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Vie de La Brochure
20 mars 2023

Philippe Labro, les USA et les Lettres Françaises en 1969

Philippe Labro (né en 1936 à Montauban) est un des romanciers français les plus étatsuniens. Déjà pérsent sur ce blog ave c son livre sur mai 68. Par son œuvre comme par sa vie. Je dis son œuvre car elle n’est pas que littéraire : journaliste, écrivain, auteur de chansons et… cinéaste. En 1989 après la lecture de Un été dans l’ouest j’avais écrit cette note énigmatique :

« En lisant L'Etudiant Etranger et Un été dans l'Ouest (ne pas confondre avec il était une fois dans l'Ouest) on remarque que la société américaine se divise en gagneurs et perdants, le héros étant du côté des gagneurs. Là où c'est moins banal, c'est que le gagneur en question est toujours attiré par des perdants présentés, dans l'ensemble, sous un jour sympathique. Nous savons que l'auteur des deux livres est aujourd'hui du côté des gagneurs aussi mes questions sont les suivantes :

- Le gagneur n'est-il pas condamné à écrire en se mettant avant tout en scène alors que le perdant s'il lui arrive d'écrire, va être condamné à mettre avant tout la société en scène ?

- Dans ce cadre, la pluralité d'écriture n'est ce pas un masque pour faire croire que le gagneur dit autre chose que lui-même ?

- La véritable pluralité n'est-elle pas plutôt entre celui qui communique sa vie et celui qui communique sa société, étant entendu que je ne porte pas de jugement de valeur sur les deux situations ? »

Le journaliste Philippe Labro a occupé (et occupe) des postes importants dans les médias dominants. S’il ne crache pas sur les perdants, c’est qu’il n’oublie pas sa jeunesse pendant laquelle des perdants lui ont permis de devenir un gagnant.

Et preuve qu’il ne craque pas sur les perdants c’est qu’il ne cherche pas à faire UNE carrière. Il prend des risques en passant du journalisme à la littérature puis à la réalisation de films, poursuivant sa vie durant un va-et-vient peu classique. La forme qu’il a donné à sa vie me fait penser à celle que Vazquez Montalban s’est donné mais lui ce fut pour défendre les perdants.

Cependant les deux écrivains font la démonstration que la division entre gagnants et perdants n’est pas suffisante même si elle est nécessaire. Dans les deux camps nous trouvons des courageux et des lâches, des actifs et des passifs, des prétentieux et des modestes. Non pas pour renvoyer dos à dos les deux camps mais pour relativiser ce qui fait la vie. Si Philippe Labro lit ce texte il aura la surprise de retrouver cet article des Lettres Françaises du 10 décembre 1969 dont j’adore le titre. Le lecteur doit imaginer les questions car il n’y a que les réponses ! JP Damaggio

 Entretien sur Les Lettrs Françaises 1969 : Philippe Labro personnalise le paradoxe

ACCUEILLI de manière encourageante par l'ensemble de la critique parisienne, Tout peut arriver[1], de Philippe Labro (connu pour ses grands reportages à France-soir, ses émissions de TV, en particulier Caméra 3, son roman Des feux mal éteints, ses ouvrages sur mai)[2], entame dès à présent une carrière prometteuse. L'entretien qui va suivre, inhabituellement réalisé après parution de la critique, a eu surtout pour but d'amener Labro à quelques réflexions constructives, à la suite des réserves faites çà et là.

 Il y a déjà- eu des précédents aux U.S.A. : Richard Brooks, Samuel Fuller ont été journalistes avant de faire de la mise en scène. Le journalisme est une formidable école de cinéma. Mais on ne peut concilier les deux. Pendant le tournage, j'ai complètement arrêté de faire du journalisme. Mais durant le montage, j'ai eu, à nouveau, envie de vivre de manière journalistique, voir des gens, me promener, etc. Le journalisme est une manière de vivre, non une profession[3]. Dans ce domaine, je serai journaliste toute ma vie comme d'autres sont écrivains. Mais à un moment donné j'opterai définitivement pour le cinéma.

J'avais déjà fait de la TV et acquis ce que je voulais acquérir. Il ne m'intéressait nullement de recommencer, d'autant plus que je ressentais une certaine lassitude à l'égard de la TV, surtout en France, pour des raisons inhérentes au système. Par contre, avec ce film, je reste sur ma faim, j'ai l'impression d'avoir encore beaucoup à apprendre. Il s'est passé, par ailleurs, de telles découvertes au cours de la fabrication du film, au niveau du contact avec les gens et de ma propre maturation, que je crois que cela me fait du bien de tourner des films. Et puis, enfin, je pense profondément qu'on peut dire dix fois plus de choses par le cinéma.

 C'est vrai qu'il y a de la naïveté dans ce film, mais la naïveté consiste aussi à oublier ce qui a déjà été fait et à le refaire. C'est peut-être aussi de l'orgueil. Ce film, qui n'est ni un film sur Philippe Labro, ni un film sur le journalisme, ni un film misogyne, mais un film sur un homme dont le métier accuse des failles, est pour moi une façon de tirer un trait sur ma propre jeunesse[4]. Je ne vais jamais plus revenir sur certaines choses, c'est évident. Hemingway et Fitzgerald disaient qu'il fallait un jour lâcher le journalisme car il a gâché la plume. Il est vrai que l'écriture journalistique est complaisante, la mienne en particulier.

 On a dit que Marlot, c'était moi. Je pense que dans tout premier film, on fait la part belle à son passé, à ses expériences. Il n'en demeure pas moins vrai que nous différons sur beaucoup de points. Il n'est pas bien dans son époque, il passe son temps à fuir, alors que je me sens bien dans la mienne. Pendant dix ans, je vais avoir trente-trois ans et, n'étant pas trop mal à l'aise, j'en profiterai pour créer. Et puis Marlot est tellement désincarné, tellement glacial.

Marlot (non francisé du héros de Chandler[5]) prend ses désirs pour des réalités et, comme tout faux mythomane, il lui arrive ce qu'il a toujours souhaité. Il suffit qu'il mette un imper et un chapeau pour se croire aussitôt à l'intérieur d'un film policier. Dans ma vie, comme dans ma profession, notamment lors de mes expériences aux U.S.A., j'ai toujours côtoyé la série B. La série B, c'est la vie[6].

 Les gens qui créent vivent tous dans la fausse réalité. Fitzgerald disait qu'il prenait sans cesse des notes. Même aux moments les plus dramatiques de sa vie affective et réelle, il prenait inconsciemment des notes pour un futur livre. Je fais parfois cela. Pour moi, le film est aussi un excellent psychodrame qui me lave de quantité de choses.

 Les séquences américaines sont très importantes. Pour le genre d'homme qu'est Marlot, il n'y a qu'un seul moyen : le dépaysement et non la fuite. Je crois, contrairement à Françoise Sagan, que l'on change en fonction de l'environnement. Pour Marlot l'égocentrisme, c'est une manière de s'ouvrir aux hommes. Le devenir de Marlot est heureux. Il est évident qu'il quittera le journalisme. Plusieurs solutions s'ouvrent à lui : devenir hippy, mais je crois néanmoins qu'il est déjà devenu trop sceptique, aimer réellement une femme pour la première fois, vivre à deux alors qu'il n'a jusqu'à présent vécu qu'avec lui-même ou, enfin, s'arrêter de bouger et écrire, devenir écrivain à l'américaine, une sorte de Kerouac. A mon avis, c'est sa solution, mais il est hors de question qu'il se suicide. Il faut dire que j'ai pris Marlot à un moment précis de son existence, de parfait déséquilibre. Il veut tellement savoir pourquoi sa vie privée est un échec, découvrir ses propres racines, c'est- à-dire son propre pays.

 

Quand je rentre des U.S.A., je suis frappé par certains événements, les mêmes du reste : la «drugstorisation » de la province, le côté de plus en plus nomade du Français, la crise de l'homme de quarante ans, la violence latente et l'aspect si particulier de Paris avec ses embouteillages, sa laideur, le visage congestionné des automobilistes, la publicité et les flics.

On a parlé de fourre-tout à propos du film. A mon avis, c'est plutôt une manière de mettre un pas en avant. Le vrai défaut de mon film, c'est de n'avoir pas été assez loin dans la violence, dans le lyrisme. Certains appellent cela de la naïveté, d'autres de la pudeur, moi je parlerais plutôt d'inexpérience. Mes trois futurs films sont contenus dans Tout peut arriver. Dans le prochain, je casserai davantage la structure et démultiplierai les personnages. Ce sera une espèce d'itinéraire dans l'escalade de la violence, une traduction assez dure du grand «chambardement ». Propos recueillis par Gérard Langlois.



Notes de Jean-Paul Damaggio

[1] Premier long métrage de Philippe Labro en 1969

[2] On pourrait ajouter ses chansons en particulier pour Johnny Hallyday

[3] Une telle manière de vivre qu'il n'a pas cessé ce travail. C'est moi qui souligne la phrase

[4] En fait, jamais il ne tirera un trait sur sa jeunesse. Cette phrase est sans un effet de sa naïveté persistante.

[5] Référence importante à cet auteur de roman noir des USA.

[6] Un élément qui confirme que Labro appartient aux gagnants... grâce à son attention portée aux perdants.

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