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Vie de La Brochure
21 octobre 2023

Lettre ouverte à Jean-Claude Michéa

Au cours des années 1980 je me suis à la fois plongé dans l’histoire italienne vue par Pier Paolo Pasolini et l’histoire française vue par Michel Clouscard que j’ai eu le plaisir de rencontrer trois fois.

Autant dire que quand, avec les années 2000, j’ai croisé Jean-Claude Michéa je me suis aussitôt senti en bonne compagnie et je partage jusqu’à présent ses fondamentaux à savoir qu’il n’y a actuellement de révolution que celle que le capitalisme nous impose, d’où le titre du livre de campagne d’Emmanuel Macron : Révolution ! En 1980 le PCF lançait un hebdo Révolution avec en sous-titre une phrase héroïque de Georges Marchais : « Nous vivons le temps des révolutions ». Oui mais lesquelles ?

Au cours des années 70 quand, avec le PCF je me suis plongé dans la lecture du célèbre Manifeste j’avais en effet été marqué par ce constat de Marx : la bourgeoisie est contrainte de révolutionner le monde pour mieux le dominer, et nous avons vérifié depuis que les combats de la gauche pouvaient se retourner contre ses propres ambitions ! D’autant plus quand le stalinisme conduisait l’immense URSS dans l’impasse !

Ceci étant, si je prends la plume, ça ne peut pas être seulement pour célébrer des thèses que je partage, y compris à travers le livre : « Extension du domaine du capital ». Le livre fourmille d’informations, d’observations, de références, d'analyses toutes plus judicieuses les unes que les autres sauf que…

Il se trouve que je suis fils de maraicher, que j’ai été instituteur rural, que je vis dans une petite commune du Tarn-et-Garonne de la France périphérique, que je me retrouve tout à fait dans l’analyse qu’en fait Christophe Guilly mais beaucoup moins dans la célébration que vous en déduisez. Votre commune du bas-armagnac me fait trop penser au célèbre village d’Astérix et que nous ayons la même référence au livre de Jean Lespiau ne peut nous rapprocher sur ce point.

Prenons le cas de la chasse paysanne. Jusqu’aux années 1980 (et je suis de ceux qui pensent que cette date est cruciale) sa célébration avait un sens, mais depuis la situation a bien changé. A ce moment là des chasses privées sont nées avec des immensités clôturées et un droit d’entrée financier très sélectif, et dans ces immensités les propriétaires, pour donner du piment à l’offre proposée, ont réintroduit des sangliers. Par la suite les sangliers se sont développés et aujourd’hui une des justifications de la chasse, c’est le besoin d’en limiter l’expansion. Mon père maraîcher n’a jamais eu à se plaindre de sangliers qui avaient disparus. Pour une fois, écolos et chasseurs peuvent se retrouver : écolos favorables à l’introduction de sangliers et chasseurs heureux de cette introduction pour pouvoir en faire des pâtés ! Quel sens ont les animaux d’élevage que l’on libère peu de temps avant l’ouverture de la chasse ?

Pour continuer sur ce point, j’ai apprécié votre dénonciation du TGV sur LGV, avec là aussi la même référence au livre de Gillon, mais dans ma commune qu’en pense le président de la chasse ? Alors qu’une association est née pour lutter contre le projet de LGV, du genre que vous aimez et qu’il m’est arrivé de présider, qu’a écrit le président de la chasse sur le cahier de l’enquête d’utilité publique ? Qu’il demandait des dédommagements financiers vu les dégâts causés au gibier ! Ridicule !

Prenons le cas du rugby que j’ai un peu étudié à travers deux ouvrages. Celui des villages existe encore, mais depuis les années 80 il est marginalisé entre d’un côté l’élite, et de l’autre les périphériques. Le cas des Landes est emblématique avec deux équipes phares qui n’éclairent plus rien.

A vous lire, parce qu’elle est périphérique, cette France serait donc à l’abri des effets d’un capitalisme plus puissant que jamais ?

J’ai bien sûr été un soutien actif du combat des Gilets jaunes auquel j’ai consacré deux ouvrages mais à l’heure du bilan qui ne peut pas être seulement le bilan d’une ignoble répression, je vérifie que les grandioses révoltes facebook ne peuvent même pas ébranler les pouvoirs en place, que ce soi chez nous ou en Algérie, au Pérou, en Iran dans des conditions pourtant totalement différentes.

Avant Pasolini, Clouscard et d’autres je suis devenu un admirateur du communard Léon Cladel (1835-1892) qui comme vous, a célèbré les sans grades de la campagne… sans négliger d’en dénoncer les tares quand elles se présentent. Cladel s’est toujours distingué de son ami Zola (il fit le discours sur sa tombe) car aimait-il dire, il a écrit Germinal sans descendre dans une mine, et de son ami Vallès, au verbe magnifique et tellement urbain. Lui a écrit : Urbains et ruraux ou Effigies d’inconnus.  Et surtout Les Va-nu-pieds. Les questions qui se posent à nous pour changer le monde et donc la gauche sont aussi vieilles que l’histoire de la bourgeoisie avec cependant ce détail : nous sommes au pied d’un mur toujours plus sophistiqué.

Parmi vos multiples références judicieuses il manque celle à un gascon musicien, revenu vivre, au tournant des années 80, dans son petit village des Landes girondines, Uzeste. La première fois que je l’ai vu œuvrer sur la place de son village (en 1985) pour son inévitable festival, il est sorti de la boulangerie (elle était encore là) avec une baguette sous le bras et l’accordéon entre ses mains. Avec l’accordéon j’ai retrouvé cette culture qui nous charme vous et moi, puis ensuite, en cortège, au son d’une musique de bal, nous sommes allés sous des arbres où des poêles à frire nous attendaient et là avec les dites baguettes de pain, il a joué un morceau de batterie, puis le cortège est entré dans l’église pour un concert avec Eddy Louis et Lubat au mélodica. Bernard Lubat grand ami de Bernard Manciet que vous citez dans votre livre, s’appuie sur la culture populaire, à la fois célébrée et subverti. Avec lui je prône la cultivature et le sous-réalisme. Pour me faire intégrer dans un village africain adepte de l'excision me faudrait-il admetre cette coutume ? 

Il reste l’essentiel : comment concrètement, après avoir cultivé le jardin (action à laquelle je me livre aussi), construire cette force politique nouvelle capable de nous sortir des impasses actuelles ? Podemos et Syrisa furent la preuve qu’un sens de la révolte que nous partageons pouvait être entendu mais, comme souvent, la course au pouvoir (pour le dire trop vite) a tué dans l’œuf, comme vous le pointez, le mouvement en marche. Comment peut-on penser que le « capitalisme mondial prend l‘eau de toute part » quand aucune force alternative n’existe pour le remplacer ? Pour ma part ce capitalisme a au contraire démontré qu’il pouvait prendre toutes les formes politiques imaginables : celles de la dictature religieuse du nom de république en Iran, de dictature communiste en Chine, d’autocratie classique en Russie, de dynastie royale en Corée du Nord, de lamentable et triste farce dans la si riche Algérie, etc. Oui les contradictions propres à l’utopie capitaliste devenant de plus en plus proche de son concept, indiquent que le système est en bout de course mais ne l’est-il pas depuis 1920 ? Ou l’écroulement se fera tout seul ?

Marx a fait le pas difficile vers l’organisation politique. Michéa, et d’autres avec lui, peuvent-ils le faire ?

J-P Damaggio

P.S. Pourquoi dire américaine pour étasunienne ?

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