de rigueur et de liberté.

"Je n'ai jamais eu de surmoi épistémologique" , nous avait déclaré Pierre Sansot il y a une dizaine d'années. C'était pour la sortie des Pilleurs d'ombre (Payot, 1994), l'un de ses livres ­ avec notamment Cahiers d'enfance (Champ Vallon, 1990) et Bains d'enfance (Payot, 2003) ­, où le vecteur autobiographique sert de fil conducteur à une exploration, à la fois descriptive et analytique, des réalités qu'il avait eu à connaître. Dans le temps et dans l'espace, à la ville comme à la campagne.

Lorsque Sansot parlait, on pouvait se contenter de l'écouter, tel un conteur jovial doublé d'un moraliste avisé. Son discernement se doublait d'une épaisseur d'expérience qu'il avait la pudeur de ne jamais dévoiler en tant que telle. "J'essaie de donner de la chair à la typologie universelle. Il y a des sociologues qui expliquent, et ils expliquent d'ailleurs assez mal, parce qu'ils ne prévoient pas. Pour moi, le sociologue est quelqu'un qui dit. C'est peut-être un rôle de prophète, mais pas de prophète militant. Il raconte et donne de la cohésion à la tribu, et la tribu rêve autour de ce qu'il dit. Lorsque le réel est vraiment réel, il devient image, il se dit, explose, se représente. Il y a une époque où l'on était vache avec la réalité. On l'est moins. On ose rire, prendre du plaisir. Je suis perpétuellement dans l'émerveillement que les choses soient, et qu'elles soient tellement. On est au monde, mais on ne peut pas le prouver : tout vient de là."

C'est probablement avec Les Gens de peu (PUF, 1991) qu'il donna l'expression la plus aboutie de la méthode vagabonde et scrupuleuse qui était la sienne. Inventant cette catégorie sociologique, quelque part entre les ouvriers et les pauvres, il conférait existence et dignité à l'une des "formes sensibles de la vie sociale". Nul besoin pour lui de dissimuler une empathie honteuse. De "type compréhensif", sa recherche n'excluant nullement ce sentiment, l'appelait au contraire. Ainsi, il pouvait célébrer sans complexe toute "l'exubérance sociale" d'une partie de boules, d'un bal du 14-Juillet ou du "football des trottoirs" .

En 1998, avec Du bon usage de la lenteur (Payot, réédité en Rivages-poche, 2000), Pierre Sansot avait connu un vrai succès public. Il opposait à l'hyperactivité et à la frénésie des gens toujours pressés les charmes et les bénéfices d'une vie rêveuse et attentive à soi comme à autrui. Mais jamais cette amabilité, pour ainsi dire méthodologique, ne le désorientait vers l'hédonisme. Elle ne venait pas non plus en soustraction des exigences de la réflexion et de la conscience.

Plus récemment, après de multiples ouvrages sur le paysage, les vieux, le rugby, les jardins publics, et aussi un roman autobiographique (Il vous faudra traverser la vie, Grasset, 1999), il s'était penché, avec le même appétit, sur Le Goût de la conversation (DDB, 2003). Ce "goût", qui rejoignait chez lui celui de l'écriture et du style (toujours d'une parfaite élégance et précision), il le cultivait loin de l'idéologie de la communication. Loin également du bavardage ­ même s'il avouait que "le bavard, ce n'est pas toujours l'autre".

L'œuvre de Pierre Sansot, dans sa profusion et son éclectisme, dessine une sorte d'histoire spectrale de la France, de ses habitants, de ses mœurs, de ses usages, de ses rituels, jusqu'aux plus humbles, aux plus inaperçus. Parce qu'elle ne cède jamais aux sirènes de l'enracinement, lui préférant la chanson des vagabonds, la nostalgie qui anime cette œuvre est précieuse, dynamique, répugnant à toute amertume.

Patrick Kéchichian

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 024 309
Publicité