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Vie de La Brochure
3 février 2022

Mexique-Cuba-Padura

En 1867 les USA achètent l’Alaska. A la même époque l’idée circule d’un achat du Yucatan. Les USA pensent qu’ils vont pouvoir mettre la main sur Cuba et en possédant le Yucatan ils devenaient maîtres des Caraïbes. Aujourd’hui encore, au Yucatan, Cuba est regardé avec intérêt et souvent avec sympathie. La sortie cette semaine du nouveau livre de Léonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens, un roman qui, à partir du cas de l’assassinat à Mexico de Trotski, met un pied à Mexico tout en restant à Cuba où est mort l’assassin du célèbre russe, m’incite à revenir sur le cas de cet écrivain que j’ai croisé pour la première fois en 1999 dans un journal… mexicain. Voici cet entretien qui, dix ans après, prend un parfum nouveau. JPD

La Jornada Semanal. 17 octobre de 1999

Anayanci Fregoso

Entretien avec Leonardo Padura

Délinquants au col blanc°

 Leonardo Padura est une des nouvelles voix de la littérature cubaine. Les romans qui composent son quartet contiennent le même sceptique détective, le lieutenant de police Mario Conde. Avec le réalisateur de Fresa y chocolate, Senel Paz, il est déjà considéré par beaucoup de personnes comme un personnage emblématique de la réalité cubaine des années 90. Ici, Anayanci Fregoso discute avec Padura sur la revalorisation d’un « genre mineur ».

 Le sentimentalisme est-il une des caractéristiques du nouveau roman policier latino américain ?

Non ce qui se passe c’est que nous vivons dans un monde où les projets collectifs ont échoué, donc la quête d’une solidarité entre les personnes est très importante. Pour les personnages des romans policiers latino américains cette solidarité leur est fondamentale. Cuba traverse une transformation très profonde un peu nébuleuse pour moi et s’il y a quelque chose à sauver c’est précisément la solidarité entre les personnes. Paysage d’automne, mon dernier roman aborde l’amitié qui est la première forme de solidarité que je défendrais.

Dirais-tu qu’il existe un roman policier latino américain différent des autres ?

Oui, il est plus engagé et plus citadin, tournée vers la parodie, citant des textes et ce citant lui-même. Il passe de la fiction au témoignage avec un naturel absolu. C’est un roman également marqué par la violence des processus politiques et sociaux qui se sont produits en Amérique Latine : seul le cas cubain a été comme une île à part. Ce qui est arrivé c’est que dans le roman noir latino américain qui s’est écrit chez nous entre les années 70 et 80 est complètement à part du reste du roman policier latino-américain.

On dit que le genre policier est un sous-genre avec des règles définies. Ont-elles conditionnées tes choix ?

Cette idée que le genre policier est un sous-genre, a été inventée par des théoriciens de la littérature. Des romans comme Le faucon maltais, La solitude du manager, La Pierre lunaire, si ce ne sont pas des grands romans, qu’est-ce ? Les coupables de cette vision du roman policier comme un sous-genre est aussi le fait d’écrivains qui ont cultivé ce type de littérature en se centrant exclusivement sur la solution d’une énigme et firent que toute la concentration dramatique et la définition des personnages furent basées sur un mystère à résoudre. Ils créèrent une série de schémas qu’ils répétèrent et de là a surgi le fait que le genre policier a été considéré comme un sous-genre. Il a des caractéristiques propres, tout comme la littérature de science fiction ce qui permet de la définir et de la classer. Mais les nouveaux auteurs nord américains, les continuateurs de l’œuvre de Hammett et Chandler créent un type de romans où parfois il n’y a ni enquête, ni policier, ni délit. Ils ont rompus les règles ce qui permet au roman policier de pénétrer dans la société de manière extraordinaire.

Quelle différence y a t-il entre ton roman policier cubain et celui des années 70 ?

Le roman policier cubain fut d’abord un roman promu, publié et dirigé par une organisation aussi peu littéraire que peut l’être le Ministère de l’Intérieur et tout ce qu’il représente. La vie cubaine n’entrait pas dans de tels romans mais y entrait le désir de montrer une société parfaite et ce fut fatal pour la littérature. La littérature policière cubaine s’emprisonna, en se remplissant de clichés. Les personnages furent absolument faux sauf dans les romans de Daniel Chavarria et deux ou trois autres. Quand j’ai écrit Passé parfait, la première aventure de la tétralogie je voulais faire un roman policier qui ne ressemble pas aux autres. La première action consista à rompre avec de tels personnages schématiques : de ce fait dans les trois premières pages du livre, j’ai présenté ce détective qui se réveille d’une terrible cuite, c’est un écrivain frustré, un type très septique et très désespéré. Par ailleurs, le roman policier cubain s’appuyait sur deux centres d’intérêt : la délinquance interne et l’espionnage de la CIA. J’ai inversé cette situation en évoquant les délinquants aux cols blancs, la corruption dans les hautes sphères du gouvernement cubain, et ainsi je me démarquai du roman précédent. De plus je me suis efforcé de donner un style à mes romans.

Pourquoi les histoires de tes quatre romans se passent en 1989 ?

La première raison c’est que j’ai commencé à les écrire en 1990 donc 1989 est mon passé immédiat. La situation économique était à Cuba très tendue, il y avait eu Ochoa et De la Guardia qui avaient été fusillé et on découvrait des procès de narco trafiquants. Une possibilité se faisait jour que le gouvernement puisse tomber, l’économie était à zéro, on parlait de la possibilité que tous les citoyens partent à la campagne et tout ça c’est le fond de mes histoires, mais je ne vais pas me mettre à faire le bilan de cette année parce que je ne connais pas pleinement cette histoire qu’à Cuba seulement quelques personnes maitrisent, et je ne voulais pas tomber sur le terrain politique, mais seulement raconter combien les états d’âme des cubains de ces années là avaient changé.

La censure t’a permis d’aborder dans tes romans des thèmes interdits aux journalistes ?

J’ai abordé beaucoup de thèmes qu’il aurait été impossible d’aborder en tant que journaliste. La presse à Cuba appartient au gouvernement et à partir de là il est très difficile à Cuba de faire un journalisme approfondi. Dans le roman, il y a plus d’espace. Quand j’ai écrit mes romans je ne savais pas s’ils pourraient être publiés à Cuba, et ceci m’a donné un espace de liberté plus grand encore. Par ailleurs, la politique culturelle cubaine est devenue plus flexible. Ce n’est pas que ce soit le paradis de la création, mais au cours des années 80 les artistes conduisirent une série de batailles qui ouvrirent des espaces. Je précise que les journaux officiels ne m’ont jamais rien dit sur mes romans. Je sais qu’il s’agit de visions assez critiques de la réalité cubaine et qu’à un certain niveau elles peuvent ne pas être appréciées.

Les marginaux sont les héros de tes romans ?

Je ne m’étais jamais posé la question ainsi… Tu me pousses à y penser. Mais c’est sûr, Conde est un type qui est ors de tout, ses amis vivent de l’économie parallèle, ils veulent immigrer aux USA et ils sont estropiés de la guerre en Angola. C’est évident que j’ai provoqué une inversion : alors que Conde et ses amis sont des marginaux vu leur vision de la vie, ceux qui ne sont pas apparemment des marginaux ce sont les délinquants, les coupables que je présent dans mes romans.

En conclusion, tes romans reflètent-ils la fragmentation de la société cubaine ?

Les marginaux ne le reflètent pas d’un point de vue politique mais je parle des minorités religieuses qui se convertissent en majorité. Vu la crise, ces dernières années la religiosité à Cuba a augmenté parce que quand les gens cesse de croire en quelque chose ils commencent à croire en autre chose ; de plus il y a eu beaucoup de mutations idéologiques. Ce qui m’intéresse c’est de présente la diversité à Cuba pour qu’on ne voie pas le pays comme un bloc homogène. Je ne sais si je le fais bien ou mal, mais je suis convaincu que c’est un projet important parce qu’il est arrivé quelques chose d’assez absurde et terrible pour la littérature cubaine, c’est qu’elle a été artificiellement divisée entre les écrivains de l’intérieur et ceux de l’extérieur. On qualifie les uns et les autres d’un point de vue politique et je crois qu’il est important de dépasser cette situation par permettre à tous les écrivains cubains de donne leur vision de la réalité qui n’a pas à coïncider avec leur place.

L’image extérieure de Cuba a toujours été homogène car il n’y avait que la voix officielle. De l'intérieur ça nous a poussés à paraître homogènes alors qu’en réalité nous ne l’étions pas. On a enlevé la voix de Virgilio Pinera, Lezama Lima, Renaldo Arenas ; beaucoup furent obligés de vivre à Cuba sans publier ou à s’exiler, mais il n’y a jamais eu d’homogénéité. A Cuba, il y avait beaucoup de croyants qui pratiquaient leur religion discrètement, pour obtenir certaines positions à l’intérieur du système : être franc-maçon à Cuba pouvait provoquer des problèmes.

Quand j’écris mes romans je pense que je suis plus révolutionnaire que d’écrire des louanges au système cubain. Je pense que si quelque chose peut sauver le pays c’est une critique profonde venant de l’intérieur. On ne peut limiter les visions de la réalité et ceci s’est beaucoup produit à Cuba pendant les années 70 et c’est ce que j’essaie de raconter dans Les masques. Que sur ce point écrivains de l’intérieur et écrivains de l’extérieur puissent se rapprocher…

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