Gloria Trevi en 2021

Trente ans après, suite à de multiples galères, Gloria Trevi est toujours là. Cet entretien sur El Pais de 2021 n'évoque pas le Mexique et la situation actuelle de ce pays mais un parcours de femme, du rêve à  la réalité puis de la réalité au rêve.

Un entretien émouvant où la rock star révèle une part d'elle-même.JPD

El Pais

LUZ SÁNCHEZ-MELLADO 26 SEPT 2021

Gloria Trevi était resplendissante dans l'hôtel où elle séjournait il y a quelques jours à Madrid pour faire la promotion de son dernier album très dansant Nos volvimos locos. Un grand cortège de collaborateurs la félicite et l'assiste ravie au moment où nous parlons. Ramón Ríos, un maquilleur de célébrités très apprécié, lisse ses vagues; un autre assistant surveille la puissance de la lumière ; un troisième, le cadre de la caméra. Cela n’a pas d'importance pour elle. Jolie, elle est magnifique, mais quand la diva — qui a passé cinq ans en prison accusée de maltraitance d'enfants avant d'être acquittée et reconnue comme victime des mauvais traitements de son ex-partenaire — on la regarde dans les yeux, on la voit comme elle est dans sa cuisine. La soif de vivre au présent et la lassitude des siècles passés. L'humeur acide de la surface et le résidu amer du fond. Ils ne sont pas incompatibles. Pas en elle.

 Aimez-vous ce que vous voyez dans le miroir, le matin en vous levant ?

Cela dépend des jours, mais je l'aime mieux que ce que j'ai vu quand j'avais 20 ans. Je n'aurais jamais imaginé alors ressentir ce que je ressens maintenant.

 Qu'avez-vous maintenant que vous n'aviez pas alors ?

Je ne me sentais pas jolie. C'est pourquoi je faisais tant de visages différents dans les vidéos. Je n'aimais pas mes jambes, je trouvais qu'elles étaient grosses, peut-être parce que cela faisait partie de ce qu'ils m'ont dit, pour me faire sentir que j’étais sans valeur. Mais maintenant, je regarde ces jambes qui m'ont porté tant d'endroits et m'ont permis de rester debout et je me sens fier.

 Quand avez-vous commencé à vous sentir maître de vous-même ?

Peut-être quand je suis sorti de la tempête, et ça a dû encore prendre du temps, parce que je me sentais redevable à ma famille. Je suis restée à la maison avec ma mère, après tout, elle avait pleuré et s'était battue pour moi. Jusqu'à ce que je tombe à nouveau amoureuse. Depuis, je me sens puissante, je sens que je me possède et, même si je suis mariée, il doit se battre chaque jour pour mon amour, et moi pour le sien.

 Pourquoi es-tu resté silencieuse jusqu'à présent ?

Cela arrive aux personnes maltraitées : elles donnent leur loyauté et leur compassion à des personnes qui ne le méritent pas. Quand je suis sorti de prison, je ne suis pas allée expliquer aux gens ce que la justice avait déjà dit, que j'étais innocente. Je me suis mise à travailler, parce que si je ne le faisais pas, je n'allais pas pouvoir avancer, je n'allais pas faire de chansons ou de concerts. C'était une renaissance, un relèvement. Maintenant que je suis au sommet, maintenant que je suis grande, riche, forte et puissante, je peux partager cette histoire parce que je crois qu'il y a des gens à qui ça peut faire du bien.

 Pourquoi a-t-il duré si longtemps, ce moment ?

Beaucoup de gens me demandent pourquoi j'ai supporté ça : j'ai abordé ce sujet quand j'avais 17 ans, en tant que fille, mais ensuite je suis devenue adulte, disent-ils. Pas de mensonges. Vous ne devenez pas un adulte normal. Ce sont des années pendant lesquelles ils vous brisent. J'étais plus forte à 15 ans, quand j'étais une rebelle et une féministe, j'ai dit que jamais, jamais de ma vie, je ne laisserais un homme me maltraiter, que ceux qui se laissaient faire étaient stupides, jusqu'à ce que je morde la poussière, je me suis vu dans cette situation et j'ai appris à ne pas juger les autres. À 30 ans, j'étais brisée, annulée et confuse. Ils te brisent les os petit à petit, te séparent de ta famille, et tu sens que les gens que ce type a mis autour de moi, sont ma famille. Les gens critiquent le silence, mais c'est comme ça qu'ils nous l'enseignent. Je viens d'un couvent, d'une famille conservatrice, ce sont des choses qui restent dans l'âme. Le "Je t'ai frappé parce que je t'aime".

 Avez-vous eu peur des hommes ?

Quand toute cette situation s’est achevée et que j'ai réussi à ne plus rien ressentir pour la personne qui m'avait tant fait mal, j'ai dit que je ne tomberais plus jamais amoureuse, que j'allais être un enfoirée (ser una hija de la chingada). J’ai alors pensé qu’à voir un bâtard qui est vraiment bon, je lui dirai, au lit et au revoir. Mais ensuite j'ai vu Armando, qui est maintenant mon mari, et il est allé du lit au mariage. Je me sentais mal d'être mauvaise.

J'espère que la prochaine fois je deviendrai une bonne pute. Dans une autre vie, je ne serais plus une bâtarde. Si j'avais une fille, je lui dirais : quel est le savoir minimum sur sept hommes et plus, parce que si tu n'en as pas, tu ne connais pas les tailles, ni les formes...

 Questions de taille?

Bien sûr, et comment le dites-vous ? la performance. Je pense que moi, là, j'étais pauvre d'expériences. J'aurais aimé en avoir plus.

Bien sûr, j'aime le sexe, j'aime manger, je n'ai pas été à tous les jeux, je n'ai pas consommé de drogue, mais parce que je pense que je suis né drogué. Avec cet esprit, j'aurais peur de rester en voyage.

 Dans sa chanson « Ellas soy yo », elle parle de l'âge des femmes. 50 ans c'est un âge...

 ...bâtard, très bâtard.

 Que nous arrive-t-il à l'intérieur et que se passe-t-il à l'extérieur ?

Il arrive à beaucoup d'hommes de vouloir réaffirmer leur jeunesse et de chercher quelqu'un de plus jeune. Chez les femmes, il y a un moment de transition très brutal. La ménopause m'a frappé durement. J'ai dit : je commence à mourir. J'ai dû travailler sur ma psychologie, débrancher la prise, la connexion, et tout fonctionne à nouveau très bien. D'ailleurs, je n'aurais plus d'enfants, j'en ai déjà eu.

 "La star mature latine dit 'ménopause'." C'est un grand titre.

 C'est que, si à mon âge, j'avais mes règles, ce ne serait pas des règles, mais un cancer. Il y a des sujets qu’il faut arrêter d’en faire des tabous. En tant que filles, nous pleurons parce que les règles n’arrivent pas, puis parce que nous tachons, et puis parce que les règles n’arrivent plus. Il faut normaliser les choses, les mettre à l'échelle. C'est bon. La nature sait ce qu'elle fait. De plus, nous avons maintenant des médicaments, qui nous aident, et nous devons les utiliser.

 Et l’esthétique aussi ?

Bien sûr. L'arsenal esthétique aide aussi. Je ne suis pas affecté par les choses qui ne sont pas réversibles car cela me fait très peur. Je pense qu'un jour ils inventeront quelque chose qui rajeunira toutes vos cellules, et puis que faites-vous, si vous vous coupez déjà la moitié du visage.

 Qu'est-ce que la rancune pour vous ?

Une perte de temps

 Le duel?

Il faut le réussir, toujours.

 La faute ?

Nous devons la ressentir car parfois nous blessons les gens sans le vouloir. Mais la culpabilité ne doit pas vous détruire, elle doit nous rendre plus fort et meilleur.

 À quoi ressemble la prison et qu'est-ce que ça sent ?

À l'impuissance, aux cris déchirants quand un membre de la famille meurt et que vous ne pouvez pas aller l'enterrer, aux larmes. Mais aussi à la solidarité.

 Que diriez-vous à quelqu'un qui vit ce que vous avez vécu ?

Je lui dirais : « Tu es très fort, utilise juste ta force pour ce qui est juste : pas pour endurer, mais pour être libre ».

C'est ce que Gloria Trevi (Mexique, 53 ans) dit avoir fait après avoir été acquittée en 2004, après avoir passé près de cinq ans en prison au Brésil et au Mexique accusée d'enlèvement et de corruption de mineurs avec son représentant d'alors, Sergio Andrade. En partant, Trevi, la chanteuse mexicaine qui a vendu le plus de disques de l'histoire, est revenue sur scène et il y a seulement quelques années a décidé de dire qu'elle-même avait été victime de mauvais traitements d’Andrade. Depuis lors, l'auteur d'hymnes comme Todos me miran. Ahora, présente la chanson 'Nos volvimos locos, une chanson et Amazone prépare une "biosérie" avec son histoire. "Les personnes qui m'ont accusé y figureront aussi. Eux, au final, ont aussi été des victimes", soutient-elle.