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Vie de La Brochure
28 février 2023

Interdit aux chiens et aux Italiens

interdit

Le film d’Alain Ughetto où il utilise avec talent le film d’animation, raconte l’histoire de sa famille.

Début du XXe siècle, dans le nord de l’Italie, à Ughettera, berceau de la famille Ughetto. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse alors les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant à jamais le destin de sa famille tant aimée. Son petit-fils retrace ici leur histoire.

Avec sensibilité. Avec humanisme. En italien sous-titré. Un beau film. Peut-être qu’un peu trop de malheurs s’abattent sur la famille. Il existe une seule maison dans la montagne et une seule bombe dans l’avion et elle tombe… sur la maison. Il est très difficile de rendre compte d’une telle histoire donc parfois des schématismes s’imposent.

Bien que la séance ait eu lieu un lundi après-midi il y avait du monde alors que la séance du vendredi soir avait été favorisée par le soutien d’une association piémontaise. Le thème touche du monde. J'ai le plaisir de croiser un copain de l'Ecole normale, une autre histoire italienne qui le hante.

Ariane Ascaride apporte sa voix et bénéficie d’un page dans Le Monde avec ce titre qui n’est pas celui de la page internet : « Je suis l’héritière de gens qui n’avaient rien ». Le risque de la position victimaire qui est tellement à la mode, était aussi celui du film. Non la famille Ascaride n’avait pas RIEN. Pas plus que la famille Ughetto. La preuve la famille Ughetto a pu s’acheter une propriété agricole.

Alain Ughetto

Je reviendrai sur le long entretien d’Ascaride sur Le Monde que je ne partage pas même si j'aime bien l'actrice. Elle prend le langage et la posture de la révoltée mais les postures ne mènent nulle part. Mais revenons à Ughetto.

Dans le film on retrouve les bons moments à l’accordéon, le rejet des curés et du fascisme, et l’envie de lutter si bien que le petit-fils pour être un manuel comme sa famille, fait dans le cinéma d’animation (en montrant la fabrication des éléments).

Pour le moment laissons-le parler.

Alain Ughetto, le réalisateur d’Interdit aux chiens et aux Italiens, était de passage à Paris avec sa valise de marionnettes, avant de s’envoler pour Tokyo où il allait présenter son film. Nous l’avons rencontré pour évoquer la genèse de ce film historique nourri de l’histoire de sa famille.

 Votre film est résolument hybride, à commencer par la manière dont il mêle passé et présent, Histoire et trajectoire personnelle. Comment s’est organisée son écriture ?

 Je me suis intéressé à la mémoire orale. En plus de mes propres souvenirs de mon grand-père et de ma grand-mère, j’ai recueilli le témoignage de mes cousins, de mes cousines, de mes frères et de mes sœurs sur la manière dont ils avaient perçu Luigi et Cesira [NDLR : ses grands-parents, les personnages principaux du film]. Le recoupement de ces récits m’ont permis, de manière chronologique, de recomposer leur histoire. Le projet plus large du film a ensuite consisté à retrouver des témoignages enregistrés par Benvenuto Revelli, un sociologue, écrivain et résistant italien, qui a écrit un livre intitulé Le Monde des vaincus. Quand j’ai trouvé ce livre, je me suis dit : « voilà le cadre du film ! » Il comporte des souvenirs de paysans de l’âge de mon grand-père qui vivaient au même endroit, dans le Piémont. Cet appui a été déterminant. Puis, je suis allé à Ughettera [NDLR : le village familial dans lequel se déroule une partie du film] pour vérifier les dires de mon père, mais je n’y ai trouvé que des ruines. Ces gens étaient des paysans, des charbonniers ; les arbres ont repoussé sur leurs traces. J’ai ramassé tout ce qui faisait leur quotidien puis j’ai élaboré un décor à partir de ces éléments : le charbon de bois est devenu les montagnes, les brocolis des arbres, les morceaux de sucre des murs… À partir de ces objets, j’ai raconté leur vie. La forme du film a du coup nécessairement évolué : j’avais d’abord plutôt en tête un documentaire, mais je me suis vite rendu compte que c’était impossible à faire avec de l’animation sans recourir à une part de fiction. Le tournage a duré en tout neuf ans.

 Ce mélange des formes métaphorise-t-il, en quelque sorte, l’entremêlement des récits dont vous vous êtes inspiré ?

 J’ai commencé à raconter mon récit à la première personne, mais le « nous » s’est imposé, parce que j’avais déjà fait la somme de tout ce que j’avais recueilli à travers toutes ces voix. Par exemple, lorsque j’étais petit,  je n’avais jamais connu de racisme en tant qu’italien (une question qui occupe une place centrale dans de la deuxième partie du film). Je me suis demandé pourquoi et je suis allé chercher dans les albums photos, où j’ai retrouvé une photo de classe. J’ai essayé de me souvenir des noms de mes camarades d’alors : ils étaient tous italiens ! En France, notre famille vivait vraiment dans une diaspora, mais j’ai essayé de prendre en compte d’autres récits, différents des miens sur ce point.

 À plusieurs reprises, vous parlez avec votre voix d’adulte par votre bouche d’enfant, ce qui occasionne des scènes curieuses dans lesquelles vous dialoguez avec votre grand-mère alors que vous avez sensiblement le même âge qu’elle à l’écran.

 Je voulais d’abord rendre hommage à ma grand-mère, qui est morte quand j’avais douze ans. J’en ai gardé l’image d’une femme tout en noir devant la gazinière. Ma madeleine de Proust, c’est qu’elle prenait la croûte du gruyère pour la mettre à l’envers sur la gazinière, et lorsqu’elle commençait à fondre, elle m’appelait et me la donnait. Ce geste, cette générosité, a un côté magique. Dans tout le film, j’essaie de restituer ce geste, cette fierté. D’ailleurs, je ne voulais pas que mes personnages vieillissent : la tête qu’elle a au début est la même jusqu’à la fin, à l’exception de quelques petits cheveux blancs.

 Il se dégage une grande impression de fluidité de la cohésion des formes dont nous parlions tout à l’heure. Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de l’animation de cette famille ?

 Ce sont des marionnettes animées en stop-motion, dans un petit théâtre. Elles sont faites en résine et sont articulées avec du fil de fer. Je voulais que les personnages aient des yeux un peu exorbités, comme s’ils étaient émerveillés par les décors qu’ils découvrent. Ils ont tous les mêmes formes, avec quelques particularités selon les nationalités. Le gros du travail a été de trouver des matériaux à l’échelle des marionnettes pour la confection des costumes. Les décors dans lesquels évoluent les personnages ont également nécessité un travail important : j’ai le souvenir du regard du chef décorateur quand je lui ai annoncé que je comptais représenter les arbres d’une forêt par des brocolis (rires).

 Vos personnages, très expressifs, parlent beaucoup avec les mains : cette manière particulière de les animer vient-elle de la culture italienne ?

 Effectivement, ma grand-mère, même en parlant, ne s’arrête pas : elle cuisine, cire le parquet, elle fait toujours quelque chose ! Quand on voit des films italiens comme ceux avec Totò, ou Miracle à Milan, on se dit : « Vraiment, ces cinéastes auraient dû faire de l’animation ! » Ça aurait été encore plus beau, avec moins de trucages.

 Vous rompez le quatrième mur à plusieurs reprises en introduisant votre main dans les images animées. Comment vous est venue cette idée de faire apparaître votre main ?

 Il fallait à tout prix que je m’intègre à cette histoire. En retraçant la généalogie de ma famille, la question de la transmission d’un savoir-faire manuel s’est imposée : Luigi fabriquait ses outils, et ce savoir qu’il avait entre les mains, il l’a transmis à son propre fils, mon père. Avec ce savoir, j’ai à mon tour essayé de faire le film, en regroupant des centaines de petites mains qui sont venues, à leur tour, « donner la main » pour faire aboutir ce projet. Les mains sont partout, notre langage en est le témoin, comme quand on dit « je maintiens » ou « maintenant ». Je sais que quand je parle, je le fais avec les doigts.

 Le film a fait sa première au festival d’Annecy, où Michel Ocelot présentait également son dernier film, Le Pharaon, le sauvage et la princesse. Malgré un style très différent, le film traite comme le vôtre de sujets de société du passé au présent.

 Je pense que Michel et moi partageons une certaine manière de voir les choses : en animation, on peut tout de suite aller loin dans la poésie. Quand je suis coincé dans la représentation d’une scène, je me dis souvent : « Ne sois pas plombant ». Au bout de deux personnages morts, on cherche des manières différentes d’en parler : on les met de côté, et la vie continue. Dans les témoignages que j’ai retrouvés de mon père, il raconte que, après la mort de son frère et le temps du deuil, il s’est senti accompagné par lui. Des fois, je croise les jambes, et je me dis : « Tiens, c’est mon père qui fait ça ». Les morts nous accompagnent, le passé accompagne le présent.

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