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Vie de La Brochure
4 août 2022

Djemila Benhabib un nouveau livre

Djemila livre

Je reprends cet heureux article du Devoir, quotidien québécois de gauche, article qui ne me semble pas dans la ligne du journal mais parfois tout change. J-P Damaggio

 

Des nouvelles de Djemila, Le Devoir Christian Rioux à Bruxelles, 5 juillet 2022

À Molenbeek, ce matin-là, les femmes qui ne portaient pas le voile islamique se comptaient sur les doigts de la main. En cette première véritable journée d’été, les autres inondaient de leurs profils sombres la chaussée de Gand, la grande rue commerciale de cette commune située à deux pas du centre historique de Bruxelles.

C’est dans ce décor digne d’une rue de Rabat ou d’Alger que Djemila Benhabib se retrouve régulièrement depuis qu’elle habite Bruxelles. Quelle ironie pour quelqu’un qui a fui l’islamisme en quittant Oran dans les années 1990 pour se réfugier d’abord en France, puis au Québec.

«Je crois que ça me poursuit», avoue-t-elle en riant. Est-ce l’islamisme qui poursuit Djemila Benhabib ou ce combat pour la laïcité qui ne lui laisse plus de répit ? Celle qui a quitté le Québec il y aura bientôt trois ans donnait ce jour-là une entrevue sur Maghreb TV, une télévision belgo-marocaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau livre intitulé Islamophobie, mon oeil ! (éd. Kennes). On ne se refait pas. Même loin du Québec, Djemila Benhabib est demeurée la militante de la laïcité qu’elle est devenue chez nous dans les années 2000.

Au coeur de la bête

Et pour cause. À Bruxelles, la passionaria québécoise de la laïcité se retrouve dans ce qui n’est rien de moins, selon plusieurs, que la capitale européenne du communautarisme. Là d’où partirent des djihadistes pour assassiner à Paris 131 personnes et en blesser 350 autres le 13 novembre 2015.

On est ici au cœur de la bête, dit-elle. «La Belgique est un pays de plus en plus fracturé par le communautarisme religieux. Il ne faut pas être devin pour le sentir. Il n’y a qu’à se promener dans les quartiers.» Comme le veut la formule d’un journaliste du quotidien De Morgen, Molenbeek est «devenu synonyme de tout ce qui peut mal tourner dans une grande ville très mixte».

Les groupes salafistes n’ont pas attendu Djemila Benhabib pour se lancer à l’assaut de la capitale européenne. C’est d’ailleurs ici que fut élue en 2010 la première députée voilée en Europe. «Ici, on sent une volonté d’instrumentaliser l’électorat musulman, dit Mme Benhabib. À la fin des années 1970, l’État belge a offert à l’Arabie saoudite les clés de l’islam belge en lui confiant la gestion de la Grande Mosquée de Bruxelles. Aujourd’hui, les musulmans de Bruxelles votent massivement pour le Parti socialiste.»

Qui pourrait croire que dans les années 1970 vivaient ici en harmonie des Grecs, des Italiens, des Polonais et des Arabes ? C’est pourtant ce qu’a connu Malika Akhdim, une femme dans la cinquantaine qui a grandi à deux pas de la commune et qui est membre avec Djemila du Collectif laïcité yallah. «Ça s’est fait progressivement. Il n’y a pas eu de choc. Un jour, mon frère est parti en Afghanistan. Il est revenu complètement illuminé par les mollahs. Aujourd’hui, j’ai des neveux salafistes qui ne me parlent plus et qui me traitent de pute parce que je ne porte pas le voile. Vous comprenez pourquoi on a besoin de Djemila? »

Lorsqu’elle était adolescente, à Oran, dans les années 1980, celle-ci pensait pourtant que l’islamisme était un problème strictement algérien ou arabe. «On n’aurait jamais imaginé qu’un jour on égorgerait un enseignant en France, comme on le faisait déjà en Algérie. On n’avait pas compris que c’est à partir de l’Algérie que l’islamisme s’exporterait en Afrique et en Europe. Même aujourd’hui, l’Algérie n’a pas fait le bilan de cette époque. On a simplement voulu guérir en oubliant.»

Une progression «à bas bruit»

Dans son plus récent livre, Djemila Benhabib brosse un tableau de cet islamisme qui progresse «à bas bruit» aussi bien en Belgique qu’en France et au Québec. Tout cela à la faveur de ce qu’elle appelle le «pas-de-vaguisme», cette peur de blesser, de stigmatiser, cette obsession du consensus qui muselle même les esprits les plus éclairés.

Elle raconte notamment comment son ami l’humoriste Sam Touzani n’a pas pu se produire à Molenbeek pendant près de 10 ans. La ville était alors dirigée par le maire Philippe Moureaux, désormais décédé, un ténor du Parti socialiste bruxellois aujourd’hui accusé de clientélisme. Parce qu’il parlait du Maroc et de l’islam, Touzani était menacé de se faire battre à la sortie des spectacles.

«Quand je suis arrivée en France avec ma famille, en 1994, on s’attendait à ce que les intellectuels de gauche soient solidaires avec nous. On a été surpris de découvrir le contraire. Parce que l’islam était la religion des opprimés, il ne fallait rien dire. Je me suis retrouvée en porte-à-faux avec ma famille politique. Nous avons dû faire le deuil non seulement de notre pays, mais aussi de notre famille politique. Je n’ai pas hésité à le faire.»

Souvent accusée d’«islamophobie», Djemila Benhabib récuse ce terme, dit-elle, qui «a été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles», comme l’a écrit Salman Rushdie dans son roman Joseph Anton. Une façon d’étouffer le débat, insiste-t-elle.

Pourtant, il ne se passe pas une journée sans que l’islam fasse la manchette en Belgique. Un jour, de peur de perdre leurs électeurs musulmans, les socialistes refusent de voter une loi interdisant l’abattage rituel des animaux (sans étourdissement), conforme à la tradition musulmane. Un autre jour, c’est le port de signes religieux par le personnel d’un tribunal de la région de Liège qui fait débat. Depuis qu’elle est à Bruxelles, Djemila Benhabib et ses compagnons ont dû prendre la défense de deux Tunisiens expulsés d’un centre pour réfugiés parce qu’ils étaient athées. Dans un autre centre, il a fallu protéger une transsexuelle marocaine violentée par ses coreligionnaires. Ce qui forcera même l’État à ouvrir des centres réservés aux LGBTQ+.

Une plaie ouverte

Si ce n’était de ses parents vieillissants, il n’est pas certain que Djemila Benhabib aurait quitté le Québec. Si ce n’était non plus de cette offre de chargée de mission du Centre d’action laïque (CAL), un organisme très influent en Belgique né à la fin des années 1960. Au lieu de ne «reconnaître aucun culte», comme la loi de 1905 le stipule en France, la Belgique a choisi au contraire d’en reconnaître plusieurs. Pour que les athées et les agnostiques ne soient pas en reste, l’État belge finance donc le Conseil central laïque, dont fait partie le CAL, chargé notamment des cours de morale laïque dans le réseau des écoles publiques.

Du Québec, Mme Benhabib s’ennuie de ses amis qu’elle a été obligée de quitter. Ce Québec dont elle ne connaissait, avant d’y débarquer en 1997, que la chanson Hélène de Roch Voisine. « Qui n’est même pas québécois, comme je l’ai appris par la suite », dit-elle.

Mais un souvenir la hante. Ce jour du 12 février 2017, où, après l’attentat de la mosquée de Québec, elle a été interdite de parole à la Maison de la littérature de Québec « pour ne pas offenser la communauté musulmane », écrira Radio-Canada. Bien avant SLĀV, Kanata et Mélissa Lavergne, récemment congédiée comme porte-parole du festival Nuits d’Afrique parce qu’elle est «blanche», Djemila Benhabib aura été l’une des premières victimes de la «cancel culture». Ce geste d’« épuration de la parole publique », dit-elle, elle ne l’a jamais digéré. La censure a beau avoir été plus «douce» dans son cas, puisque la rencontre a finalement été reprogrammée trois mois plus tard, «j’ai été condamnée avant même d’avoir parlé. Ça, je ne m’y attendais pas. Quelque chose en moi s’est cassé ce jour-là».

Le genre de plaie qui ne se referme pas.

Christian Rioux à Bruxelles 5 juillet 2022

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