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Vie de La Brochure
20 décembre 2023

Outel Bono par sa femme en 1964

secours populaire 1er janvier 1974

Qui était le Docteur Outel Bono ? Pourquoi s'est-il occupé de politique ?

 par Nadine BONO

 Journal du Secours Populaire 1er janvier 1964

 EN 1945, âgé de 11 ans, le jeune Outel BONO arrivait à Bordeaux pour y poursuivre ses études secondaires. Les yeux pleins du soleil de l'Afrique, il se met au travail avec ardeur, malgré la nostalgie qui naît dans son cœur d'enfant, car il sait que la sueur de ses compatriotes moins favorisés, paiera, au fil des années, la bourse qui lui a été accordée.

Son ambition était de devenir médecin africain ; car comment penser à cette époque là qu'un «petit nègre», aussi doué soit-il, puisse décrocher le même diplôme et monter aussi haut qu'un «petit blanc !».

Durant toute sa scolarité, tant secondaire qu'universitaire, on n'a pas vu l'élève BONO, 2 ans de suite, au même cours. On ne l'a point vu non plus parader sur les boulevards ou dans les cafés de Toulouse, sa ville universitaire. Les quelques heures de liberté que lui laissait l'emploi du temps chargé d'étudiant en médecine sérieux, étaient consacrées à l'avenir de son pays, tant était présente à son esprit, la dette contractée envers ses compatriotes. Il savait qu'étant privilégié dans le domaine de la culture, il en était redevable à ses frères, les paysans tchadiens et son devoir était de se mettre à leur service pour soulager la grande misère dans laquelle ils croupissent.

Rentré définitivement à Fort-Lamy le 1er août 1962, il demande à travailler comme médecin de la Fonction Publique. C'était le premier médecin tchadien ayant le diplôme d'Etat français, le 2e rentrait le 9 août 1962. Je ne puis dire, ici, toutes les difficultés qu'ils rencontrèrent dès le début, à l'hôpital central de Fort-Lamy, où tous les praticiens sont des médecins militaires français, on a voulu les considérer comme médecins stagiaires bien qu'ayant leur thèse tous les deux et le docteur BONO, un certificat d'études spéciales de parasitologie médicale et technique. Ce n'est qu'après maintes démarches et menaces de s'installer à leur compte qu'on les intégra dans la Fonction Publique. Le décret d'intégration fut signé le 20 février 1963, un mois plus tard, le 24 mars, le docteur Outel BONO était arrêté au nom du Président de la République et incarcéré à la Maison d'Arrêt de Fort-Lamy sans motivation. Il n'a connu son chef d'inculpation que 53 jours plus tard, le 16 mai 1963.

 POURQUOI CETTE ARRESTATION

POURQUOI cette arrestation ? J'ai entendu autour de moi : « S'il ne s'était pas occupé de politique, il serait encore en liberté ».

Pour Outel BONO, venu tout jeune en France, les mots en lettres d'or qu'il a si souvent vu briller aux frontons des édifices publics : «LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE » ne sont pas seulement une belle devise ! Imbibé de culture française dans toutes les fibres de son corps, il l'avait faite sienne et de retour dans son pays, il eût aimé pouvoir l'appliquer, comme il eût aimé que la devises de la République du Tchad: UNITE, TRAVAIL, PROGRES, ne soit pas lettre morte. C'est d'ailleurs pour y avoir cru en toute bonne foi, qu'il avait accepté de répondre, en novembre 1962, avec d'autres jeunes étudiants rentrés au pays, à l'appel pressant du Président TOMBALBAYE, qui leur disait :

« Si vous refusez de m'aider, cette fois le Tchad tombera dans le gouffre, et vous ne direz pas que c'est TOMBALBAYE tout seul qui y tombe, ce sera nous tous ! ».

Lorsque je rejoignis mon époux, le 17 septembre 1962, à Fort-Lamy, j'étais heureuse à l'idée que d'une part, j'allais contribuer à propager la culture française dans un pays où seulement 12 % des enfants fréquentent l'école, et d'autre part, l'aider dans la mesure de mes faibles moyens à faire progresser ce pays qui est aussi celui de mes enfants et le mien par adoption. Je savais, pour le lui avoir entendu dire souvent, que la tâche était immense, mais combien exaltante ! Comment rester insensible devant la misère de ce peuple ?

 MALHEUREUSEMEN LA SEGREGATION EXISTE

MALHEUREUSEMENT la ségrégation n'existe pas seulement aux Etats-Unis ! Oh ! dans les territoires d'Afrique, au Tchad, elle n'est pas officielle, c'est la ségrégation des moyens ! On est étonné lorsqu'on arrive pour la 1ère fois à Fort-Lamy, de voir que la ville se partage en 2, qu'il y a plus exactement, 2 villes côte à côte : la ville résidentielle, aux larges avenues, aux villas espacées, perdues dans la verdure, et la ville africaine aux maisons de torchis, aux rues tortueuses et non bitumées. Là, grouille tout un peuple qui, dans une proportion de 45 %, est en chômage et ceux qui travaillent, ont pour la plupart, un revenu mensuel inférieur à 15.000 C.F.A. (300 F. 63). Le tarif officiel des gens de maison varie entre 4.000 et 7.000 C.F.A. (80 et 140,63 F.).

A la campagne, ce n'est pas mieux. Plus d'un million de personnes travaillent actuellement au Tchad pour la COTONFRAN (Société Cotonnière Franco-Tchadienne, ex-Cie Cotonnière équatoriale française), directement ou indirectement (70 % de la population active). Chacune d'entre elles consacre 180 jours par an en moyenne à la production cotonnière. Dans les usines d'égrenage concentrées dans la région de Moundou qui ne fonctionnent qu'une partie de l'année (période d'égrenage), le salaire minimum interprofessionnel actuellement en vigueur est de 15 francs C.F.A.

La situation réservée aux producteurs n'est pas plus brillante : les rendements sont médiocres, en moyenne 290 kg de graines à l'hectare (Egypte ou Turkestan, 2 à 3 tonnes).

La caisse de stabilisation des cours paie 27 francs le kilog de graines. Cela représente pour le paysan, lorsque la récolte est bonne, un revenu annuel de 4.000 francs C.F.A. environ. Ce coton, pour être transformé en tissu, doit accomplir des milliers de kilomètres par des voies diverses. Résultat, le revenu d'une année de production, permet d'acheter deux pagnes de 2 m. 50 à 3 m.

Si, touriste, vous allez voir le grand Marché de Fort-Lamy, vous serez, dès l'arrêt de votre voiture, entouré d'une nuée de garçonnets de 7 à 12 ans, déguenillés, d'une maigreur effrayante, qui vous proposeront, soit de garder votre voiture, soit de porter votre panier pour 5 ou 10 centimes, ce qui leur permettra d'acheter une poignée de cacahuètes grillées pour tout repas. Nombreux de ces gamins n'ont pas de toit ; vous les verrez le soir, dormant sur le sol du marché couvert, leurs parents, quand ils ont atteint l'âge de se « débrouiller » les chassent pour «élever» les plus petits.

Ces vues, qui ne sont pas faites pour les photographies de « l'Afrique en couleurs » ne peuvent laisser quiconque indifférent. Et pour le Docteur BONO, ce n'était plus un problème professionnel, mais un problème politique et économique. Le chômage et la sous-nutrition, s'ils sont bons pourvoyeurs des hôpitaux, ne font pas les hommes forts nécessaires à la construction d'un pays ! Pour toutes ces raisons, le Docteur Outel BONO avait répondu présent à l'appel impératif du Président TOMBALBAYE.

D'arrache-pied, malgré la grave maladie qui l'avait frappé en octobre 62 et nécessité un long repos, il s'était mis au travail, préparant avec quelques amis, la Conférence de l'Unité, prélude au Congrès de Fort-Archambault (15-20 janvier 1963) où l'unité nationale devait se concrétiser.

 UN ESPOIR IMMENSE ETAIT NE

UN espoir immense était né dans le pays. Ce Congrès allait-il enfin être le point de départ d'une ère nouvelle pour les Tchadiens ? Après avoir lu les résolutions prises au Congrès, qualifié d'historique, chacun pouvait penser et surtout après le succès sans précédent du grand meeting du 5 mars 1963, sur le stade de Fort-Lamy, qu'un tournant était réalisé...

Mais malheureusement pas dans le sens où l'auraient voulu certains milieux réactionnaires français ! Pour eux, les résolutions adoptées à l'unanimité des congressistes étaient pour la plupart « anti-françaises ».

— Motion antifrançaise celle qui demandait l'africanisation des cadres subalternes de la police, de l'Armée, de la Santé Publique, c'est-à-dire le remplacement des commis français par des Tchadiens !

— Antifrançaise, la résolution demandant aux sociétés étrangères d'investir une partie de bénéfices sur place !

Ainsi donc, quand on veut œuvrer pour le progrès du pays, on se trouve antifrançais !

Mais pourquoi frapper le Docteur Outel BONO seulement? Parce qu'il était le porte parole de la jeunesse, de tous ceux qui croyaient au point de départ d'une véritable édification nationale ; parce que démocrate convaincu, il savait que l'indépendance accordée à son pays ne profite, dans l'état actuel des choses, qu'à quelques privilégiés, hommes de paille, placés là pour sauvegarder les intérêts des COTONFRAN, et autres SODETCHAD, parce que si les jeunes et les dirigeants politiques en place faisaient coalition, cela pourrait se faire au profit du peuple et non à celui des sociétés étrangères.

A tout prix, il fallait éviter cette entente des deux générations. Ce procès dont l'accusation ne repose sur aucune preuve est une opération politique. Tout en privant le Tchad d'un cadre valable, elle vise à rassurer les milieux français du Tchad et les néocolonialistes.

Comment un homme, dont la vocation de son métier est la vie, aurait-il choisi la mort et la destruction pour faire progresser son pays ? Non, tout cela ne fut que machination et le véritable conflit, fut celui qui fut tramé, à travers le Docteur Outel BONO, contre tous ceux qui, au Tchad, croient à la démocratie, à l'UNITE, au progrès et par là, au bonheur du peuple tchadien et à la véritable coopération franco-tchadienne.

Mais ceux-là savent que même si le Docteur BONO n'est pas là, le vent de l'Histoire amènera cette ère de progrès que nous souhaitons très prochaine !

Madame Nadine BONO.

 

AVEC indignation, nous apprenons que l'autorisation de se rendre au Tchad vient d'être refusée à Mme Nadine BONO. Cette nouvelle doit nous inciter à multiplier nos efforts pour faire rendre le Docteur OUTEL BONO à sa femme, à ses enfants, à son pays. C'est une tâche d'honneur pour le SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS de contribuer à sauver le Docteur OUTEL BONO. Envoyez lettres et télégrammes à Monsieur le Président TOMBALBAYE, FORT-LAMY (Tchad).

Pour venir en aide à sa femme et à ses enfants, souscrivez au C.C.P. SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS 654.37 PARIS.

DOCUMENT : lettre_madame_bono_au president_francais

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