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Vie de La Brochure
19 mars 2022

Le sous-réalisme et Paolo Conte

Paolo Conte

Depuis un jour très précis de d’août 1985 je rêve d’écrire une étude sur le sous-réalisme dans le cadre d’un discours sur l’ignorance volontaire. Cette obsession ne me quitte pas et pourtant je n’arrive pas à la conclusion. Je reprends ici un texte de 1994 après mon passage exceptionnel au Théâtre des Champs Elysées décoré par Bourdelle à Paris où je m’étais laissé emporter par Paolo Conte que j’écoutais tant à l’époque. Je ne cherche pas à l’embrigader sous l’anti-bannière sous-réaliste mais à le revisiter. JPD

 Le sous-réalisme et Paolo Conte

Sans l’ombre d’un doute Paolo Conte est un surréaliste. Par sa pensée sa musique et sa poésie. Pourtant un non-engagé ! Les surréalistes en France ont pratiqué l’engagement politique à une époque où ils se voulaient hégémoniques. Ils se devaient de s’occuper de tout. En Italie où peu de gens cherche l’hégémonie, Paolo peut se dispenser d’engagement social, antimilitariste ou autre. J’adore son surréalisme épuré, direct, quotidien et donc très profond. Un fils des années 20 transmutées en année 45 : le jazz, l’ouverture, le déclic, le sens surréaliste en bref.

Aux yeux du sous-réaliste que je suis (donc anti-surréaliste), je considère que son manque de prétention lui évite de dicter, en tout domaine, sa pensée (comme le font quelques intellectuels français qui se respectent).

Natif et vivant à Asti en province piémontaise, cette clef le rend pour une part, sous-réaliste, ce lieu n’ayant rien du Quartier latin. Deuxièmement, n’étant pas un spécialiste, pas de manifestes, de déclaration de guerre, juste un dilettante, quand des Français ne s’imaginent qu’en Voix Autorisée. Dilettante, le mot est lâché ! Il nous vient de l’italien au sens de celui qui trouve plaisir à ce qu’il fait. Il existe derrière, une nuance péjorative, celle du travail en amateur !

Troisième clef qui l’éloigne du surréalisme : sa voix justement, certes un symbole de sa philosophie surréaliste, mais elle ouvre en même temps les oreilles des sous-réalistes. Surréaliste par les textes poétiques qu’elle chante, -à l’écouter on est pris par cette voix, par le rêve, par les jeux de mots et malgré son non-engagement, il révolutionne le monde des sens (dans tous les sens du mot) - pourtant pas la moindre emphase, la voix du quotidien et là c’est du sous-réalisme. Pas de lyrisme, pas d’effets, juste la voix et quelques notes. De plus, ce chanteur n’a pas une grande voix. Ce chanteur est la vie même : il fait œuvre comme il respire. Entendons-nous bien, rien de naturel derrière cette œuvre mais il existe une unité : la clef finale est le présent, et le sous-réaliste fonctionne au carburant du présent quand le surréaliste invoque le futur. Conte garde tout son présent avec lui : le présent provincial, le présent musical, le présent sentimental. Sa déchirure n’est pas une révolution, mais une insertion encore plus forte dans le présent du lieu.

Des Français peuvent trouver fade le surréalisme de ce brave, puisqu’il élimine tout rapport à l’engagement. En fait de surréalisme sage, il s’agit du miroir réel (donc sous-réaliste) dans lequel les prétentieux peuvent découvrir leur face de beaux parleurs !

Boris Vian est le chanteur surréaliste par exemple. Engagé, irrespectueux et ma foi sa voix semble aussi peu chargée de fioritures que celle de Conte. Boris Vian est la meilleure justification pour ceux qui classent Conte chez les surréalistes. Il est poète et utilise le chant. Il est assez dilettante. Il a un sens du jazz etc. Mais sa voix a le ton de l’affirmation, le ton professoral, le ton coup de poing.

Conte n’est qu’hésitation, doute, calme et volupté. Vraiment Conte n’a aucune guerre à déclarer. Sa guerre est celle destinée à ouvrir les humains à eux-mêmes. Quand on l'écoute on ne peut que se dire souvent, « ce qu’il dit m’est arrivé ! » Parce qu’on a vécu des étés, des amours, des déceptions, etc. et pourtant ce n’est pas de la chansonnette, vu l’image poétique. Conte parle clair et il en a besoin puisque ses textes restent déroutants.

Conte, un surréaliste de A à Z et sa biographe est fière d’annoncer que des étudiants français le scrutent comme un grand poète. S’il est frappé par la maladie de l’étude de texte, Conte risque de ne plus être Conte. Sa force n’est pas dans les textes mais dans la vie qui produit les textes. La religion du texte est du surréalisme plein pot, or voici ce qui doit frapper l’esprit : ces textes ne nous seraient jamais parvenus sans l’attachement à un mode d’être. L’exemple est l’accordéon. Conte comme tout surréaliste qui se respecte crache d’abord sur l’accordéon, l’instrument rendu populiste par excellence, puis il se ravise et chante la fisamornica di stradella. Le mode d’être le sauve. Il reste accroché à son réel, et découvre que la note d’accordéon tient à la fabrication humaine. Il est symptomatique qu’allant à Stuttgart, il veuille voir le magasin où le piano de son père était fabriqué pour retrouver un moment de tendresse. Derrière le piano, Conte entend, en tant que bourgeois, la présence d’une grande musique, et en tant que “paysan” il cherche la main de l’homme-faber. Le fabriquant est là au rendez-vous, non comme un détail de l’histoire, mais comme la tendresse de la vie. Le sous-réalisme est cette tendresse là. Le surréaliste en hypertrophiant le texte, les mots, perd le goût de la vie. En réalité, le non-engagement insupportable au sous-réaliste, sauve - à ses yeux – Conte, en lui permettant de rendre compte humblement de la vie des autres en s’y tenant à distance. La prise de distance qui est rupture chez les surréalistes, est ici immersion dans le réel, alors que la chansonnette reste à la surface des choses.

Il faudrait chercher le parallèle Conte/Joseph Delteil frappé au cœur par André Breton, pour provincialisme. J-P Damaggio

 

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