Serge Pey – René Durand
Serge Pey et René Durand me revoient à quelques débats homériques du Festival d’Occitanie. Non seulement je ne partageais pas les idées nationalistes de René Durand mais je les aient toujours combattues au nom même du combat occitaniste. Et bien que peu habitué aux hommages des défunts, comme la poésie de Serge Pey est toujours à hauteur d’homme, voici ces deux documents. L’hommage à Renat Duran par les siens repris du blog du P.N.O. puis la poésie de Serge Pey reprise du facebook de James Gaudas.
J-P Damaggio
Hommage à Renat Duran
Notre adhérent Renat Duran de Rodez
vient de nous quitter prématurément à l’âge de 78 ans.
Enfant du faubourg de Rodez, il a baigné dans la langue occitane. Son parcours atypique l’a conduit à quitter l’école très tôt. Après avoir vécu un temps à Paris, il choisit par conviction anti-centraliste de revenir vivre dans sa ville natale.
Anticolonialiste et insoumis, il entra dans la clandestinité pendant la guerre d’Algérie au moment où le fondateur du Parti Nationaliste Occitan, François Fontan, partisan de l’indépendance de l’Algérie, était emprisonné comme porteur de valises pour le FLN algérien puis contraint à l’exil dans les Vallées occitanes de l’État italien. C’est donc logiquement que Renat Duran, fit venir François Fontan à Rodez, adhéra au PNO et y milita jusqu’à sa mort.
Ouvrier agricole, chanteur de rock occitan, poète, philosophe situationniste, journaliste sportif et écrivain, il était avant tout militant politique et culturel notamment au Larzac en 1973. Le festival l’Estivada où la revue lo Lugarn, organe du PNO a un stand tous les ans ainsi que la célébration du 50ème puis du 60ème anniversaire de la fondation du PNO, nous donnait l’occasion de le rencontrer chez lui. Il nous organisait aussi dans le cadre de l’Estivada off des débats enrichissants. Outre ses multiples talents, sa personnalité était attachante et sa bonne humeur inébranlable. Pour nous, il était plus qu’un compagnon de lutte. C’était un véritable ami au sens fort du terme, un frère dont nous pleurons la disparition.
Le Parti de la Nation Occitane en deuil présente ses condoléances attristées à sa veuve et à toute sa famille. Adieu, amic Renat. T’oblidarem pas
Joan-Pèire Alari, coprésident du Parti de la Nation Occitane 18 août 2020
RENE DURAND mon ami
Poème écrit durant
son enterrement le 20 août 2020
René est mort
Ce n’est pas vrai
La vérité ment
La mort aussi
puisqu’elle est aussi la vérité
Elle a un long nez comme celui de Pinocchio
Regardez elle ne sait pas comment faire
pour se moucher
et sa morve de marbre coule sur le miroir derrière
le comptoir du bistrot
La longue liste des fantômes
qui entourent
notre unique verre de vin
s’est agrandie autour
de la table de la salle centrale
Ils sont tous là à boire
en même temps
Ils aspirent le pinard
avec des fils de scoubidous
tellement
ils sont nombreux
dedans et aussi dehors sur le trottoir
On entend leur aspiration
dans les hauts parleurs
On ne voit autour du verre
au centre de la table
que leurs pailles telles des épines
autour d’un bogue de châtaigne
Dans ce verre de vin unique
qui semble écartelé la table
nous mélangeons nos larmes
avec le sang d’un objecteur de conscience
d’un président du Parti national occitan
d’un situationniste silencieux
escorté de cailloux et de poèmes
Ouvrez vos oreilles
Écoutez vous tous qui êtes venus
à l’enterrement
René joue
sur une poêle tendue de fils électriques
au milieu des pots de chambre et des roues de vélo
Une grande machine à laver
toute bleue l’accompagne à plein régime
sur la scène
Avec un Papillon majuscule armé de clefs
il fait rire la Voie lactée
Entendez
il provoque des tremblements
de soleils et de géométrie
La nuit n’en peut plus
de vomir de la bière et des gouttes de vin
ressemblant à du sang
Aujourd’hui le ciel s’est agrandi d’une étoile
Écoutez-le je vous en prie
Il crie Il crache
Le ciel vient d’accueillir
un nouveau bébé dans son berceau de merde
et nous comptons à l’envers ses étoiles
pour ne pas nous tromper sur le nombre final
de l’infini qui en a assez de ne pas se finir
Sur les arbres des chevaux rouillés
traversent la nuit froide
des chiens des chats des coccinelles aussi
des malades de Cayssiols
des anges aux ailes coupées
délogés par les pigeons de la cathédrale
et tous veulent aussi boire en même temps
dans un verre de pinard
installé au centre d’un bistrot de Rodez
La table
la place
les musées
la gare sont devenus vraiment trop petits
pour toute cette troupe de fantômes
échappés du cirque triste
de la poésie de l’espérance ou du désespoir
car c’est la même chose
À Rodez les maisons ont toujours été mortes
avant d’avoir commencé à vivre
et les amoureux dévorent les yeux crevés de la nuit
comme des cerises volées à un opticien
se nourrissant exclusivement de lunettes et de lorgnons
La « lengua nostra » fait bouillir les sources
devant le feu qui vieillit
sous les casseroles
Sur la place les arbres font la queue
et se rasent le visage pour être propre
à la fête
car c’est d’un mariage
avec un mort qu’il s’agit
René
celui dont le nom dit qu’il est capable de renaître
une autre fois
casse maintenant toutes les vitres de l’univers
ignorant d’ailleurs
jusqu’à ce jour que cet univers possédait
des fenêtres
Quant à moi
je porte soigneusement
une de ces vitres rescapées
sur mes épaules
sans me tromper de trou
et sans me couper la tête
en prenant soin qu’elle ne se brise
Évidemment
ce trou est celui de la fosse commune
de tous nos éclats de rire
qui inventent justement des bouches
qui continuent à rire
alors que nous ne sommes plus là
au centre du bistrot
et que le verre se boit lui-même
en rotant parfois
faisant croire que nous sommes là
Serge Pey