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Vie de La Brochure
20 février 2022

La mort du guérillero Hugo Torres

Nicaragua

Sur la photo, à la tribune le général en retraite Hugo Torres

 J’ai pris la peine de traduire ce long article sur un sujet douloureux, la dictature du couple Ortega au Nicaragua. Je sais que des gens de gauche la soutiennent pour dire leur opposition aux USA qui seraient à l’origine des révoltes populaires . Le couple Ortega qui maintient le pays dans une misère noire ne peut que susciter des révoltes populaires !

J-P Damaggio.

 

Article de Publico journal de gauche espagnol

La mort du guérillero Hugo Torres

GIOCONDA BELLI, poète et romancière du Nicaragua

"Chacun possède sa propre peur" est une phrase célèbre au Nicaragua. C'est ce qu'a dit le journaliste Pedro Joaquín Chamorro, directeur du journal d'opposition La Prensa pendant la dictature d'Anastasio Somoza dans les années 1970. C'est sa réponse lorsqu'on lui a demandé s'il craignait d'être assassiné, comme il le fut le 10 janvier 1978.

Sa mort a été la dernière goutte de l'iniquité dont le peuple nicaraguayen a souffert sous la dynastie Somoza. Il n'y avait plus d'armée pour arrêter la guérilla sandiniste et surtout le peuple en avait marre de ce régime violent et corrompu.

De même que chacun est propriétaire de sa peur, chaque peuple est propriétaire de son horreur. Il en existe de nombreuses et très diverses dans le monde et chaque peuple le vit à sa manière. Il arrive un moment même où l'horreur est intégrée à la vie, elle fait partie de la vie quotidienne. L'esprit développe des mécanismes de défense pour le rendre tolérable, mais il y a des événements soudains qui ravivent cette horreur et empêchent l'intolérable de se normaliser.

Dimanche 12 février dernier, l'un des guérilleros sandinistes les plus admirés et les plus connus est décédé après huit mois de prison. Hugo Torres, qui était un commandant de la guérilla et plus tard un général de brigade, était l'un des rares à avoir réussi à mener des actions héroïques et à survivre. En 1974, il participe à une action armée pour libérer les prisonniers politiques sandinistes que Somoza garde dans ses cachots. L'un de ces prisonniers libérés c’était Daniel Ortega. En 1978, Torres a été le numéro un dans la prise de contrôle du Palais national, une action audacieuse qui a de nouveau permis la libération de nombreux prisonniers politiques de Somoza. Eden Pastora était le numéro zéro. Dora María Téllez était numéro deux.

Pastora est décédé l'année dernière, vraisemblablement de Covid-19. Hugo Torres et Dora María Téllez, qui ont quitté le Front sandiniste quand Ortega a commencé à le diriger comme un fief personnel, ont été emprisonnés en juillet 2021 par leur ancien camarade de lutte devenu tyran. Avec eux, quarante personnalités de la politique nationale ont été incarcérées depuis juin de l'année dernière. Après la révolte populaire de 2018 et les actions du régime pour l'écraser dans le sang et le feu, Ortega craignait que ses actions ne lui pèsent lors des élections de novembre 2021. C'était une crainte fondée : il aurait perdu ces élections. Il a préféré le coût politique de l'élimination de quiconque menaçait sa permanence à la présidence. Sept candidats aux élections ont été arrêtés sur la base d'accusations fabriquées et le seul parti indépendant a été déchu de son statut légal. Sans opposition, Ortega et sa femme ont été réélus président et vice-président. Il s'agissait de la quatrième réélection d'un homme qui aurait dû prendre sa retraite en 2012, selon la Constitution que la Révolution sandiniste a promulguée et qu'il a modifiée pour instaurer sa réélection indéfinie.

La mort d'Hugo Torres montre l'esprit sans cœur qui gouverne le Nicaragua ces jours-ci. Vilipendé et soumis à des interrogatoires, une nourriture maigre, une cellule avec la lumière allumée 24 heures sur 24, il a passé huit mois sans avoir droit à une couverture, un livre. Il n'a revu sa famille que trois mois après son arrestation. Il est tombé malade et ils ne se sont pas occupés de lui. En décembre, son état s'est aggravé et il a perdu connaissance. Puis les geôliers l’ont secrètement transféré dans un hôpital et maintenant le gouvernement, dans un communiqué cynique, affirme qu'il est mort accompagné de sa famille. Hugo était un héros de la révolution sandiniste dont la rectitude l'a amené à remettre en question Ortega-Murillo et son style de gouvernement. Dans un enregistrement qu'il a réalisé avant son arrestation, ses derniers mots sont ceux d'un homme juste qui a vécu selon ses principes.

La mort d'Hugo survient alors que dans des procès secrets, tenus dans la même prison où il était détenu, des dirigeants politiques, des paysans, des hommes d'affaires, des candidats aux élections, des journalistes et des personnalités honorables sont jugés pour « atteinte à l'intégrité nationale » pour un parquet qui les a déclarés criminels a priori. Aucun d'entre eux n'a eu l'occasion de préparer sa défense car ils ont à peine vu leurs avocats. Plusieurs de ces personnes ont plus de soixante-dix ans ; l'un d'eux, quatre-vingts. Ils souffrent de maladies chroniques. Ils devraient être assignés à résidence, comme c'est le cas pour les personnes âgées. Les peines qui ont été infligées à la douzaine de personnes déjà poursuivies vont de huit à treize ans de prison.

Parallèlement à ces procès, l'Assemblée nationale dominée par Ortega s'est consacrée à la décapitation et à l'interdiction des universités privées -douze ces dernières semaines- et des quatre-vingt-dix ONG qui opèrent dans le pays depuis l'époque de la révolution ou depuis plus de vingt-cinq ans. Le centre nicaraguayen de PEN International, voué à la promotion de la littérature et à la défense de la liberté d'expression, dont j'étais président, a été privé du statut légal obtenu en 2005, sans aucune justification. Il est allégué qu'aucun rapport n'a été soumis au bureau des ONG gouvernementales. Depuis mai 2018, ce bureau refuse de recevoir les documents du PEN et ceux de la plupart des ONG condamnées à disparaître.

On croyait qu'en s'assurant du trône présidentiel, le couple d'Ortega et de Murillo tenterait de recouvrer un minimum de légitimité en réduisant l'agressivité illégale de leurs actions. On a émis l'hypothèse qu'ils compteraient sur la prodigalité que la communauté internationale accorde souvent aux nations égarées si elles montraient des signes de correction de leur trajectoire. Cependant, rien n'indique qu'ils opteront pour cette voie. Au contraire, il semblerait qu'ils aient décidé de poursuivre la confrontation avec ceux qui continuent d'être les principaux marchés des produits nicaraguayens et l'origine des envois de fonds qui maintiennent à flot l'économie du pays. Leur réaction aux sanctions par lesquelles l'Europe et les États-Unis ont essayé de les forcer à revenir sur la voie démocratique est une attitude de défi. Si une telle situation était valable dans les années 1980 lorsque l'administration Reagan menait une guerre contre-révolutionnaire contre le sandinisme, aujourd'hui c'est clairement une pose pour échapper à sa crise de crédibilité.

Au cours des dernières décennies, la politique américaine envers l'Amérique latine a été marquée par l'indifférence. Son implication s'est concentrée sur l'arrêt du trafic de drogue et de migrants et sur son intérêt pour le pétrole vénézuélien. Aux liens et conspirations d'antan ont succédé les remontrances diplomatiques. Ortega ne convainc que de petits groupes de la gauche et ses partisans les plus radicalisés lorsqu'il se fait passer pour une victime d'ingérence étrangère. Son désir est de faire revivre la stature que le Nicaragua et lui ont atteint dans l'affrontement des années 1980. Dans ce même schéma, le vieux guérillero d'antan et son excentrique épouse, la première dame vice-présidente, semblent déterminés à être les acteurs de son théâtre de la absurde et imagine à nouveau les facteurs d'une prétendue guerre froide, courtisant la Chine et la Russie. À coups de claques et de bousculades, ils cherchent une place dans l'histoire, sans se rendre compte que la seule histoire dans laquelle ils s'inscriront sera celle de l'horreur.

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