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Vie de La Brochure
18 juillet 2021

La mort de Jeanne Marni en 1910

jeanne marni

Hubert Delpont m'indique qu'il travaille sur la mère de Jeanne Marni. Il avait noté le texte de Severine que j'ai publié au sujet de cette femme et j'ajoute celui-ci. La plus grande amie de Jeanne Marni est Daniel Lesueur qui n'est autre que l'épouse du Montalbanais Henry Lapauze. JPD.

Fémina 1er avril 1910

LA femme la plus spirituelle de ce temps vient de mourir, j'ai nommé Jeanne Marni. Et tous ceux qui la connaissaient, ses amis, ses lecteurs, sont consternés. On savait que son exquise figure, si bonne et si fine, était auréolée de cheveux blancs; on la savait malade, très malade... On savait, mais on n'y croyait pas, selon la parole célèbre. Elle aimait tant la vie, elle la regardait avec des yeux si aigus; elle était si jeune, si alerte cette femme de lettres qui était restée une femme dans le sens le plus délicieux du mot! C'est une de nos collaboratrices qui disparaît, et non des moindres. Elle avait donné ici un de ses derniers romans : L'Une el l'Autre, qui était un chef-d'œuvre ; on répétait d'elle une pièce au Grand Guingol ; elle songeait à des travaux futurs, pleins de son ironie savoureuse et de ce comique amer et profond qui est la marque même de la maîtrise. Et puis une dépêche est venue : « Jeanne Marni est morte ! » C'est un sourire qui disparaît, le sourire d'un Heine, corrigé par beaucoup de pitié féminine. Elle aussi aurait pu dire comme l'auteur des Reiscbilder : « Avec mes grandes douleurs, je ferai de petites chansons. » Il y a de ces chansons là qui sont immortelles. Je vous parlerai tout à l'heure de l'écrivain, mais voici un trait qui vous montrera Jeanne Marni intime. Gravement, profondément atteinte, elle écrivait dernièrement à Daniel Lesueur, une de ses meilleures amies :

Quelles vacances ! Ah ! je m'en souviendrai de mon été en Suisse ! Me voici échouée à Evian, dans cet Ermitage, sorte de maison de santé hôtel, très chic, horriblement chère, mais à mi-colline, et calme, et silencieuse, si autre que ces infâmes palaces où des garçons ruisselants de sueur vous servent une nourriture froide, prétentieuse, toujours inondée de sauce espagnole !

Voilà la petite chanson — et la grande douleur. Il y a de l'héroïsme dans la gaieté de certains écrivains et un trait d'esprit, un billet spirituel et alertement troussé, dans une circonstance tragique, si près de la mort, ont la sublimité du soldat riant sous les balles.

Mais au moment où j'écris cet article, un ami de la regrettée Jeanne Marni, notre confrère René Blum, me communique quelques opinions inédites, signées de noms célèbres, témoignages d'admiration qu'il avait réunis en vue d'une conférence qui n'aura hélas ! pas lieu et qui montrent en quelle estime ces écrivains célèbres tenaient l'auteur de Vieilles.

 

 J'aime beaucoup Mme Marni et j'admire son talent nourri d'observation, d'émotion discrète, d'indulgence avertie, de tendresse pour les humbles et les faibles.

Je la loue surtout d'avoir su rester femme exquisement, dans le rude métier où, presque toujours, celles qui écrivent croient devoir se viriliser, comme des sœurs de charité qui prendraient le fusil !

Jamais Jeanne Marni, dans ses livres, n'a fait parler la poudre... mais elle excelle, en revanche, dans le muet langage des pansements et des soins aux blessés. ... LUCIEN DESCAVES.

Il y a, dans l'œuvre de Mme Marni, un sentiment profond de cette vertu toute moderne, la pitié. On ne saurait pas que l'auteur de tant de dialogues poignants, de romans et de drames pénétrants, est une femme, qu'on le devinerait à des délicatesses exquises n'excluant jamais la force dans l'observation, la pénétration des âmes. Mme Marni a fait parler les enfants et les a devinés ces petits êtres qui souffrent comme nous, souffrent par nous. L'auteur de Manoune parle la langue la plus claire, la plus simple et la plus souple, la langue du cœur. Je préfère son œuvre parmi les œuvres féminines parce qu'elle est la plus femme. Elle sourit; elle pleure, elle fait pleurer et elle fait penser. JULES CLARETIE.

J'admire .beaucoup les petits drames dialogues que Mme Marni a publiés. Il y en a un dans le volume intitulé : Fiacres, qui n'est que l'entretien d'un mari et d'une femme : celle-ci folle et son mari l'emmenant sans le lui dire dans une maison de santé, qui me reste comme un chef-d'œuvre  de tragique vrai, intime, et condensé. PAUL BOURGET.

Mme Marni a le don merveilleux de la vie, elle fait passer dans sa littérature la flamme qui habite ses yeux et son cœur. Il n'y a jamais rien chez elle d'apprêté, d'artificiel ; elle n'imite personne. On pourrait l'appeler un Jean-Jacques féminin si Jean-Jacques avait eu de l'esprit et du bon sens. Ses deux derniers romans sont des chefs-d'œuvre et les aveux les plus sincères de l'Eve moderne. JULES BOIS.

Je pense que Mme Marni a beaucoup d'observation, d'esprit et de sensibilité. JULES LEMAITRE.

J'ai une très grande estime pour l'œuvre de Mme J. Marni. Elle ne date pas d'aujourd'hui. Les personnes qui me fréquentent m'ont souvent entendu placer les dialogues de Marni tout à fait à part, au milieu des ouvrages contemporains. Je la tiens pour une des très rares écrivains qui connaissent le cœur humain et qui soient capables de nous donner l'illusion d'entendre parler, des êtres vivants. Son art est simple et franc, sans manière, sans prétentions et ne nous arrête que par sa justesse et sa solidité. Toujours, en lisant la première page venue de J. Marni, j'ai eu l'impression de tenir quelque chose de substantiel. Enfin, elle me plaît parce qu'elle ne se propose, pas en écrivant, de nous convertir à telle morale ou à telle immoralisme, mais de peindre tout bonnement la comédie des hommes. Il faut ranger Jeanne Marni parmi les meilleurs écrivains. RENÉ BOYLESVH.

J'ai lu, d'elle, des pages très fines et très spirituelles. Son talent, très français, fait de nuances et d'observations délicates, me plait beaucoup. A. MÉZIÈRES.

Mme Marni est un des écrivains vivants que j'admire le plus. Elle a un charme tellement personnel qu'il est difficile à définir, comme tout charme original. La gaieté douloureuse, l'ironie apitoyée qui sont au fond de ses œuvres rappellent Dickens, et cette qualité anglaise qu'on appelle l'humour. Mais, cette qualité, Mme Marni la transpose en français, et personne n'a une âme plus française. Son esprit est bien nôtre, aussi bien que son style clair, primesautier, moderne, jusqu'à l'argot de la mode et de l'heure. Mme Marni a essentiellement le don de la vie. Le rire, chez elle, est près des pleurs, comme dans toutes nos âmes vibrantes, avides d'émotions et d'impressions. Son observation, si aiguë, si exacte, n'est, pourtant jamais cruelle, car les laideurs humaines s'atténuent, chez elle dans une immense pitié. On sent que cette femme généreuse plaint les bourreaux plus encore peut-être que les victimes. Une philosophie mélancolique, attendrie et saine, se dégage de tout ce qu'elle écrit. Je place très haut l'œuvre abondante, variée, exquise, et toujours originale de J. Marni et je suis heureuse de vous exprimer en quelle estime je la tiens. DANIEL LESUEUR.

Mon opinion sur l'œuvre de Mme Marni ? Elle se résume en un mot : l'admiration. Admiration pour cette connaissance meurtrie, sagace et cependant indulgente de la vie. Admiration pour cet art ferme et sûr, qui a, et nous donne le contact de la chair, la vibration de l'âme. Que ce soit dans ses dialogues à l'emporte pièce ou dans ses beaux romans d'amour, Mme Marni est toujours elle-même : un écrivain courageux, probe et sincère. PAUL M ARGUER ITTE.

C'est avec la plus joyeuse sympathie que je m'associe à l'hommage que vous allez rendre. J'aime le talent de Jeanne Marni, si simple, si émouvant, cette grâce où le rire est mêlé aux larmes, ce vif esprit dont tout le scintillement n'empêche point qu'on sente aussi battre le cœur. VICTOR MARGUERITTE.

Le bagage de Jeanne Marni n'est pas énorme : une pièce adorable, Manoune; des romans qui sont connus de tous, sans un déchet, le Livre d'une Amoureuse, Pierre Tisserand, Souffrir, l'Une et l'Autre, etc.; ces dialogues merveilleux, scintillants de verve, tour à tour poignants et spirituels : Fiacres, A Table, Vieilles. Jeanne Marni, de son vrai nom Jeanne Marmère, devait être décorée. Cette joie, car c'en aurait été une pour elle et des plus vives, lui a été refusée. Nulle et nul ne méritaient mieux cette distinction, cependant; elle n'a jamais écrit un livre ou une pièce que son âme d'artiste ne lui aient inspiré; elle n'a rien sacrifié ni à la mode, ni au désir de plaire, ni à l'actualité; elle a été, dans la plus grande et la plus noble acception du terme, un écrivain. C'est un bel éloge à adresser sur une tombe à peine fermée, celui que tous ceux qui tiennent une plume ambitionnent — sans toujours y avoir droit. HENRI DUVERNOIS.

 

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