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Vie de La Brochure
29 février 2016

Taupiac, Momméja, les paysans et l’occitan

En 1985 j’ai rêvé d’écrire un livre, Histoire des paysans d’ici et d’ailleurs. En 1995 j’ai mis au point une première version mais il reste inachevé. C’est de cette époque que date ma double passion pour Taupiac et Momméja car ce sont les deux érudits locaux à s’être penché sérieusement sur l’histoire des paysans.

Par des chemins cependant très différents.

Taupiac, catholique convaincu est passé de Beaumont à Castelsarrasin, autant dire de Gascogne aux bords de la Garonne et a étudié les paysans en tant que propriétaire terrien soucieux du bien être de la vie aux champs.

Momméja, plus jeune de 36 ans, protestant convaincu est passé de Caussade (le Quercy) à Moissac et a étudié les paysans de son enfance, comme une nostalgie jamais épuisée.

 Tous deux en sont venus à une passion pour la langue d’oc et plus particulièrement pour sa version orale. C’est Perbosc, par ailleurs grand ami de Momméja qui, au nom de son combat pour la grandeur de la langue d’oc a donné une place majeure à la version écrite.

Je n’oppose pas les deux positions mais il faut en mesurer les conséquences.

L’instituteur Perbosc a donc le grand mérite, malgré les ordres supérieurs, d’assurer dans sa classe la promotion de la langue d’oc, mais système scolaire oblige il en déduit que la dignité passe par les honneurs de l’écrit.

Taupiac et Momméja, comme Frédéric Cayrou, sont habités par la parole occitane, par les chants, le théâtre, les proverbes. En conséquence ils vont beaucoup plus à la rencontre d’un peuple enfant de l’oral et non de l’écrit.

 Taupiac, je l’ai expliqué par ailleurs, appartient à ce courant repérable qui s’appelle le catholicisme social dont Georges Bernanos sera une des ultimes figures majeures.

Pour Momméja il est plus difficile de le situer car son courant a été écartelé entre deux extrémismes intellectuels qi en se renvoyant la balle occupèrent tout l’espace culturel. La référence s’appelle Anatole France doublement dénigré après 1918, par les avant-gardes d’un côté, et par l’extrême-droite de l’autre. Bien avant, Cladel a été pris lui aussi entre deux feux, pendant et après la Commune, à savoir Vallès et Les Goncourt par exemple.

J’ai tendance à considérer que ce courant a été surtout méridional et plutôt sud-ouest que sud-est. Comme on va le voir après le cas suivant, Jaurès en a été une des  grandes figures qui après 1918 ne pouvait avoir de postérité réelle, les communistes ne pouvant reprendre son penchant bourgeois, et les socialistes sont penchant révolutionnaire. Mais bon, comme Castro célèbre le Che, la Gauche a célébré Jaurès !

 Cette histoire tient peut-être dans le cas d’un très  grand intellectuel totalement oublié, que je découvre à présent par l’intermédiaire de Jules Momméja, Emile Mâle[1].

Il était jeune professeur de rhétorique à Toulouse en 1889, quand il a été conduit à prononcer un discours de distribution des prix devant les heureux bacheliers. Il a décidé de les inciter à partir en voyage mais pas n’importe quel voyage. Je reprends seulement deux éléments en lien avec le sujet de cet article :

« Déjà préparés par la connaissance de l’histoire et de la légende, regardez les hommes, observez les paysans que vous rencontrerez sur votre route. Ne croyez pas, sous le futile prétexte que vous avez fait vos études, n’avoir rien à apprendre des paysans. Sans parler de leurs solides vertus, qui sont les assises mêmes des nations, ils savent bien des choses que vous ignorez. Ce sont de grands observateurs. Ils continuent à voir le monde avec cette naïveté de regard que nous n’avons que dans la première enfance. Ils en sont récompensés par la science universelle : ils connaissent les vertus des plantes, les mœurs des bêtes, l’influence de la lune, enfin toutes ces belle choses que savait Virgile, qui ne fut après tout qu’un pauvre paysan de la Gaule Cisalpine…. »

Ce regard sur les paysans que je qualifie de bucolique – et les bucoliques sont toujours là – n’est pas ma tasse de thé. Mais il a sa part de mérites.

 Et, un des mérites, est le salut à la langue d’oc qu’il implique !

« Moins que personne, d’ailleurs, vous n’avez le droit de dédaigner le patois, vous qui habitez un pays de langue d’oc. La langue des troubadours est l’aînée des langues de l’Europe. C’est elle qui est parvenue à traduire, pour la première fois, des formes toutes nouvelles de la sensibilité, que les hommes souffraient de ne pouvoir exprimer. Elle a fait couler comme une eau vive, toute cette passion douloureuse et secrète des âmes du moyen-âge. Elle a appris aux grands poètes de l’Italie, à Dante, à Pétrarque, le nombre et l’harmonie que leur langue n’avait pas encore. Si les Français du Nord ont su donner quelque noblesse à leur rêve intérieur, c’est grâce à elle. Nous lui devons donc tous une reconnaissance filiale, et il serait impie de laisser mourir sans gloire cette vénérable mère, qui a tenu jadis toutes nos littératures sur ses genoux. »

 Imaginons-les tous, assis à la terrasse d’un café toulousain, Jaurès, Fourès, Mâle, décidés à inventer un nouveau monde qui ne verra jamais le jour. Imaginons-les tous sans nostalgie mais avec la conviction que de ce rêve assassiné naîtra un monde imprévu mais aussi humaniste que celui qui est né autour des années 1100 dans ce même midi. Jean-Paul Damaggio



[1] Émile Mâle, né le 2 juin 1862 à Commentry (Allier) et mort le 6 octobre 1954 à l'abbaye de Chaalis (commune de Fontaine-Chaalis, Oise), est un historien d'art français, membre de l'Académie française.

 

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