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Vie de La Brochure
18 juillet 2021

Albert Cavaillé les paysans et l’occitan

En ce temps là le PS 82 avait un mensuel original, Changer la vie, et j’en étais un lecteur attentif même si je n’en partageais pas la philosophie. Parmi les intervenants, je l’ai déjà écrit, j’avais une admiration particulière pour Albert Cavaillé. Il ne pouvait en rien me convaincre mais sa sincérité était émouvante. Je retrouve ce texte dans un livre de Ferdinando Camon de ma bibliothèque. Peut-être l’ai-je déjà publié ! Je précise qu’à la fin de sa vie Albert Cavaillé s’est replié dans son milieu natal, le petit village de Saint-Projet. J-P Damaggio

 

La fin d'une classe

 

Ferdinando Camon, un des plus grands écrivains actuels d'Italie raconte dans ses œuvres l'épopée d'une bourgade de Lombardie en retard de civilisation, ayant gardé à peu près intacte sa société rurale, telle peut-être que nous pouvons l'avoir connue dans notre Quercy entre les deux guerres, du temps où seul un petit nombre de nos concitoyens avait voyagé jusqu'à Montauban.

Interrogé par un hebdomadaire, il s'exprime ainsi : « La classe paysanne se sent trahie par moi, car j'ai fait l'espion des bourgeois, des citadins... Mon père et la communauté m'ont renié et obligé à habiter la ville. Pourquoi ?

Parce qu'ils ont une idée de classe totale : le livre n'existe que pour le bourgeois, c'est-à-dire pour l'ennemi, ou l'adversaire. Ils parlent en dialecte, dans une langue qui ne produit pas de livres, et ils n'aiment pas se trouver décrits tels qu'ils sont du fait qu'ils portent sur eux-mêmes un regard bourgeois et que dans les livres ils se retrouvent pauvres, inférieurs et ils se méprisent. L'idée bourgeoise de l'homme est devenue l'idée prédominante que les hommes ont de l'homme, même pour les classes qui, se trouvent au plus bas de l'échelle sociale.

Si le monde paysan est un des problèmes majeurs de l'Italie, c'est parce qu'il constitue le monde social inférieur et que, nonobstant, il est le pilier même du système qui l'écrase, et le plus implacable et tenace ennemi du progrès social.

Pour eux, je suis un traître —pis, un délateur ».

* *

Je crois avoir ressenti, ou observé en tous cas, des sentiments semblables lorsque, devenu autre, je suis revenu chez les paysans de mon milieu natal, et les mêmes réactions, de la part de mes camarades d'origine. Le ressort des activités de classe n'est pas uniquement économique, même (et peut-être surtout) chez les plus exploités, contrairement à ce que les marxistes en ont dit et si les paysans italiens sont les plus solides soutiens des gouvernants qui dirigent leur pays depuis trente-cinq ans, nous avons encore en France quelques réserves de chouans — je dis cela, bien sûr, sans vouloir juger les hommes.

J'ai souvent senti, parmi ceux qui pensaient et parlaient en occitan, du mépris pour les bourgeois qui, sous des prétextes divers, employaient cette langue. Ce mépris est peut-être double ; les méprisants sont embourgeoisés eux-mêmes et ils ont honte de leur classe, et de leur langue ; ou bien, fiers et inconsciemment malheureux de voir galvauder leurs richesses et leur culture, ils méprisent les imitateurs et condamnent les traîtres, comme notre écrivain.

Le félibrige, le folklore, les dépiquages reconstitués sont des initiatives bourgeoises — qu'elles proviennent en définitive des paysans eux-mêmes, ou des bourgeois qui découvrent leur histoire : les uns ou les autres ont quelque excuse, mais ils ne sont plus de la même classe, et ils n'y seront plus jamais.

Dans l'évolution des sociétés, il n'y a pas de retour en arrière ; ce qui ne veut pas dire que les occitanistes modernes n'ont pas raison de sauver la langue, mais ils sont un peu comme les restaurateurs de châteaux-forts ; cette langue ne sera plus celle de la civilisation vivante, même si des milliers — ou des millions d'hommes la renouvellent.

J'ai ressenti les mêmes sentiments chez nos hôtes chinois lorsque nous leur demandions de nous mêler au peuple, à leur peuple. Ils nous donnaient beaucoup de raisons pour nous déconseiller les bains de foule : impossibilité de communication orale ou écrite, peut-être désir de nous cacher les défaillances du régime. La pire de ces raisons, pour moi était celle que nous trouvions obséquieuse, qui était peut-être pudique : « .... ce que vous verriez n'est pas digne de vous... »

J'ai ressenti l'inverse au Japon, où nos hôtes nous ont conduits dans de grands rassemblements populaires, des fêtes de rues, des rassemblements plus ou moins religieux ; on vend facilement l'âme de son peuple, dans le Japon capitaliste.

Bien complexes sont les causes de l'égoïsme de classe ou du racisme : il ne sera pas facile de les extirper des relations humaines.

A. Cavaillé.

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