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Vie de La Brochure
23 juillet 2020

Paul Arène en Tunisie

Paul Arène

Dans un livre, en 1884, il raconte ses vingt jours en Tunisie. Pendant l’été. Grâce à l’article du Cri du peuple nous savons qu’il est allé voir son frère. J’ai retenu le chapitre sur les femmes. Paul Arène ne s’est jamais marié et on devine sa timidité. Il pointe une certaine évolution mais en fait bien réduite.

J-P Damaggio

Questions de femmes p. 281 à 291

Mahmoud fait ma malle, enveloppant avec un religieux respect, soit dans un linge lorsqu'ils sont gros et lourds, soit dans un carton rempli de grains d'avoine lorsqu'ils sont petits et fragiles, les quelques menus objets, — maigre et fantaisiste butin de ma campagne en Byzacène, — devant lesquels j'espère me souvenir là-haut, à Paris.

Cependant, sur un coin de table mes yeux parcouraient machinalement un livre entrouvert ; les Annales Tunisiennes; et j'y lisais ceci qu'en 1823, à Tunis, un jeune boulanger sarde se fit aimer d'une musulmane. Surpris et dénoncés, la populace furieuse conduisit les deux amoureux au Bardo. Le boulanger eut le cou coupé ; la femme, cousue dans un sac, fut noyée, et le Maure qui avait servi leur intrigue fut pendu à la porte Bab-el-Souika... En 1823 !

Ceci éveille en moi des regrets, et je m'aperçois, mais trop tard, qu'envahi par la douceur du climat, distrait par la nouveauté et la variété des choses, j'ai, voyageur coupable, négligé complètement ou à peu près ce qui se rapporte au beau sexe. Pas une conquête, pas une aventure, rien dont je puisse me faire gloire au retour, dans un cercle d'amis étonnés, avec un air de mystère.

J'avais pourtant des occasions, tout comme les autres, et même l'autre jour, dans ma déplorable indifférence, j'ai refusé énergiquement d'assister à une représentation d'almées. Entre nous, le jeu n'en valait pas la chandelle, de tels spectacles organisés pour nous tournant immédiatement au cabotinage et perdant la naïveté locale qui en fait l'originalité et la saveur. D'ailleurs, en ce genre, n'avais-je pas vu ce qu'il y a de mieux, avec Aubanel et Mistral, à Beaucaire où, naguère encore, des troupes de saltimbanques tunisiens et turcs venaient exécuter leurs exercices, ni plus ni moins que si la foire était toujours le marché de l'Orient ?

Résumons pourtant les événements de ces vingt jours. Peut-être, en cherchant bien, trouverons-nous quelque chose qui, embelli et amplifié, pourra paraître d'un suffisant romanesque.

Un riche Juif m'amena une après-midi dans sa maison et m'y régala de liqueurs douces et de frangipanes à l'eau de roses.

Notre arrivée surprit les femmes en train de chiffonner, accroupies, des étoffes et des broderies d'or, au milieu d'un salon meublé à l'européenne, avec deux armoires à glace, deux pianos, deux pendules et une grande quantité de fauteuils tout neufs et de chaises, sur lesquels on ne s'assied jamais.

Une fiole à parfums en argent ciselé, posée sur une commode vulgaire, représentait seule et assez maigrement la couleur orientale.

En revanche, tant que notre collation dura, les curieuses Juives surent trouver mille prétextes pour monter et descendre l'escalier sans rampe et tout égayé de faïences qui conduit du salon aux étages supérieurs. La contemplation prolongée de cette échelle de Jacob avec son va-et-vient d'anges femelles aux sourcils rejoints, aux yeux ardents et doux, revêtues, pour comble de tentation du paradoxal costume que j'ai déjà eu l'occasion de décrire, me plongea, pourquoi craindrais-je de l'avouer ? dans le plus troublant et le plus agréable des rêves. Mais tout se passa en songeries : je n'y gagnai que le droit de saluer la mère et les filles, quand plus tard je les rencontrais par les rues.

Une autre fois, il me fut donné de voir une jeune Arabe quittant son voile devant moi. C'était chez des amis une vieille qui venait chaque semaine laver à grande eau, comme c'est la coutume, les carreaux des escaliers et des corridors, avait bien voulu nous montrer sa fille dans tous ses atours. La fille avait quatorze ou quinze ans ; mais, là-bas, une enfant de quatorze ou quinze ans commence à ressembler singuliérement à une femme.

Je pus observer de près et en détail cet amusant costume à peine entrevu entre les plis de la m'laffah blanche ou noire dont les Soussaines s'enveloppent. Mes yeux d'infidèle se régalèrent à contempler les bijoux en argent, — broches, pendants, colliers, bracelets, anneaux de pied, — barbares, compliqués et lourds comme des bijoux d'idole ; la souria, chemisette de crêpe uni à manches transparentes qu'il est de bon ton d'appeler kmedja, la farmla qui est un gilet ouvert chargé de boutons et de broderies, la djebba courte et mi-partie, la douka ou petit casque d'or pareille au bonnet recourbé des dogaresses, et le caleçon, le séroual, moins impudique que celui des Juives, mais encore suffisamment plastique, et les chebrellas au bout élargi, où sont à l'aise les pieds nus frottés de henné. Ajoutez de grands yeux, un teint pâle et mat, cette démarche nonchalante, voluptueusement balancée, où se combinent en un irritant mélange la coquetterie avec le dédain, et certes vous comprendrez, si sa bien-aimée ressemblait à cette fillette là, que l'infortuné boulanger sarde ait affronté le yatagan.

Aujourd'hui, on ne risquerait plus grand'chose, — tant les mœurs se sont adoucies! —pas même la trique d'un mari jaloux, C'est pour cela peut-être que les aventures ont si peu d'attrait, depuis qu'elles se résument fatalement pour l'étranger en quelque banale et répugnante entremise.

Je n'ai jamais bien compris l'agrément de ces amours exotiques improvisées. Que dire, même en supposant qu'on sache un peu d'arabe, à des femmes dont toute l'occupation consiste à se peindre les ongles et les yeux, si elles sont riches ; pauvres, à préparer le messous sucré fait de beurre, de dattes et de raisins secs, à laver, à coudre, puis à courir les hammam et les cimetières, à s'entre-visiter par le chemin aérien des terrasses pour causer de mariages, de fiançailles, de querelles conjugales, ou de quelque étoffe nouvelle apportée par un marchand roumi. Leurs grandes disputes, c'est quand le mari a une concubine à la maison, et que, la concubine voulant porter la soie, la femme légitime prétend lui imposer la laine; leur grande affaire, c'est de mander le médecin maure, afin qu'à l'aide de remèdes mystérieux il réchauffe l'affection maritale toujours, en ces pays de polygamie, légèrement languissante.

A Tunis autrefois (peut-être en est-il de même aujourd'hui), les femmes de la haute classe s'occupaient de vague politique, et, grâce aux complaisances de quelques marchandes à la toilette, poursuivaient de cancanières enquêtes les faits et gestes des Européens.

Mais ici, il n'y a que des créatures enfantines et résignées, que leurs maris méprisent, aussi durs pour elles qu'ils se montrent galants et dépensiers pour la maîtresse du dehors dont elles n'osent même pas être jalouses.

Elle est charmante, certes ! la fille de la vieille laveuse d'escaliers. Avec ses regards inquiets et doux, sa parure aux couleurs voyantes, elle me fait l'effet d'un bel oiseau. Mais, comme le disait un sacripant de ma connaissance qui a sur les femmes d'Orient des idées remarquablement musulmanes, à tant faire que d'aimer ces oiseaux rouges et bleus, il faudrait être le Grand Turc et en avoir sa pleine volière ! Paul Arène

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