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Vie de La Brochure
23 février 2023

Article sur Olympe de Gouges dans le Sarkophage en 2009

Olympe de Gouges, la révolution impossible

 Pour une déclaration adroitement rédigée en 1791, la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges est devenue, à partir des années 1970, une des figures de proue du féminisme. Ce faisant c’était une façon d’enterrer le combat plus global de cette femme, un combat qui la conduira sur l’échafaud, non pour sa déclaration des droits de la femme, mais à cause d’une volonté permanente : être un esprit libre.

 Olympe de Gouges face à la crise financière

Les deux premiers écrits d’Olympe de Gouges concernaient la lutte contre la crise financière qui secouait la France au bord de la banqueroute. Tout en avouant ses incompétences en la matière, elle s’exprime sur le terrain économique car, avant même la Révolution, elle est déjà une citoyenne, une citoyenne qui affronta des affairistes qui firent tout pour interdire sa pièce de théâtre au sujet de l’esclavage des noirs. Le lecteur découvre alors une femme (au départ elle ne signe pas de son nom mais affirme son sexe) surprenante de naïveté et d’audace en même temps. Le mieux c’est de lire le début de son projet publié en décembre 1788 : Projet d’impôt étranger au Peuple, et propre à détruire l’excès de luxe et augmenter les finances du trésor, réservé à acquitter la dette nationale.

« Le luxe : c’est un genre de mal qui ne se doit guérir que de lui-même, par exemple, les goûts exquis qui s’en vont écrasant, renversant tout ce qu’ils rencontrent sous leur passage. Un bon impôt sur ce luxe effréné : ah, combien l’humanité applaudirait celui-ci ! qu’importe au petit maître de payer vingt-cinq louis par an le plaisir de se casser le cou ou de se briser quelques membres ? Cet impôt n’arrêterait pas les goûts exquis, et si cela était, combien les pauvres piétons béniraient cette révolution humaine ; les cabriolets plus modestes, mais qui n’en sont pas moins pernicieux, ne paieraient que la moitié de ce droit.

Pour les voitures des petites maîtresses, encore un impôt qui ne leur ferait point de mal, elles n’en seraient pas moins triomphantes. Je voudrais que l’on mît, par exemple, un impôt utile sur les bijoux comme sur les modes qui se multiplient du matin au soir, et du soir au matin.

Un impôt encore aussi sage qu’utile, serait celui qu’on pourrait créer sur la servitude ; plus un maître aurait de valets, plus son impôt serait fort.

On devrait créer encore un impôt sur le nombre de chevaux, des voitures, des chiffres, des armoiries ; la voiture simple caractériserait l’homme qui ne pourrait s’en dispenser ; le chiffre, le luxe et les armoiries, l’orgueil, c’est ce qui doit payer davantage que le modeste et l’indispensable.

Un impôt qui est très visible et qu’on n’a pas encore aperçu, c’est celui qu’on pourrait mettre sur tous les jeux de Paris, comme Académies, Maisons particulières, Palais des Princes et des Seigneurs. »

Surprenante Olympe ? La lire largement est toujours une surprise stimulante car comme le note René Merle dans la préface à l’édition des deux textes évoqués : « À l’automne 1788, dans le climat de relative libération de la publication, chacun dit la sienne. Mais il se trouve que, pour la première fois sans doute, ce « chacun » est une « chacune ». Double nouveauté, le mot « Citoyen », qui apparaît alors dans son acception moderne, est pour la première fois conjugué au féminin. Événement inouï quand on considère quelle place était assignée non seulement aux femmes « ordinaires », cantonnées à leur foyer, mais encore aux femmes cultivées, grandes lectrices et rassembleuses de salons, dont on connaît le rôle dans la vie culturelle du temps : égéries ou protectrices en matière politique certes, mais limitées dans leurs rares interventions publiques à la pédagogie, et la philosophie… »[1] 

Olympe pourtant très modérée

Voilà où le bat blesse : Olympe propose sans cesse des mesures audacieuses mais appuiera tout au long de la révolution, les forces modérées. Pas question de la confondre avec « les citoyennes tricoteuses » qui s’activent dans les clubs ! En 1788 elle reste attachée au roi et à la reine et en cela elle exprime le sentiment général. Trahie par la royauté, elle continuera de soutenir La Fayette puis Dumouriez, puis les Girondins. Pourquoi tant de modération ?

Dès son premier texte, une peur la hante :

« La guerre civile peut commencer par-là : la guerre civile ! Ciel ! je frémis de le prononcer ! Quels maux sont plus à craindre pour les humains que ce fléau ? Mais, que dis-je ? Rien ne peut amener un événement plus cruel. La France est assez plongée dans la détresse pour qu’on ne cherche pas à accroître ses maux. » Pour elle, « accroître ses maux », c’est jeter de l’huile sur le feu par des actions exagérées. Elle ne se sent pas une exagérée car toutes les propositions qu’elle avance, lui semblent aller de soi et capables d’obtenir un soutien massif du peuple.

S’agit-il de naïveté ou de fausse naïveté ?

En réalité, elle inaugure un sens de la révolution que j’appelle « impossible » et qui traversera depuis 1788 toutes les époques. Pour elle, les fins ne justifient pas les moyens mais inversement, les moyens disent par avance les fins ! Que de débats autour de cette dialectique ! Et dans ces débats, combien de fois Olympe a-t-elle été citée ? Face à ceux qui répètent « qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », Olympe répond toujours que les œufs c’est le peuple, et il paie à chaque fois les pots cassés !

Bref, le moyen essentiel de la révolution s’appelle la liberté, et si les ennemis de la liberté peuvent réussir à s’en servir contre la dite liberté, c’est qu’il faut remettre en chantier la liberté plutôt que d’user de la guillotine.

Quand elle refuse la condamnation à mort de Louis XVI dont elle s’était proposée comme avocat, elle en précise les raisons pragmatiques : le roi vivant est plus utile à la révolution que le roi mort (elle propose de le transporter sur les champs de bataille pour dissuader l’adversaire d’attaquer) ; et de toute façon la mort d’un roi n’est jamais la mort du principe de la monarchie. Pour argumenter elle se sert de l’exemple anglais. La modération d’Olympe est toute aussi réfléchie que ses audaces et à la base de toute sa réflexion nous trouvons son souci d’aider le peuple CONCRETEMENT. 

Olympe de Gouges, la révolution malgré tout

Avait-elle une confiance excessive envers la puissance du verbe ? Est-ce le résultat d’une position classique de femme à l’ombre des pouvoirs ? Madame Rolland sera guillotinée juste avant Olympe pour avoir été accusée de tirer les ficelles de son ministre de mari (il se suicidera en apprenant cette fin terrible), comme Marie-Antoinette fut accusée d’être la mauvaise conseillère du roi. Mais Olympe a toujours été une femme indépendante et plus que la fonction de conseiller de l’ombre, elle inaugure la posture de l’intellectuel peu avare de ses conseils publics. Et si elle utilise beaucoup le verbe (des centaines de pages écrites) c’est sans verbiage, même si elle y mêle toujours vie privée et vie publique, rêves et projets précis.

En tant qu’esprit libre Olympe se place au-dessus de la mêlée, ne cessant de rappeler qu’elle n’est d’aucun camp. Elle est la révolution en personne ! Pour éviter les impasses de la révolution impossible, elle n’a pas eu le temps d’étudier un seul un moyen disponible, la création d’une organisation politique des citoyens où chacun puisse conserver sa propre pensée sans cesser d’appartenir à la dite organisation. Il s’agit là d’un des combats de Rousseau dont Olympe était une admiratrice, même s’il fut très peu féministe, combat que Michel Clouscard avait finement analysé dans son livre : De Rousseau à Sartre.

En tirant Olympe loin du féminisme, je n’ai pas voulu minimiser cette dimension du personnage, j’ai souhaité au contraire l’amplifier par un tableau plus général. 29-06-2009 Jean-Paul Damaggio



[1] Olympe de Gouges, Lettre au peuple et remarques patriotiques, Editions La Brochure, 2009

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