Le paysan, l’instit et l’occitan
L’émancipation paysanne est passée par l’accession à la propriété, même si cet effort lui causait les yeux de la tête, car il valait mieux être propriétaire pauvre, que métayer moins pauvre, pour être enfin maître chez soi avec la sécurité de l’emploi. Il valait mieux être petit propriétaire travaillant parfois à la journée, que métayer devant obéir aux ordres des sommités (et c’est vrai jusqu’en 1945) !
Ce combat pour l’émancipation paysanne était considéré par certains comme un leurre car au bout du compte l’exploitation pouvait jouer du retour du bâton, au moment de la vente des produits.
Sauf que ce combat a été celui de la République, une République des petits producteurs, vu que le modèle de l’exploitant familial était aussi celui du commerçant familial et un peu moins de l’artisan familial.
En 1880, sur ce modèle, l’instituteur devient le couple d’instituteur, qui s’enracine dans une commune où il a son logement de fonction, pour la cultiver, avec comme récolte les résultats du certificat d’études, et comme condition le fait d’être maitre chez soi avec la sécurité de l’emploi.
Bref, l’instituteur est comme un poisson dans l’eau de la commune, où il vit. Et le voilà faisant la guerre à la langue d’un peuple dont il est clairement l’enfant ? Je ne conteste pas l’existence d’instits se croyant arrivé au-dessus du lot, et usant de répressions féroces contre les enfants osant apporter des mots d’occitan en classe. Mais je prétends que rien ne démontre que ce comportement se soit généralisé, surtout, quand je suis dans une Assemblée de l’Institut d’Estudis Occitans en 1986, où on ressert ce lieu commun, alors la grande majorité des présents… sont des enseignants !
J’ose prétendre, sans le moindre esprit de provocation, que la raison profonde de la marginalisation de l’occitan vient justement de ce combat paysan pour l’émancipation qui, à ses yeux, passe… par la langue française… et il a raison ! Là où les forces démocratiques ont raté le coche c’est quand cette émancipation par le français, a été associé à un refus de la langue du peuple. Et l’instit s’est fait le porteur de cet état d’esprit.
Pourquoi dénoncer le méchant instit qui réprime l’enfant (sur ce point mais sur bien d’autres aussi !) sans observer que les parents n’ont pas contesté, à cet instit, son action ?
L’instit est devenu le bouc émissaire d’une idéologie, dont il était l’effet et non la cause, mais que l’esprit réactionnaire s’est plu à relayer.
La décision de ne plus écrire l’occitan bien avant l’ère des instits pose toute la question des rapports entre l’oral et l’écrit. L’école de la république existait depuis longtemps quand ma mère y est entrée en 1935 en ne sachant parler que le patois. L’école n’avait-elle donc pas fait son œuvre ?
Le curé parlait en latin à l’église et glorifiait le patois. Cohérence impeccable, l’usage du latin servant à exprimer une supériorité, et la glorification du patois une infériorité. Face à cette idéologie, l’instit en fils de paysan émancipé a été conduit à marginaliser le patois qui n’était plus qu’oral, pour glorifier le français dont tout l’effort portait sur sa lecture et son écriture !
République modérée ou pas, les saboteurs de l’instit n’ont jamais désarmé. Ceux-là même qui ont fait de l’école un lieu de formation militaire en 1890 vont ensuite lui reprocher d’avoir promotionné la formation militaire ! Ceux-là même qui en ont fait un outil du pacifisme diront qu’en 1940 elle fut la cause de l’échec de la France. Etc.
Je ne cherche pas à célébrer à tout prix l’école publique, gratuite et laïque mais à bien situer sa position : profondément porteuse de l’émancipation humaine, elle était porteuse des limites imposées par ses adversaires et parfois intégrées dans sa propre action !
Aujourd’hui la bataille de ses adversaires est gagnée et cette victoire ne se mesure pas au statut de la langue du peuple, car ce n’est pas seulement elle qui est marginalisée, mais le statut de l’école elle-même. L’idée venue de la Révolution faisant du savoir le chemin vers l’émancipation, et présente partout sur la planète, jusque vers les années 1960, s’est épuisée. Comment la relancer ? JP Damaggio