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Vie de La Brochure
17 juin 2022

La mort du juge Falcone il y a 30 ans

falcone fabio de santis

Aujourd'hui je fais un détour vers l'Italie de ma jeunesse par un hommage à deux hommes. Ici un article proposé au tout nouveau journal des Refondateurs communistes Confluences qui n'a pas été publié. C'était en 1992 voici 30 ans.

J-P Damaggio. 

Italia bella !

Les Occultes ont frappé. Le juge Falcone est mort et un progressiste français pleure pour l’Italie malade. Tout d’un coup l’Europe sort du cadre, car la Mafia c’est l’Italie, n’est-ce-pas ! Norberto Bobbio lui-même vient de dire qu’il a honte d’être italien car « il faut prendre acte que la Mafia est un phénomène italien. ».

Cet assassinat devrait nous permettre d’ouvrir de manière nouvelle trois dossiers chauds : celui de l’Europe, de la démocratie et enfin celui de la politique. Voici une belle interrogation de Maffesoli : "Comment la République devient-elle une affaire de mafieux ? » Dans son dernier livre La transfiguration du politique il indique aussi : “ Interprétant à ma manière le très beau livre de F. Ianni sur l’Onorata Sociéta, je dirais que la société est devenue "une affaire de familles”. Et la "mafia en tant que forme d’organisation sociale” peut être considérée comme le paradigme d’une telle appropriation. Paradigme d’autant plus puissant que l’on se refuse à en reconnaître les effets.”

Pour permettre ce refus, les médias ont lancé la chasse au traître. Cette tentative a son propre “effet pervers”. Tout en voulant limiter la puissance de la mafia (il suffirait d’éliminer les traîtres pour mieux la combattre) elle en fait non une affaire d’Etat mais bien une affaire de famille (le traître renvoie aux petits groupes pas aux principes), cette famille qui partout en Europe s’est appropriée l’Etat avec un masque notoire : le service public. Le système mafieux est au cœur de nos sociétés et pour preuve, cherchez quelque chose qui le combatte dans le traité de Maastricht

Donc la démocratie ? Le laboratoire italien est parlant, parce qu’il concentre encore, dans la clarté, les enjeux du XXIe siècle : l’affrontement entre une République parlementaire, “à la proportionnelle”, ouverte aux compromis aux débats etc. et les Occultes où le chef décide, où la loi fait sourire etc... La mort du juge Falcone, dans son incroyable combat par les moyens de “la Justice”, est un nouveau tournant décisif dans cet affrontement. Le précédent se produisit au début des années 60 quand, dans le cadre de l’opération Gladio, les Occultes crurent utiles de tenter la prise du pouvoir d’Etat. Leur échec d’alors fut une victoire ... celle qui leur permet d’abattre l’homme le plus protégé d’Italie. Les incapacités de l’Etat, c’est-à-dire celles de la démocratie classique, sont le meilleur agent recruteur de la mafia. Je ne veux pas faire d’amalgames réducteurs entre tous les Occultes du monde : chacun a ses intérêts propres comme c’est le cas pour chaque famille, mais ces différences n’empêchent pas l’existence d’un “esprit de famille”. Chevernadzé a fait observé depuis longtemps à Orlando qu’ils avaient à s’épauler et, aujourd’hui qu’il est à la tête de la Géorgie alors qu’Orlando n’est plus maire de Palerme, les deux hommes doivent avoir beaucoup à se dire sur leur espoirs démocratiques.

Alors la politique ? Je sais que les idées que je livre à la réflexion risquent d’heurter des lecteurs de Confluences mais - et je cite encore Maffesoli à des fins qui ne sont pas les siennes : “Il est temps de nous réveiller de nos somnolences dogmatiques. » La politique doit se donner comme objectif majeur la lutte contre “l’esprit mafieux” qui s’infiltre en nous au fil des jours, nous poussant de plus en plus à commettre des actes illégaux (par la diffusion de photocopies, de copies de cassette, par l’usage des “relations” ...). Je vais prendre un exemple, celui de la question de la drogue. Le constat est clair : la politique traditionnelle a échoué dans sa lutte contre l’objectif des mafieux réunis en Sicile au début des années 50 : s’emparer du marché de la drogue et le faire fructifier. L’arme majeure de cette politique passée est la répression (les démocrates se sont distingués sur ce dossier ? en faisant du social au niveau de la prévention mais pour le reste ....) : sa particularité est connue, la répression se retourne contre elle-même (sauf peut-être quand, à Cuba, on expédie au tombeau un mafieux trop encombrant). Plus la répression augmente, plus le prix de la drogue augmente, plus le dealer est obligé de trouver des nouveaux clients pour s’alimenter lui-même, plus la drogue se développe ... Je ne questionne pas ici le côté “moral” de la drogue mais le pouvoir financier, social et “culturel” qu’elle donne aux Occultes. Je crois qu’il est temps d’envisager la vente contrôlée d’une part de la drogue. L’expérience suisse d’aide aux toxicomanes, qui vient de défrayer la chronique, me fait sourire car elle s’adresse aux conséquences du mal pas à la source. Il faut agir sur le circuit production-vente et la guerre engagée en Colombie devient dérisoire si elle ne s’inclut pas dans un plan d’ensemble : aide aux paysans pauvres ... Un contrôle de la vente des drogues élémentaires permettrait, de la production à la consommation, de savoir où en est le monde en la matière. Je me doute que la mafia saura vite se reconvertir dans des drogues plus dures mais, si cette action était entreprise dans le cadre d’une nouvelle pensée, peut-être que cette contre-offensive pourrait éviter à ce que la prochaine victime des Occultes ne soit La Politique. En attendant des Italiens accrochent, depuis quelques mois, une résistance électrique, sur les vêtements. Manière de signifier au moins une révolte. Ce petit objet pas cher, symbole de l’électronique, peut-il devenir un repère de l’Europe résistante ? Comment faire pour que Falcone ne soit pas mort pour rien ? Jean-Paul Damaggio

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