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Vie de La Brochure
12 janvier 2023

Eric Hobsbawn, sa vie et l'Italie

Eric Hobsbawn

Eric Hobsbawm, né le 9 juin 1917 à Alexandrie et mort le 1er octobre 2012 à Londres, est un historien britannique exceptionnel. Dans son autobiographie il a un long chapitre sur ses liens majeurs avec l'Iralie. Et c'est à ce titre que je sui allé le rechercher. Et des années après ma première lecture, et vu l'évolution de l'Italie son témoignage est très précieux. J'y reviendrai mais pour aujourd'hui je me contente de reprendre le texte de présentation de la dite autobiographie sur Marianne en 2005. Que le temps passe !  C'est Guy Konopnicki qui était déjà à l'oeuvre. J-P Damaggio

 10 au 16 décembre 2005 / Marianne 73

Eric Hobsbawn

Les Antimémoires d’un historien octogénaire

Son objet d'étude : le siècle dans lequel il a mûri. Sa position originale : celle d'un marxiste anticonformiste anglais. Eric Hobsbawm s'est toujours efforcé d'étudier le présent en historien et non en sociologue.

Par Guy Konopnicki

C'est peu dire qu’Eric Hobsbawm est né dans l’histoire. Sa date de naissance, 1917, est celle d’une fondation révolutionnaire. Anglais par son père et autrichien par sa mère, il naît à Alexandrie, parce que ses parents ne peuvent vivre dans l’un ou l’autre des deux pays en guerre. La paix revenue, la famille retourne à Vienne. Hobsbawm grandit dans la capitale déchue d’un empire effondré. La ville vit encore le foisonnement des idées et des audaces artistiques, mais elle n’est plus que le chef-lieu d’une petite république provinciale. Musil n’est pas très loin quand Hobsbawm décrit la Vienne de son enfance, avec sa petite bourgeoisie ruinée, comme son propre père, qui d'angoisses en emprunts disparaîtra prématurément, d’une crise cardiaque, semble-t-il.

On rêve, pourtant, dans Vienne la rouge. Les socialistes y sont majoritaires, ils ont bâti au bord du Danube une cité d’avenir, un vaste ensemble de logements sociaux qui portent le nom de Karl Marx. Sur l’autre rive du fleuve, les chanceliers successifs Dollfuss et Schussnig rêvent d’établir un régime autoritaire et corporatiste, proche du modèle fasciste italien. Vienne vit, à plusieurs reprises, une version armée de la lutte des classes. Le point final de cette histoire, Eric Hobsbawm le verra de loin : c’est l’Anschluss et la parade triomphale d’Adolf Hitler sur l’Heldenplatz.

Lejeune Eric Hosbawm, lui, s’est retrouvé à Berlin, en 1931. Il n’échappe pas à l’histoire, il entre dans un lycée du quartier de Schôneberg, tandis que s’affirment la puissance et la détermination du parti nazi. Eric Hobsbawn n’est que très accessoirement juif. La religion ne le concerne pas. Il est un intellectuel de l’Europe centrale. A le lire, à l'écouter, on voit surgir Kafka et Ernst Lubitsch, on entend une symphonie de Mahler. A Berlin, il rencontre l’ombre de celui qui y étudia la philosophie cent ans avant lui : Karl Marx, dont il commence la lecture, en allemand dans le texte, dans ces bibliothèques prussiennes que fréquentait le jeune hégélien de gauche. La politique s’impose, face au danger pressant. Voici Hobsbawm au SSB, organisation étudiante dans la mouvance du KPD, le Parti communiste allemand. Et Hobsbawm de décrire, avec une plume de romancier de l’histoire, ces nuits sombres de Berlin, ces manifestations, ces combats plus terribles encore que ceux de Vienne. Il verra jusqu'au dernier rassemblement légal, foules communistes qui convergent vers l’immeuble Karl- Liebknecht, siège du KPD. Manifestation inutile. Le Reichstag brûle. La dictature est en place. Eric Hobsbawm a la chance d’être anglais par son père.

C’est à Cambridge qu’il terminera ses études. Il aura bientôt une position originale, celle d’un marxiste anglais. Il y parvient, en commençant par refaire, personnellement, l’itinéraire de Karl Marx, de Berlin à Londres. On verra, dans son récit des années de guerre, que l’Angleterre n’était pas le refuge tranquille que l’on croit. Les bombes du Blitz n’épargnent pas Cambridge. Dans ce lieu où d’autres intellectuels concevront une version aventurière de l’engagement communiste, au point de devenir espions soviétiques, Eric Hobsbawm affirme une pensée originale. Il est marxiste et, à partir du marxisme, construit une nouvelle école historique qui n’en porte pas moins la marque, très britannique, de son lieu de naissance. Son objet d’étude est le siècle dans lequel il se situe. Ce «court XXe siècle» qui, pour Eric Hobsbawm, commence en 1914 et s’achève en 1991. L’historien a vécu son objet d’étude comme celui de « l’âge des extrêmes ». Eric Hobsbawm préfère l’époque précédente, ce XIXe siècle « où l’on pouvait croire au progrès moral, où l’on croyait que l’éducation transformerait la civilisation ». Mais il a vécu dans ce siècle qui a connu « l’expérience des grandes catastrophes ». Marxiste anticonformiste, qui n’a pas attendu la fin des années 50 pour rompre avec le stalinisme, Eric Hobsbawm s’est toujours efforcé d’étudier le présent en historien, non en sociologue. En cherchant, donc, à placer chaque événement vécu dans le mouvement de l’histoire. Il laisse à d’autres les regrets et les reniements. S’il a cru, comme nombre d’intellectuels, au communisme soviétique, c’est que « la faillite du vieux monde était telle qu’un système assez primitif a pu s'imposer comme un modèle ». L’engagement lui-même ne se comprend que du point de vue de l’histoire. Aujourd’hui, il se flatte d’« appartenir à une catégorie très minoritaire mais en plein développement, les octogénaires » ! Il regarde toujours cette société où l’on voit « l’espace du politique se rétrécir ». Son bilan du siècle passé est, très paradoxalement, optimiste. «Au fond, dit-il, du point de vue des historiens classiques, on pourrait imaginer qu’une longue période de stabilité fondée sur la victoire d’Hitler aurait été préférable. On pourrait aussi tenir pour une catastrophe la fin de la guerre froide, qui était, aussi, une période stable. Mais nous vivons autre chose. Les aspects strictement politiques de notre histoire contemporaine sont dépassés par un autre phénomène. L’accélération incontrôlable des sciences et des technologies génère une crise de toutes les institutions, de toutes les sociétés et transforme radicalement les relations humaines. » L’esprit rebelle d’Eric Hobsbawm ne s’arrête jamais. Il a changé avec l’histoire ? Sans nul doute. Parce qu’il ne l’étudie pas comme un objet extérieur, parce que son originalité réside moins dans sa fidélité au marxisme que dans sa position de critique d'une histoire qu’il vivra de l’intérieur jusqu’à son dernier souffle ■

‘Franc-tireur. Autobiographie, d’Eric Hobsbawm, Ramsay, 521p., 23,50€.

 

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