Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
19 décembre 2021

Henri Sée sur Donat et Larrazet

Cette présentation du livre sur Larrazet est celle d'un grand spécialiste Henri Sée. JPD

Note critique sur " une communauté rurale à la fin de l'Ancien Régime "  par Henri Sée

( Revue historique n° 309, Juillet Août 1927).

 L’étude de Donat[1] sur une simple paroisse du Languedoc, Larrazet (aujourd'hui commune du Tarn-et-Garonne), qui contient à peine mille habitants, est d'une haute portée. L'auteur a utilisé surtout un cadastre de 1769, qui donne, pour chaque propriétaire, l'énumération complète de ses biens[2]. Il a tiré aussi un parti excellent des archives notariales ; il a consulté les observations des contrôleurs des vingtièmes et vu le rôle de la capitation, que, d'ailleurs, il ne semble pas avoir étudié d'aussi près. Ajoutons qu'il est au courant des travaux généraux, auxquels a donné lieu l'étude de la propriété foncière, et notamment de ceux de Loutchisky et de Kareiev[3]. A l'aide du cadastre de 1769, il a dressé le tableau, par catégories, des propriétaires de Larrazet et de leurs biens fonciers ; puis il l'interprète et étudie d'une façon minutieuse la répartition de la propriété entre les diverses classes sociales. Voici ses conclusions générales. Il y a très peu de familles qui ne possèdent absolument rien, mais la propriété se répartit très inégalement entre les diverses classes sociales. Les propriétaires nobles, au nombre de six, possèdent le sixième de la superficie totale, de sorte que chacun d'eux détient une moyenne de trente-neuf hectares. Les biens d'Église (appartenant à l'abbaye de Belleperche) représentent le dix-septième de la superficie de Larrazet. Les bourgeois (quatorze) possèdent le quart du territoire ; la moyenne pour chacun est de plus de vingt-cinq hectares. Les artisans et occupés d'industrie (soixante-deux), détenant un onzième du territoire, n'ont en moyenne que deux hectares. Dans la population agricole, M. Donat distingue essentiellement les ménagers en leur bien et les laboureurs, d'une part, et les brassiers ou journaliers, de l'autre. Les ménagers (neuf) possèdent, en moyenne, dix-huit hectares, les laboureurs huit[4]. Quant aux nombreux journaliers, domestiques, etc., ils ne possèdent chacun, en moyenne, qu'un hectare et demi. C'est dire que ces travailleurs agricoles ne peuvent guère vivre que du travail de leurs bras. — Suit une étude, à la fois précise et très finement menée, de la valeur comparée de la fortune foncière des divers groupes sociaux. M. Donat montre la lente accession de certains individus des diverses classes vers la classe supérieure : le point d'aboutissement, c'est le bourgeois, qui représente la catégorie la plus élevée du tiers état ; lorsqu'il n'a pu accéder à la noblesse, il s'est montré, vers 1789, l'adversaire le plus résolu et le plus conscient des privilèges nobiliaires. Puisque M. Donat a étudié les ventes de biens fonciers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il aurait dû montrer avec plus de précision au profit de quelles classes elles se sont surtout produites ; en tout cas, d'après ses relevés, elles ont été surtout actives de 1770 à 1780 ; n'est-ce pas une confirmation de la thèse qu'avait soutenue Loutchisky ?

M. Donat a aussi tenté de se représenter la vie économique et sociale de la population de Larrazet en utilisant principalement les archives notariales (contrats de mariages, testaments, inventaires, etc.) ; son exposé abonde en détails intéressants et en vues suggestives. Il montre que, sous l'Ancien régime, il n'y a pas de cloisons étanches entre les diverses classes, qu'il existe entre elles des relations sociales, ce qui n'empêche que, pendant la Révolution, il y ait eu, en fait, de véritables luttes de classes. Sans doute, l'auteur n'a pas eu à sa disposition de papiers seigneuriaux (terriers, aveux, comptes, etc.), sans quoi il nous aurait décrit avec plus de précision la portée du régime seigneurial. Par contre, on voit que les charges fiscales étaient fort lourdes, surtout pour les bourgeois qui n'exploitaient pas eux-mêmes leurs terres. En ce qui concerne la Révolution, la conclusion de M. Donat est à retenir : elle n'a changé profondément ni la vie économique des campagnes, ni la répartition de la propriété ; elle a été surtout juridique et politique ; elle a produit l'émancipation définitive du paysan, maintenant propriétaire autonome de sa terre ; elle a supprimé bien des abus, des inégalités, établi un régime singulièrement plus régulier et homogène.

On trouvera encore dans ce volume des renseignements intéressants sur la culture, sur l'exploitation agricole, sur le mode de location des terres ; on voit que le métayage est absolument prédominant[5]. Cependant, l'étude du régime agraire proprement dit a été laissée un peu dans l'ombre. C'est ainsi que la question si importante du groupement de la population n'a été traitée que d'une façon tout à fait incidente ; est-ce le régime du village aggloméré ou des fermes dispersées? On ne le voit pas très nettement. Dans quelle mesure y a-t-il des clôtures entre les propriétés? M. Donat ne l'indique pas.

Mais peu importent ces lacunes. Soyons reconnaissants à l'auteur d'avoir mené à bien, avec autant de conscience et d'intelligence, ce difficile travail. Grâce à son labeur, ce microcosme de Larrazet nous fait mieux comprendre la vie rurale dans son ensemble. De semblables études sont seules capables de nous montrer ce qui, dans les travaux plus généraux, restera définitivement acquis, et ce qui, d'autre part, aura besoin de révisions et de recherches complémentaires ; c'est dire tout le service qu'elles peuvent rendre à la science[6].

La question de la vente des biens nationaux est toujours à l'ordre du jour. Son étude sera facilitée par le recueil des textes législatifs et administratifs que publie M. Pierre Caron, en collaboration avec M. E. Déprez. L’introduction écrite par M. Caron, décrit l’organisation administrative du service de la vente.[7]



[1] Jean Donat, Une commune rurale à la fin de l’Ancien régime, préface de Camille Bloch, Montauban, impr. G. Forestié, 1926, in-8° 297 p. (Documents sur l’histoire économique de la Révolution, Comité du Tarn-et-Garonne)

[2] Les cadastres de cette sorte servaient à la confection des rôles de la taille réelle, qui n’existait que dans le Midi ; on n’en trouve donc pas dans la France du Nord.

[3] Cependant, de Loutchisky, il ne cite pas l’ouvrage essentiel : La propriété paysanne en France, et particulièrement dans le Limousin, à la fin de l’Ancien régime

[4] On peut se demander si la distinction de ces deux catégories n'est pas quelque peu artificielle.

[5] Arthur Young a mieux compris la nature du métayage que ne le croit M. Donat

[6] M. Donat publie à la fin du volume, d’intéressantes pièces justificatives (testaments, inventaires, baux de métayage et de ferme, nomenclature des terrains de 1765 à 1791, etc.). Des tableaux et un graphique éclairent son travail statistique.

[7] Recueil des textes législatifs et administratifs concernant les biens nationaux, t. 1 du 23 septembre 1789 au 30 décembre 1791 (coll. Documents économiques de la Révolution). Paris E. Leroux 1926, in-8°, XXVII-431 p.

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 024 175
Publicité