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Vie de La Brochure
6 mars 2023

Vincenzo Consolo et Marcelle Padovani

Je connais peu l'oeuvre de Consolo mais je reprends avcec plaisir cette présentation de Marcelle Padovani qui depuis 1974 est un peu comme une "madame Italie" au Nouvel Observateur (elle est l'épouse de Bruno Trentin dirigeant syndical). J-P Damaggio

 

consolo

Le Nouvel Observateur (sans dout 1995),

Consolo, le pèlerin des décombres

Imperturbable et parfumé, le jasmin a poussé à côté des cadavres carbonisés de la raffinerie de Milazzo (Sicile), [explosion dans une raffinerie] après la terrible explosion de juin 1993. Aujourd'hui, fatigué, même le jasmin a déposé les armes. Lorsque l'écrivain Vincenzo Consolo est revenu sur les lieux, il n'y avait plus trace de cet arbuste méditerranéen : les crimes, en Sicile, ne sont donc pas tous mafieux... La nature (avec ses tremblements de terre) et l'homme (avec son prétendu progrès industriel) se donnent généralement la main pour tuer les paysages, l'histoire, l'architecture. Et les Siciliens à l'occasion.

« Ruine immortelle » de Vincenzo Consolo est la chronique d'un voyage halluciné au milieu des décombres, d'un terrifiant ballottement entre terres âpres et criques pierreuses, en passant par les labyrinthes obscurs et les silences ascétiques d'un peuple mille fois envahi qui ne parvient plus à défendre sa civilisation. Consolo, comme Ulysse, qui accompagne en sourdine ce voyage de retour, était parti pour la mythique Ithaque : il n'y a pas trouvé, lui, l'olivier, mais sa variante saumâtre et bâtarde, l’ulivastro (1). Et des ruines et des deuils.

Vincenzo Consolo a aujourd'hui 63 ans. Il a laissé la Sicile pour Milan en 1968, attiré par la résolution industrielle et les prémices de l'« automne chaud », par la mentalité productive et la capacité de résistance des hommes du Nord. Mais il savait bien qu'un jour ou l'autre il devrait revenir vers l'île-aux-trois-pointes (« Trinarica »). « Celui qui s'en va est toujours condamné au retour, ne fût-ce que pour retrouver son histoire et sa mémoire. Giovanni Verga et Elio Vittorini, eux aussi, sont revenus. On n'en a jamais fini avec la Sicile. » Surtout lorsque, comme Consolo, on y a laissé cinq frères et sœurs. Remords identitaire et remords familial se mêlent alors inextricablement.

« Mon voyage de retour a commencé par la mer, les îles Eoliennes et Catane et Syracuse, avant d'arriver à Gela - le septième cercle de l'enfer -, puis Cefalu, Trapani et Gibellina... Tous des lieux de grandes douleurs et de grands outrages, de désastres écologiques et moraux. La Sicile m'est alors apparue comme une métaphore tragique des sociétés occidentales. Mon voyage, fait de déplacements géographiques et littéraires, est aussitôt devenu un témoignage moral. Je suis découragé. »

Animé de la même passion civique que son maître et ami Leonardo Sciascia, devenu lui aussi une synthèse parfaite de l'« honnête homme » occidental, vertueux et cultivé, Vincenzo Consolo nouveau pèlerin des décombres, n'a cependant pas choisi la même route que son illustre prédécesseur : Sciascia était resté dans l'île. Sciascia avait choisi la littérature rationaliste et policière pou narrer son indignation. Consolo, plus influencé par les mythes de la Sicile orientale, poétique et sur réelle, a préféré la lamentation à la fois populaire et raffinée des cuntastorie, ces ambassadeurs itinérants, ces troubadours du désastre, qui allaient de village en village raconter sur un rythme épique et répétitif les grands malheurs de l'humanité : en commençant par la Chanson de Roland.

La nouvelle « Conversation en Sicile » de Vincenzo Consolo a des allures de dossier synthétique et photographique, de guide culturel parfaitement documenté sur cette Sicile qu'il faudrait sauver de la barbarie. Fureur poétique et rage civique font ici un curieux mélange, élitiste et populaire à la fois. «Ruine immortelle » échappe aux canons littéraires habituels et aux classifications. Baroque et proche de la litanie, rhapsodique et charnel, il rappelle la supériorité de la culture sur l'atavisme primitif.

Le lamento de Consolo devrait accompagner tous les touristes étrangers en Sicile, comme le chant des sirènes accompagna Ulysse. « La forme romanesque est devenue impraticable aujourd'hui, dit Consolo. Parce que le messager - l'écrivain - ne sait plus à qui s'adresser. La langue elle-même fait défaut : quel italien utiliser ? Il ne reste plus que la langue du chœur, poétique, pour commenter le malheur. Celui qui veut écrire sur la Sicile doit accepter de se retirer dans cette zone d'expression difficile et solitaire qu'est la poésie. »

Vincenzo Consolo - le dernier des grands Siciliens après Lampedusa, Sciascia et Bufalino - a donc fait le pari de la qualité et de l'« illuminisme » cher aux lettrés insulaires, qui s'accrochent à la rationalité du siècle des Lumières, faute d'avoir trouvé quelque raison d'espérer dans le monde où nous vivons. MARCELLE PADO VANI

« Ruine immortelle », par Vincenzo Consolo, traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro, Seuil, 176 pages, 95 F

1 ) Le livre de Consolo s’intitule d’ailleurs en italien : « L’ulivo et l’ulivastro »

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