Lecture du livre de Donat sur Larrazet à la fin de l’Ancien régime
La réédition n’est pas seulement la reprise du travail de Donat puisque tout commence par une présentation d’Alain Daziron qui rappelle la venue inoubliable à Larrazet de la petite-fille de Donat, Geneviève Since… en 1976. Alain Daziron est alors en route vers une carrière de prof d’histoire et cette réédition devait le hanter depuis lors, sauf qu’il fallait pour y arriver, autre chose, qui accompagne la réédition : la rencontre avec Donat l’homme, et ses quelques pages d’autobiographie et de Carnets de guerre y aident. Et il fallait aussi la capacité à apporter des illustrations soignées qui ne concernent pas directement l’époque mais qui la recoupent.
Cette mise en condition du lecteur permet d’entrer plus facilement dans un texte aride puisqu’après une introduction de Donat, nous découvrons la longue liste des inscrits au cadastre de 1769. Je ne dis pas aride pour m’en plaindre car je suis de ceux qui considèrent que les documents doivent être mis en avant et j’avoue que j’ai commencé ma lecture par les pièces justificatives qui sont à la fin ! Où peut-on lire l’inventaire des biens d’un journalier ?
Ce souci du document va continuer ensuite dans les parties rédigées, Jean Donat ayant le souci de démontrer ce qu’il avance, car son propos n’est pas conforme aux clichés habituels sur les communautés rurales. Ses recherches s’inscrivent dans l’histoire économique et sociale et à ce titre il s’éloigne de l’histoire religieuse et politique qui attire plutôt l’attention sur les élites et non sur le vaste monde des habitants d’une paroisse.
Pour ma part je connaissais surtout le travail de Daniel Ligou sur le Montauban à la fin de l’Ancien régime[1], et bien sûr nous sommes à Larrazet dans un univers totalement différent. Avec plus de 9000 ouvriers dans le textile Montauban s’inscrit plus clairement dans l’histoire du capitalisme qui va naître par l’histoire des grands moulins. Sauf que cet univers là reste marginal en France en 1769, alors que le cas de la communauté rurale est la situation la plus partagée dans le pays.
D’où ma référence à un autre livre, celui d’Anatoli Ado[2] qui trace dans un premier chapitre le portrait du monde paysan sous l’Ancien régime en distinguant géographiquement les quatre agricultures françaises (du nord, du centre, du sud et le reste), Larrazet se situant dans le cas typique du sud-ouest. La description géographique traverse cependant toutes les régions entre agriculture intensive (du blé et autres céréales ou de la vigne) et petite agriculture. Si la première entreprise capitaliste de France se situe à Toulouse[3] avec les moulins de la ville c’est aussi en lien avec une certaine agriculture.
Que démontre Jean Donat ?
Qu’à Larrazet comme dans beaucoup de communautés rurales il y a communauté car les classes sociales s’interpénètrent. Face à l’image d’une division tranchée entre trois états, (noblesse, clergé, tiers état), nous avons plus de croisements que de fossés.
Attention, Jean Donat n’évacue pas les différences de fortune, les différences face aux privilèges, les différences face aux modes de vie, mais entre le bas clergé et le bas peuple il y a plus d’intimité que de barrages. Tout comme entre petite noblesse et bourgeois.
Toutes les catégories sont étudiées de manière distincte, toutes les conditions économiques sont déroulées avec minutie.
Bilan : « Ce morcellement du sol ne diffère guère, au fond, de ce qu’il est aujourd’hui même, de ce qu’il fut au lendemain de la Révolution.» Donat écrit en 1926, depuis la question a bien changé.
En partant du cadastre (mais en complétant avec les actes de notaire et l’état civil) c’est le foncier qui est au cœur du livre, et de ce point de vue, le foncier reste au cœur de l’histoire, même si les études foncières sont rares.
Sauf qu’entre 1769 et 1926 avec un même morcellement nous n’étions plus dans la même société. Jean Donat montre très bien qu’en 1769, au bout du compte, tout le monde était « paysan » dans la communauté : le paysan pouvait être aussi maréchal-ferrant, cordonnier, sabotier etc. Le noble et le bourgeois aussi étaient en lien permanent avec ce qui était finalement la source de leurs revenus. Petit à petit les routes vont se séparer car l’industrie va devenir une source de revenus du pays de plus en plus importante. Les routes vont se séparer sans oublier par exemple qu’à Castelsarrasin en 1914 beaucoup des ouvriers de l’usine pouvaient faire grève car pendant la grève ils cultivaient leur bout de terre. La cassure sera profonde entre les ouvriers étrangers qui n’auront que l’usine où ils seront fortement exploités, et les ouvriers autochtones dans une situation différente.
En 1926 le morcellement était le même mais comme Donat le note dans sa présentation du début, la population était en forte baisse et le 573 de 1921 n’était pas la fin de la chute alors qu’en 1769 il y avait 1000 habitants.
Pour moi ce livre, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, en appelle un autre sur le pouvoir. Dans la dite communauté, qui décide si on fait ou pas une nouvelle route ? On peut supposer que ceux qui ont la richesse décident mais rien n’est évident. Pour le dire autrement : comment passe-t-on du système des paroisses à celui de la commune ? Je n’ai pas trouvé chez Donat la moindre référence au mot paroisse qui, avec de plus un seigneur abbé de Belleperche, dit bien ce qu’il signifie. L’absence de protestants a pu simplifier la situation qu’à Saint-Antonin Donat a du trouver bien différente.
Jean-Paul Damaggio
[1] Daniel Ligou, Montauban ç la fin de l’ancien régime et aux débuts de la Révolution, 1787-1784, Edition Marcel-Rivière,1958
[2] Anatole Ado, Paysans en révolution, Société des études robespierristes - 1996
[3] Voir Légendaires Moulins à eau du triangle rose Toulouse-Montauban-Albi, Pierre Mercié (auto-édition), novembre 2003 - réédition